Marcel roulait paisiblement sur la régionale 354 dans sa spacieuse voiture, presque neuve, et se doutait qu’il approchait de sa destination à la vue d’un panneau routier l’invitant à réduire sa vitesse. Quelques mètres plus loin, un second panneau lui confirme qu’il entre dans la municipalité de Chavigny-sur-Vairon. Là commence la rue Principale, nommée ainsi par un maire (mort il y a longtemps) qui, de toute évidence, était en manque d’originalité. N’allez pas croire que c’est un grand village, il est et restera encore longtemps une modeste bourgade ou encore « kanata », mot huron-iroquois appris à Québec par Jacques Cartier en 1535 désignant un village ou une bourgade. Son nom, si pompeux soit-il, mériterait à peine de figurer sur une carte.
Il faut bien l’avouer, il y a peu de rue à l’intérieur même de ce village. La rue du Pont, à l’entrée Nord par où est arrivé Marcel et le Chemin-des-28 à la sortie Ouest, délimitent son étendue sur environ deux kilomètres. Entre les deux, ont pris racines une cinquantaine de maisons, parfois éloignées les unes des autres et, avec, presque au centre, la mairie, la petite bibliothèque et l’église.
La vie y est agréable, calme et paisible. Les Chavigniens, dont la moyenne d’âge est plutôt élevée, sont reconnus pour être sympathiques, aimables et serviables. Oh ! Bien sûr, là comme ailleurs, chaque habitant à sa petite histoire, avec ses hauts et ses bas. Bien sûr qu’y vivent aussi, comme je les appelle, quelques «talents locaux»; deux ou trois personnages peu recommandables, connus des gendarmes, mais aussi de leur entourage. Ceci dit, revenons à nos moutons.
La rue Principale, sur trois ou quatre cents mètres, présente en une courbe moyenne vers la gauche ainsi qu’une pente descendante jusqu’aux premières maisons. Marcel s’en souvient, mais consulte tout de même le mémo sur lequel il a inscrit «72 rue Principale» l’adresse de sa destination. Un peu plus loin, sur la droite, une grosse framboise peinte sur un carré de bois portant le numéro 72, lui indique qu’il est arrivé. Les pneus font crisser le gravier de la large entrée, séparée en son milieu par une rangée de framboisiers en fleur. Ce grincement soudain dérange le silence qui régnait en ce bel avant-midi de début d’été. Il sonne et toque à la porte mais reste sans réponse jusqu’à ce qu’il voit une ardoise installée sur un chevalet sur laquelle il lit : « Je suis au jardin » et dessous, en lettres colorées, « Les petits-fruits du Dragon ».