Le sapin

La Noël (C’est la fête)

 
 
 

La Noël approchait à grands pas. Cela faisait un moment que nous préparions cette fête-là. Ce samedi matin, notre papa avait ramené dans la remorque attelée à son vélo un superbe sapin. Nous l’avions installé dans un coin de la cuisine. Notre papa avait tout prévu, plutôt le quincaillier avait tout prévu puisqu’il lui avait également vendu une bûche en demi-cylindre. La bûche à plat sur une caisse basse, sa partie arrondie tournée vers le plafond comportait un trou au milieu. Ce fut là quil planta le sapin.
- L’est même pas droit, ton sapin (s’esclaffa ma sœur).
C’était bien vrai, il penchait cruellement sur la droite. Penses-voir, un papa à réponse à tout. Il le redressa, plaça des petites cales. Satisfait, il prit du recul. Cette fois, il penchait un peu en avant. Il replaça une cale. Voilà, le sapin était bien vertical. Histoire d’en vérifier la stabilité, il le secoua.
- Impec ! Il s’envolera pas (admira-t-il).
Qu’il était beau notre sapin. Qu’il sentait bon notre sapin. Mais, il était tout nu. Nos parents nous descendirent chez la tante Agathe et partirent chez le quincaillier avec la remorque cette fois tirée par notre papa. Une heure plus tard, ils en rapportèrent deux gros cartons. L’après-midi fut consacrée…

 

Je m’étais assis à courte distance. Vu mon âge, je ne leur aurai été d’aucune utilité. Le Fofo avait pris place à mes côtés. Nous nous demandions bien ce que ma sœur et nos parents complotaient… La réponse arriva rapidement. De l’un des cartons, notre maman sortit une balle, l’admira sous toutes les coutures :
- T’as vu le Dabo comme c’est beau ?
Croyant qu’il s’agissait d’une nouvelle friandise, le Fofo se précipita. Mais d’un coup de museau, il comprit que cela ne se mangeait pas et revint s’asseoir près de moi en jappant pour marquer sa déception.
- Hopla ! Pas touche (fit notre maman alors que je tendais la main pour attraper le jouet).
Il y en avait des bleues, des rouges, des argentées, des jaunes. Elles étaient tellement brillantes qu’on se voyait dedans. A chaque fois, notre maman se croyait obligée de nous les présenter. Pour lui faire plaisir, je poussai des « Oooh ! », tandis que le Fofo jappait. Pourquoi nous allécher avec de si beaux jouets alors que nous n’avions pas le droit d’y toucher ! Une à une, notre maman les passait à ma sœur qui les passait à notre papa. Pour chacune delles, il réfléchissait à quel endroit il allait la placer.
Ma sœur avait toujours de bonnes initiatives pour nous distraire et nous faire sursauter. Elle en échappa trois. Elles rebondirent sur le parquet et s’en sortirent indemnes. Notre papa se moqua tapageusement tandis que notre maman temporisait son ardeur :
- T’énerves pas Mikète, va doucement.
Ainsi nous suivions, de loin, les boules qui finissaient par garnirent le sapin.

 

Le premier carton était vide. De l’autre, notre maman en sortit une guirlande dorée et la déroula. Ma sœur la passa à notre papa. Et encore d’autres guirlandes bien brillantes. Des argentées, des rouges, des vertes. Celles-ci trouvèrent place sans causer de dégâts. L’avant-dernière guirlande était composée de petits moulins en matière plastique, chacun de différentes couleurs, reliés entre eux par un fil électrique. Notre papa mit un temps fou pour l’arranger. De même pour la seconde guirlande, celle-ci composée d’étoiles de différentes couleurs. C’est comme qui dirait que c’était son chef-d’œuvre. Son ouvrage accompli, il recula de deux mètres, histoire de s’offrir une vue d’ensemble.
- Impec, r’garde Oda !
Notre maman trouva que la partie sur la gauche était masquée par les branches du sapin. Notre papa acquiesça. Et revint vers le sapin, bien décidé à mettre cette partie en valeur. Bien trop brusque. En déplaçant la guirlande des moulins, paf ! Une boule fut bousculée, vacilla et finit par s’éclater au sol.
- C’est d’ta faute ! (accusa notre papa en toisant notre maman avec de mauvais yeux).
- Not’ Sotré a fait tomber la boule (rigola ma sœur).
- Le Sotré ! Le Sotré ! (grogna notre papa encore plus vexé).
- T’es maladroit, c’est tout ! Pas la peine d’nous accuser. C’était la plus belle (regretta notre maman en ramassant les débris).
Une belle boule toute brillante de couleur bleue. Avec un creux argenté qui reflétait la lumière et une petite pointe rouge tout aussi rutilante au centre. Eh bien, il n’y en avait plus.

 

Revenu à de meilleurs sentiments, notre papa brancha les guirlandes dans la prise toute proche. « Môon ! Ça biawate » s’enthousiasma ma sœur. Pour clignoter, elles clignotaient. Bien qu’on soit en plein jour et que le Soleil donna le meilleur de lui-même. « Vous verrez lorsqu’il fera nuit, on allumera ».
Au pied du sapin notre papa arrangea un grand papier brun, lui donna des plis et des boursouflures afin de former des rochers. Ainsi, il aménagea une sorte de grotte. Du carton, il sortit quelque chose emballé dans du papier tout fin. L’objet était aussi grand que la paume de sa main. Il déplia le papier et :
- Une vache (reconnu ma sœur. Notre papa fit non de la tête) Un taureau, alors ?
- Non plus…
- C’est quoi ?
- Pas une vache, pas un taureau… (Ma sœur afficha une bouille déconcertée, perplexe même) C’est un bœuf
- Ah oui, j’ai vu dans les champs : les vaches et les taureaux sont noir et blanc. Çui-là, il est brun, nème papa ?
Il réfléchit un moment, tandis que notre maman souriait lorsqu’elle pensait à des choses que les enfants n’avaient pas besoin de connaître. Notre papa finit par lâcher :
- La couleur a rien à voir. Le bœuf, c’est un jeune taureau à qui on a coupé les couilles.
- Milou ! (interjeta notre maman).
- C’est quoi les couilles ?
- Te v’là bien pris (ironisa notre maman).
- Tu rappelles quand on a mangé chez le papa de la Mimie…
- Ah oui. Le papa d’la Mimie, il a dit comme ça : Oda, vous avez mangé des couilles. J’me rappelle. Un bœuf, c’est comme une vache et un taureau sans couille, nème papa ?
Notre papa fit oui de la tête, puis il déballa une Vierge drapée dans sa longue tunique bleue et son voile blanc, un Joseph barbu et vêtu d’une tunique brun foncé, un âne tout gris. Il les plaça dans la grotte.
- Ils habitent dans une grotte comme la Sotrée.
Nos parents levèrent les yeux au Ciel sans faire de remarque. Sauf notre maman qui bougonna :
- Normalement, c’est dans une étable.
- On f’ra ça l’année prochaine (ria notre papa) C’est quand même un crèche, la grotte.

 

Les personnages étaient en plâtre et peints de châtoyantes couleurs. Ils formaient un cercle autour d’un espace vide. Sans rien dire, notre papa prit un truc dans un carton, enleva le papier tout fin. Il arracha quelque chose qu’il fourra dans sa poche. Il croyait que personne ne l’avait vu. Le Fofo m’envoya une œillade complice. Mais, nous nous gardâmes bien de lui gâcher son plaisir. Au milieu des personnages, notre papa posa son truc :
- C’est pour faire quoi ? (demanda ma sœur).
- Le P’ti-Jésus va naître là (répondit notre papa sur un ton solennel).
- Ah, le P’ti-Jésus c’est lui, là ! (Ma sœur montrait le Christ sur la croix. Nos parents approuvèrent. Ma sœur s’étouffa dans un rire convulsif. Elle finit par) Il est trop gros pour aller sur ta paillasse ! Et qu’est-ce qu’ils font là ?
Nos parents se lancèrent dans des explications bien alambiquées. Sur la croix, le Christ avait 33 ans. Si je me souviens bien. Sur la paillasse, il allait naître. Passons… Comme le P’ti-Jésus allait naître cul-nu, l’âne et le bœuf le réchaufferaient en soufflant sur lui. La Vierge était la maman et le Joseph le papa.
- J’aime bien la Légende du P’ti-Jésus (fit ma sœur en secouant la tête).
- C’est pas une légende… C’est… C’est… La religion.
Ma sœur haussa les épaules. Puis :
- Bâ, alôre, c’est pas Dieu le père du P’ti-Jésus comme t’as dis l’aut’ fois.
Là, nos parents étaient coincés avec leur bondieuserie. Enfin, pas tant que cela parce que, vois-tu, nos parents, ils savaient raconter les histoires et inventer des suites. Même si, souvent, ils s’embourbaient dans leur récit. C’était simple, le Joseph était le père terrestre du P’ti-Jésus et Dieu c’était le vrai père. C’était même l’archange Saint-Michel qui avait apporté la graine. « C’est comme le père Qoku, nème ? ». Nos parents se regardèrent, puis pouffèrent. Ils ne se doutaient certainement pas que ma sœur les avait entendus parler de cette histoire : la femme de monsieur Qoku chnâillait à gauche et à droite. On ne pouvait dénombrer ses amants sur les doigts des mains tellement il y en avait. Et, parait-il, que chacun de ses enfants avait un père différent.
Je dois bien reconnaître que la Légende du P’ti-Jésus était fort intéressante. A chaque fête, nos parents rajoutaient des personnages ou des aventures. Je me souviens qu’au 15 Août dernier, ils nous avaient raconté une histoire avec la Vierge. Bon, je ne me rappelle plus des détails, faudra que je demande à notre maman qu’elle me l’a raconte à nouveau. En fait, grâce à leur imagination, nos parents rendaient la légende du P’ti-Jésus presque aussi passionnante que la Légende de not’ Sotré. Sauf que lui, not’ Sotré, il se manifestait régulièrement en faisant des blagues.

 
 
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La suite

Réveillon

Une bonne bouffe ?
Pas pour tout le monde…

(La Noël // C’est la fête)

 

Le Sotré
Purification
La Noël :
~ Le sapin
~ Réveillon
~ Nouvel An
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiawessamedi 13 décembre 1952

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 3 ans 1/2, j'ai 1 an, le Fofo 9 ans, la tante Agathe 85 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2,

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 23/10/2023

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