Quartier calme

La mer (Dieppe)

Dehors, le vacarme avait déjà commencé. C’était des cris et des cris. Le vacarme habituel en somme. Le silence aurait été troublant, inquiétant. Je descendis l’échelle comme si je le faisais tous les jours. Dans le lit d’en-dessous, ma sœur s’ébrouait. Nous avions passé une superbe nuit, fins prêts à affronter une nouvelle journée d’aventures. La chambre plutôt vaste, nous était familière, pourtant c’était la première fois que nous dormions ici, dans ce lit à deux niveaux. Machinalement, nous prîmes le chemin des toilettes. Et toujours ces cris et ces cris.
Passage obligé, le salon où trônaient le canapé, une petite table ronde et le téléviseur à écran plat sur un petit meuble. Encore fumantes, nos tasses de café au lait nous attendaient sur la grande table de la cuisine. Chacune étaient flanquée de deux tartines beurrées. Deux pots avec leurs cuillères plantées, l’une dans la confiture de fraise, l’autre dans la confiture d’abricot. Dehors, les cris redoublaient.

 

A mon retour des toilettes, ma sœur avait ouvert la porte fenêtre qui servait de porte d’entrée. Elle relevait le rideau roulant dans un vacarme métallique. Une grande personne aurait pu relever ce volet sans problème. Il suffisait de le pousser. Mais, nous étions trop petits. Une sorte de canne nous permettait de le lever entièrement. Les cris se firent plus puissants, plus agressifs. Nous nous précipitâmes sur la terrasse.
- Bonjour les enfants, bien dormis ?
Notre terrasse surplombait la terrasse des voisins. Encore une maison plus loin et à un étage au-dessus de nous, une autre terrasse. Le linge étendu sur les fils séchait au soleil presque chaud. Et ces cris effrayants : « aow-kayïï-kao-kao-kao-kao ».
- On a bien dormi (répondit ma sœur. Elle leva les yeux au ciel) Qu’est-ce qu’elles font du bruit !
« aow-kayïï-kao-kao-kao-kao ». On aurait dit qu’elles pleuraient ou raillaient quelqu’un. Il en était ainsi chaque matin et chaque soir. Le matin, elles quittaient leur logis, le soir elles y rentraient. En journée, c’était beaucoup plus calme, vu qu’elles étaient en vadrouille.
- Ah ! Les mouettes (rigola la dame) Le jour où vous ne les entendrez plus, ça vous manquera. Votre grand-père vous a préparé votre petit-déjeuner. Il repassera vers midi.
Notre grand-père, ben voyons. Si notre grand-père était encore vivant en 2021, il aurait 123 ans… Passons, nul besoin de raconter notre vie. D’ailleurs, la dame ne nous aurait pas crus si on lui avait annoncé que nous venions des années 1950.

La dame était agent d’assurances et son mari ingénieur chez Alpine. Ils avaient une fille qui avait dans les 17 ans et un tout gentil petit chien, genre basset. Lorsque nous le croisions dans la rue, il tirait sur sa laisse pour venir nous dire bonjour et se faire caresser. Toute la maison leur appartenait et leur terrasse était bien plus grande que la nôtre. Midi et soir, ils mangeaient là. De notre perchoir, nous plongions dans leurs assiettes.
La maison d’après, celle dont la terrasse nous dominait et où était étendu le linge, cette maison était occupée, nous avait-on dit, par un couple d’avocats et leurs trois enfants.

 

Notre maison, celle où nous logions, était en copropriété. Au rez-de-chaussée, l’appartement était vide. Son propriétaire, qui habitait Rouen, le louait à des touristes. Juste au-dessus de nous, c’était une vieille dame, bien riche. Elle n’était pas désagréable dans la mesure où on éteignait la lampe du couloir et qu’on refermait la porte d’entrée à clé après notre passage.

 

La maison d’à côté de chez nous appartenait à un Parisien. Il louait l’appartement du rez-de-chaussée et celui du second étage à des touristes. Lui, venait chaque week-end dans son premier étage. Il avait un garage. Comme la rue était étroite avec des places de stationnement (gratuites) le long du trottoir vis-à-vis, il avait obtenu de la Mairie que le stationnement soit interdit juste en face de son garage. Une ligne jaune marquait l’emplacement prohibé. Le Parisien passait son temps à sa fenêtre, prêt à vilipender le malotru qui oserait enfreindre l’interdiction.
Selon son épouse, l’homme se comportait ainsi dans la vie. Le couple habitait le 15e arrondissement de Paris. Il y possédait un bel appartement au deuxième étage. Au rez-de-chaussée se trouvait une sorte de pressing. Disons plutôt un magasin où les gens aisés du quartier venaient déposer leur linge et leurs vêtements à laver et à repasser. Chaque nuit, vers 1h du matin, un petit camion venait déposer linge et vêtements lavés et repassés et reprenait le linge sale pour l’emmener à l’usine où il serait traité. Le livreur avait beau être prévenant, essayer de faire le moins de bruit possible, mais qu’est-ce tu veux, rouler une dizaine de chariots dans un sens et autant dans l’autre… Le trottoir à monter ou à descendre, les trous dans le trottoir, la petite marche du magasin à monter ou à descendre, sans compter les roues qui se bloquaient contre un caillou ou un autre objet.
Au début, l’homme n’avait fait qu’ouvrir sa fenêtre et insulter ce salopard de livreur qui venait toutes les nuits troubler son repos. Depuis quelques semaines, il ne se contentait plus d’ouvrir sa fenêtre et d’invectiver le livreur, il lui jetait le contenu d’une casserole d’eau.

Le petit déjeuner avalé, nous étions descendus. Ma sœur atteignait tout juste l’interrupteur, car descendre l’escalier en bois dans la pénombre aurait été bien périlleux. Nous avions refermé la porte à clé. Ainsi, les souhaits de la vieille dame, bien riche, étaient exhaussés. Pour ainsi dire, notre rue était calme, sans beaucoup de passage, aussi bien piétons qu’automobiles. Des places de stationnement étaient bien souvent libres. Sauf le samedi où les gens qui allaient au grand marché galéraient pour se garer.
- La dame, elle a dit de prendre à droite. C’est où la droite ?
Ma sœur réfléchit un long moment avant de répondre :
- La droite, c’est avec la main qu’on mange. C’est là !
A l’intersection suivante, ma sœur bifurqua sur la gauche. Je la retins :
- La dame, elle a dit tout droit !
- Non !

 

Alors, nous partîmes sur la gauche. Notre quartier était calme, nous marchions même sur la chaussée jusqu’au moment où un petit coup de klaxon nous fit sursauter. Sur le coup, nous pensâmes que nous étions devenus sourds. La voiture nous dépassa à faible allure. Le conducteur avait sa vitre baissée, ma sœur l’interpella :
- Elle fait pas de bruit, ta voiture !

 
 
 

Le conducteur ralenti et s’arrêta à notre hauteur.
- Bonjour.
- Elle fait pas de bruit ta voiture (répéta ma sœur comme il ne disait rien et ne faisait que nous dévisager en fronçant les sourcils. Comme si nous étions des Martiens).
Le conducteur enleva ses mains du volant. Il se cala sur son siège, gonfla son torse, comme s’il prenait un bol d’air. Ma sœur fit un pas vers la voiture, se courba, comme si elle voulait lorgner l’habitacle.
- C’est une voiture électrique.
- Electrique ! Y’a pas de moteur ? (pouffa ma sœur, alors que je m’approchais).
L’homme réfléchit quelques secondes puis esquissa un demi-sourire et dit :
- Si ! Un moteur électrique.
- Ma môman elle a un sèche-cheveux électrique, mais elle branche le fil dans la prise. Il est ousque ton fil électrique ?
- Il n’y en a pas.
Et le conducteur accéléra sans que son automobile n’émette le moindre bruit. C’est comme qui dirait que nous en restâmes sur le cul. Des voitures électriques, ça alors ! Et sans fil !

 

La légende veut que la Mikète et le Dabo fussent téléportés des Ardennes à la mer comme par un coup de baguette magique. Ils s’endormirent dans un lit à deux niveaux à Charleville pour se réveiller dans un lit à deux niveaux à proximité de la mer. Cette version est fortement contestée par certains témoins. Ainsi, Bernard Antoine avance une explication bien plus plausible. Juges-en par toi-même.

La Croisière diabolique

 

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Date de dernière mise à jour : 31/10/2023

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