Les personnages étaient en plâtre et peints de châtoyantes couleurs. Ils formaient un cercle autour d’un espace vide. Sans rien dire, notre papa prit un truc dans un carton, enleva le papier tout fin. Il arracha quelque chose qu’il fourra dans sa poche. Il croyait que personne ne l’avait vu. Le Fofo m’envoya une œillade complice. Mais, nous nous gardâmes bien de lui gâcher son plaisir. Au milieu des personnages, notre papa posa son truc :
- C’est pour faire quoi ? (demanda ma sœur).
- Le P’ti-Jésus va naître là (répondit notre papa sur un ton solennel).
- Ah, le P’ti-Jésus c’est lui, là ! (Ma sœur montrait le Christ sur la croix accrochée au mur. Nos parents approuvèrent. Ma sœur s’étouffa dans un rire convulsif. Elle finit par) Il est trop gros pour aller sur ta paillasse ! Et qu’est-ce qu’ils font là ?
Nos parents se lancèrent dans des explications bien alambiquées. Sur la croix, le Christ avait 33 ans. Si je me souviens bien. Sur la paillasse, il allait naître. Passons… Comme le P’ti-Jésus allait naître cul-nu, l’âne et le bœuf le réchaufferaient en soufflant sur lui. La Vierge était la maman et le Joseph le papa.
- J’aime bien la Légende du P’ti-Jésus (fit ma sœur en secouant la tête).
- C’est pas une légende… C’est… C’est… La religion.
Ma sœur haussa les épaules. Puis :
- Bâ, alôre, c’est pas Dieu le père du P’ti-Jésus comme t’as dis l’aut’ fois.
Là, nos parents étaient coincés avec leur bondieuserie. Enfin, pas tant que cela parce que, vois-tu, nos parents, ils savaient raconter les histoires et inventer des suites. Même si, souvent, ils s’embourbaient dans leur récit. C’était simple, le Joseph était le père terrestre du P’ti-Jésus et Dieu c’était le vrai père. C’était même l’archange Saint-Michel qui avait apporté la graine. « C’est comme le père Qoku, nème ? ». Nos parents se regardèrent, puis pouffèrent. Ils ne se doutaient certainement pas que ma sœur les avait entendus parler de cette histoire : la femme de monsieur Qoku chnâillait à gauche et à droite. On ne pouvait dénombrer ses amants sur les doigts des mains tellement il y en avait. Et, parait-il, que chacun de ses enfants avait un père différent.
Je dois bien reconnaître que la Légende du P’ti-Jésus était fort intéressante. A chaque fête, nos parents rajoutaient des personnages ou des aventures. Je me souviens qu’au 15 Août dernier, ils nous avaient raconté une histoire avec la Vierge. Bon, je ne me rappelle plus des détails, faudra que je demande à notre maman qu’elle me l’a raconte à nouveau. En fait, grâce à leur imagination, nos parents rendaient la légende du P’ti-Jésus presque aussi passionnante que la Légende de not’ Sotré. Sauf que lui, not’ Sotré, il se manifestait régulièrement en faisant des blagues.