Cyprien

Le Verso (Ardennes)

Notre chambre était, à peu près, à la moitié de la coursive. A une extrémité quelques personnes palabraient.
- R’garde le Dabo, y’a Cyprien !
En y regardant bien, l’homme était très ressemblant, mais en plus âgé.
- Cyprien ! Cyprien !
Tous les hommes, il n’y avait que des hommes, se tournèrent vers nous. Deux d’entre eux déclarèrent qu’il n’y avait pas de Cyprien parmi eux. Un demanda de qui il s’agissait. Bâ, comment leur expliquer ? Cyprien était un jeune, enfin un grand pour nous puisqu’il avait 16 ou 17 ans. Nous l’avions rencontré sur le marché en compagnie de la Mélie. Ma sœur s’écria : « Banania ! ». Aussitôt dit qu’elle eut l’envie de ravaler son cri. C’est que Charles nous avait dit qu’il valait mieux ne pas dire que nous venions des années 1950. Pour cette raison, il avait inventé son histoire avec les Martiens
- Banania ! (répéta celui qui ressemblait à Cyprien, sans cacher sa joie) Vous habitez ici, à Charleville ?
- Oh non, en Lorraine entre Mès et Nânci…
- Mès et Nânci (s’énerva-t-il en prononçant les noms de Metz et de Nancy sans accent) Il y a un lycée agricole chez vous ? (D’un hochement de tête, nous lui confirmâmes qu’il y en avait un. Il tapa presque violemment sur le bras de son voisin) Tu te rends compte, ils viennent de la ville où mon grand-père a fait ses études en agriculture.

 

Et voilà que le petit-fils de Cyprien se lança dans toute une série d’anecdotes. Il était intarissable. Ses amis l’écoutaient, riaient lors des situations burlesques. Tous, sauf un qui faisait une sale tête avec des yeux méchants. Sûr, c’était un peût'ôme. Il finit par grogner :
- Les histoires de Blancs ne m’intéressent pas. Ils sont tous pareils, ils se croient supérieurs à nous !
Les cinq autres lui tombèrent sur le paletot, si bien qu’il les quitta en marmonnant : « On se retrouve au supermarché ». Aussitôt, le petit-fils de Cyprien reprit ses anecdotes. Il était tout fier de nous apprendre que son grand-père avait mis à profit ce qu’il avait appris chez nous : il avait créé et exploité un grand potager dans son village. Un long moment, il chercha :
- Mon grand-père disait toujours un juron lorsque quelque chose n’allait pas ou que nous avions fait une bêtise… Comment c’était donc…. Ah, je le disais aussi lorsque j’étais gamin…
Le pauvre se creusait la tête sans parvenir à un résultat. Pour nous, il n’y avait pas à couper les cheveux en quatre, la Mélie connaissait bien Cyprien, l’invitait chez elle souvent les dimanches, le faisait manger comme nous, lui apprenait nos mots. Ce juron qui défaillait dans la tête du petit-fils ne pouvait être que :
- Vinrats d'vinrats ! 
- Vinrats d’vinrats ! (exulta le petit-fils) C’est ça ! Vinrats d’vinrats ! Vinrats d’vinrats ! (répéta-t-il en inondant son visage de joie. Il tapa sur le bras de son voisin et d’un air solennel) Eux, ils sont comme nous : ils parlent français et ils ont leur langue.
Ses copains temporisèrent son enthousiasme en sonnant :
- Faudrait peut-être aller au boulot. On a déjà cinq minutes de retard…
- Bon, les enfants, je vais au travail. C’est votre grand-père qui vous a parlé de mon grand-père ? (Nous fîmes oui de la tête et étions bien content qu’il ait trouvé une explication qui ne nous démasquait pas) Demain, vous m’en raconterez encore sur mon grand-père, d’accord ?

 

Ainsi, le petit-fils de Cyprien nous quitta en lançant de tonitruants « Vinrats d’vinrats ! » tout le long de l’escalier. Il ne nous dit pas que si son grand-père avait étudié au lycée agricole de chez nous, lui était ici, depuis trois ans, pour faire le ménage, nettoyer les allées, vider les poubelles, astiquer les vitrines du supermarché et ensuite d’un grand magasin de luminaires. Il ne nous dit pas non plus que lui n’avait pas de bourse pour étudier en France, mais qu’il devait trimer pour gagner moins qu’un Français. Si son grand-père logeait au Lycée, lui vivait dans cet hôtel à bas prix dans une petite chambre qu’il partageait avec deux camarades. Avant, ils habitaient une grande maison, plutôt un taudis qui avait pris feu. Depuis, on les avait relogé ici. Il ne nous parla pas, non plus, de ses déboires pour obtenir sa régularisation et les papiers qui lui permettaient de rester. Ni de la longue grève que lui et ses camarades avaient faite pour obtenir tout cela… Tout cela ce fut Dominique qui nous le raconta.

 
 

Le Verso
Cyprien
Gentille dame
Pays de merde
Déchéance
Le collectionneur
Fille mère
Patron ?
Dominique

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

 

Voir le Dictionnaire des Mioches

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 24/10/2023

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