L’entrée des troupes françaises

Dimanche 17 novembre 1918 // Fratricide (5)

La troupe fit une nouvelle halte à l’entrée de la ville. Devant, des rameaux de sapin s’agitaient fébrilement. Une vingtaine de personnes, surtout des adolescents et des enfants, gesticulaient. L’un d’eux faisait tournoyer un superbe drapeau tricolore.
La vingtaine de jeunes virevolta autour de la colonne : « Vive la France ! », « Bienvenu », «
 Merci la France », etc.  On fit déplacer tout le monde sur le bas-côté. Un peu brusquement. Un gamin juché sur une bicyclette sans pneumatique faillit chuter dans le fossé. Deux automobiles remontaient les colonnes. Dans l’une d’elle se tenait le général Daugan.
On reforma les colonnes. Le colonel en profita pour passer en revue ses troupes, réprimant l’un, réajustant la capote d’un autre, redressant le fusil là, remettant d’aplomb un casque ici… Et l’on repartit.

 

Ils entraient dans Château-Salins… La musique entama « La Sidi Brahim », l’hymne chéri des Zouaves. Des bords de la chaussée, s’élevaient des « Vive la France ! ». On s’agitait, on agitait de petits drapeaux tricolores. Mustapha remarqua que Cavé, ce dur des tranchées, cet homme qui laissait rarement percevoir ses sentiments… Eh, bien, Cavé pleurait. D’un geste furtif, croyant sans doute que personne ne le voyait, Cavé essuyait, à intervalle régulier, ses larmes d’un revers de manche.

 

A un endroit, Cavé agita la main, une femme lui répondit comme elle répondait à tous les soldats.
- C’est ma tante ! Mustapha, c’est ma tante Agathe !
Cavé était en pleine excitation. Il ne pleurait plus, il riait, il chantait : « Si l'ennemi vers nous s’avance, Marchons ! Marchons ! Marchons ! … ». Pour sûr, les baïonnettes des Zouaves brillaient dans les yeux des gens… Et, ils descendaient la rue… Plus ils avançaient, plus la foule grossissait. Certains accompagnaient la colonne, si bien qu’un bouchon se forma devant une petite maison tout en hauteur. A la fenêtre du premier étage s’agitaient un couple et une jeune fille rousse… Cavé cria :
- C’est Louis ! C’est moi, Louis… C’est votre Louis !
Cavé se tourna vers Mustapha :
- Mes parents ! Mustapha, c’est mes parents !
Alors Mustapha, agita la main. Son fusil se débattit sur son épaule pour ne pas tomber…

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Déjà, ils passaient devant une grande place. Le général Daugan était là, majestueux sur son cheval. Flanqué de son état-major, encadré par des spahis eux aussi à cheval, il saluait les valeureux Zouaves, il leur rendait hommage.

 

Mr et Mme Capet se délectaient. A rythme régulier, ils scandaient : « Vive la France ! ».
- Regardez, Mr Capet ! s’esclaffa Marthe.
De l’autre côté de la rue, un militaire agitait les deux bras en regardant dans leur direction.
- C’est leur pitre, se boyauta Mr Capet. Ah ! ça nous change des Prussiens. Tu vois Marthe, c’est ça la France…
Un autre militaire agita la main. Marthe se bidonna :
- Il a failli perdre son fusil.

 

La troupe à pied était passée. Suivaient des camions tirant des canons, des automobiles. Des jeunes, et des moins jeunes, s’étaient juchés sur les véhicules et paradaient comme si c’étaient eux qui venaient de « délivrer » la ville. On riait, on criait, on chantait. Mr Capet décida qu’il était temps de descendre dans la rue et de participer à la fête.

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« La Marseillaise » résonna dans le haut de la rue. Mme Capet cavala au milieu de la chaussée pour mieux voir.
- Emil' ! En v’là d’autres ! Viens voir…
- T’énerve pas la Marie. Ils viendront bien jusqu’ici.
- C’est la Légion étrangère, fit un badaud.
- Qu’est-ce vous en savez, douta Marthe.
- J’ai entendu des militaires le dire.

 

Il avait beau être la seule cloche qui restait, le bourdon se mit à carillonner à toute volée. Un avion survola la troupe.
-  Celui-là ne nous lancera pas de bombe, lâcha Marthe en regrettant aussitôt sa réflexion.
L’avion fit le tour du clocher et revint en rase-mottes. Et cette musique qui descendait la rue. Et cette musique qui s’amplifiait...

 

« Allons enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé ! … ». Mr et Mme Capet chantaient à tue-tête. Par moment Mr Capet s’étouffait de fous rires. Il en perdait le fil de la chanson. Rapidement, il retrouvait les paroles, rattrapait ses voisins. Parfois même, il les dépassait. Parfois même, mémoire infidèle, il arrangeait les paroles. Alors, Mme Capet lui donnait un coup de coude : « Emil’ ! ».
Ça chantait à tue-tête. Ce qui chagrinait Marthe ce n’était pas cette joyeuse cacophonie, non. En fait, elle ne connaissait pas l’hymne de son nouveau pays. Alors, elle remua les lèvres et fredonna. Elle n’était pas la seule…

 

Lorsque les Légionnaires trottinèrent devant elle, Marthe se fit une réflexion : « Tiens, ils sont moins bruyants que nos Prussiens ». Ah, les Prussiens, même sans fanfare, on les entendait d’un bout à l’autre de la ville ! Enfin « J’exagère un peu », rectifia Marthe.

 

 

 

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Fratricide
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17 novembre 1918
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* Quant à Marthe…
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Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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