L’aéroport

L’arrivée (Québec)

 

par Bernard Antoine

 

- Allo!
Une voix de baryton répond à l’autre bout du fil.
- Seriez-vous monsieur Bernard Antoine?
- Oui, que puis-je faire pour vous?
- Mon nom est Noël Bédard, directeur de la sécurité à l’aéroport Jean-Lesage de Québec. J’ai, dans mon bureau, deux jeunes enfants qui disent vous connaître et qui m’ont remis une carte avec vos coordonnées.
- Attendez! Ces enfants, ont-ils pour prénoms Mikète et Dabo?
- Affirmatif! La jeune demoiselle vous appelle tonton Bernard, vous seriez de la famille?
- Pas exactement, mais je les connais très bien et surtout leur père créateur. Je les attendais, sans savoir quand ils me seraient confiés. J’aurais bien aimé être mis au courant au moins vingt-quatre heures à l’avance, je les aurais accueillis dès leur descente de l’avion.
- Ces jeunes sont arrivés il y a deux heures sur le vol 545 d’Air Transat en provenance de Paris. Une dame se serait occupé d’eux tout le long du voyage et nous les a confiés à leur arrivée. Comme il s’agissait d’enfants voyageant seuls nous avons aussitôt enquêté à savoir s’ils faisaient l’objet de rapt ou autre délit. Comme tout est en règle, leur père, un certain Daniel, nous a confirmé que vous vous occuperiez d’eux durant leur séjour chez nous, êtes-vous en mesure de venir les chercher?
- Mais bien sûr, et avec grand plaisir. Gardez-les bien au chaud je serai à votre bureau dans moins d’une heure.
- La jeune demoiselle semble avoir la langue bien pendue. Elle a des mots et des expressions nouveaux pour moi. J’ai la drôle d’impression que nous parlons français tous les deux et qu’on ne se comprend pas. Elle prétend en outre que j’ai un drôle d’accent… elle n’a, certes, jamais entendu le sien.
- Consolez-vous, vous avez tout simplement «l’accent d’Amérique» comme le dit si bien le maire de Québec.
Et voilà comment sont arrivés les Mioches chez notre ami Bernard. Pas tout à fait comme un cheveu sur la soupe… Mais joie et surprise étaient au rendez-vous. Et parlant rendez-vous, soyez attentifs, vous allez entendre parler de nous prochainement. Attachez bien votre « tuque », le départ est imminent.

Tuque : Au Québec, bonnet de laine orné d'un pompon.

La rencontre

Trop occupés à colorier le livre qu’on leur avait donné, les enfants ne se sont pas aperçus de ma présence. Je venais tout juste de saluer Noël Bédard lorsque les deux mioches, entendant parler, se levèrent d’un bond, coururent vers moi, m’enlaçant de toute leur force.
- Tonton Bernard ! Crièrent en cœur deux jeunes voix.
- Bon! C’est pas tout, on a du pain sur la planche. On dit merci et au revoir à Monsieur le directeur qui a été bien gentil et qu’on laisse retourner à son travail.
- C’est vrai qu’t’as été gentil, nème. Allez, le Dabo, dit au revoir au monsieur. S’est-elle exclamer, tirant le Dabo par la manche.
En passant dans la grande salle d’attente, l’immense verrière donnait vue sur les pistes d’atterrissages bien dégagées qui contrastaient avec le blanc de la neige des alentours. Ce spectacle rappela quelque chose à la Mikète.
- Le monsieur directeur a un drôle d’accent, y’était pas facile à comprendre. Toi aussi tu as un accent, mais j’te comprends mieux.
- Je dois te dire que, comme toi, je suis Lorrain, né à quatre kilomètres de Metz. Pour plusieurs raisons, je me suis dépêché à me fondre à la population québécoise. La barrière de la langue étant la principale. J’ai tout de même tenu à garder un attachement à la France et en particulier à ma Lorraine natale. J’ai acquis une forme de bilinguisme dont je suis fier.
- J’comprends pas grand yèque, déplora le Dabo.
- C’est pasqu’il a un accent étranger. Faut s’habituer.
- On est arrivé là… R’garde not’ avion… Bâ, sais pas… Pêtre çui-là… Sais pas… Tu sais, dans l’avion on r’gardait par la fenêtre. Moôn ! C’était tout blanc. D’la neige, partout d’la neige…
- Pis fait frôd…! renchérit le Dabo.
- C’est l’Pôle-Nord, le Dabo. Nème tonton Bernard, ç’ot l’Pôle-Nord ?
- Halte-là, minute papillon…
- Te causes comme not’papâ : « minute papillon ! » Coupa la Mikète.
- Sachez qu’on est presqu’aussi loin du Pôle-Nord que de Paris d’où vous arrivez. On compte 4800 km. de Québec au Pôle-Nord et 5500 de Québec à Paris. La différence n’est pas bien grande. Peut-être aussi n’êtes-vous pas assez bien habillés pour notre climat, on va remédier à cela sur le champ! Suivez-moi!
- Le champ ? On va labourer le champ avec ton tracteur ? Rigola la Mikète.
- Je voulais dire maintenant, tout de suite… Le temps de se rendre à un magasin que je connais bien.

 

Wendake

Sitôt dit, sitôt fait. Voilà nos jeunes vacanciers convenablement vêtus, prêt à affronter les grands froids de notre hiver. Les achats complétés, confortablement installés sur les banquettes arrière de la voiture, les questions fusent.
- Ousqu’vâ ? J’â faim… R’garde ma boudâte est tout’plate. I faut la remplir, nème, nonôn?
- C’est pas nonôn, c’est tonton qu’i faut dire! rectifia la Mikète. Moi aussi j’â faim!
- J’dis comme j’veux, bougonna le Dabo.
- Bien justement je vous emmène au village des Hurons où on va vous servir de belles surprises.
- L’villâche des héros ? C’est quoi les héros?
- Pas héro… Huron… Hu…ron… Ce sont des Indiens; des Indiens d’Amérique.
Depuis soixante-dix ans que je vis au Québec, je viens de me rendre compte que j’ai un peu perdu mon accent Lorrain – Va falloir articuler si je veux me faire comprendre. Pensais-je en moi-même.
- Des Indiens…? Pan ! Pan ! l’Dabo, vâ aller en diligence comme dans l’film qu’on a vu au cinéma l’aut’jour!
- Pan ! Pan ! Vâ dégommer les Indiens.
- Mais non, mais non! Il y a longtemps qu’ils sont civilisés. Tu vas les aimer, ils sont très gentils, attends d’voir! Je vous emmène dans un de leurs restaurants. Leur statut d’Indien leur permet de vendre de la venaison. Vous aurez le choix entre castor, orignal où autres viandes, moi j’ai un gros penchant pour leur truite arc-en-ciel grillée au charbon de bois et assaisonnée aux herbes aromatiques cueillies en forêt et dont ils ont l’art et le secret d’apprêter. Venez, on va se payer la traite* !
- C’est-i quèque chose qui s’mange la traite ? Questionna le Dabo que la faim tiraillait.
- Heu...! Oui et non, c’est une expression québécoise. Un anglicisme tiré du mot « treat qui veut dire régal/festin » une façon de dire « se payer du bon temps ».
- Bâ alôre…! Qu’est-ce qu’on attend ? J’â faim moi… bougonna la Mikète me tirant par la manche.
- Moi ‘si, renchérit le Dabo.

 
 

Bernard Antoine :
J'ai vécu 25 ans à Loretteville, un quartier de Québec. Il n'y a qu'une rivière (la Saint-Charles) qui sépare Loretteville de Wendake (mieux connu sous le nom de village Huron). Les Hurons, avec le temps, ont adopté les coutumes européennes, mais ont malgré tout conservé une culture qui leur est propre. Ils sont beaucoup plus près de la nature que nous, gens de ville. J'ai vu une indienne faire cuire un castor sur un feu de bois, un peu comme un méchoui, sauf que le castor était pendu au bout d'une corde retenue par un trépied, non pas au-dessus, mais à quelques centimètres sur le côté du feu. La dame avait imprimé une torsion à la corde qui, se détordant, faisait tourner le castor. Le poids du castor tordait la corde dans l'autre sens et ainsi de suite. De temps en temps elle redonnait une petite poussée si le rôti ne tournait pas assez vite. J'y ai goûté au castor, je peux t'affimer que c'est tout simplement délicieux.

Tourilli (Québec) :
L’arrivée 1 (L’aéroport)
L’arrivée 2 (Kabir Kouba)
Tourilli 1 (Le chenil)
Tourilli 2 (Les moteurs)
Tourilli 3 (Nature indomptable)
Tourilli 4 (Le défi)
Tourilli 5 (Le secteur des caps)
Tourilli 6 (Terminus)
La pièce du Castor
Rennes et Reines

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot. 
En savoir plus :
Voir le Dictionnaire des Mioches
Voir le Lexique quebecois

Date de dernière mise à jour : 04/11/2023

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