Big Cat

(La Mahon)

Dès qu’elle nous entendait monter l’escalier, la Mahon accourait. A l’ouverture de la porte coulissante… Ah oui, le logement de nos grands-parents était fermé par une porte coulissante. Une bien large porte et vitrée avec ça. La queue dressée à la verticale, la Mahon se frottait contre nos jambes et miaulait à n’en plus finir.
La Mahon était arrivée chez nos grands-parents d’une bien drôle de façon. Pour connaître cela, il nous faut remonter à janvier 1945… Evidemment que je n’étais pas né ! Et ma sœur non plus ! C’est notre maman qui nous a raconté l’histoire. Notre petite ville avait été « libérée » depuis la mi-novembre. Moôn ! Des combats à n’en plus finir. Si bien qu’une bonne partie de la ville était réduite en champ de ruines.
Et voilà qu’en janvier, l’Administration française décide de reprendre en main l’Alsace-Lorraine. On bat le rappel des fonctionnaires exilés. Aussitôt, notre pépère fait sa valise et quitte Albi. Sa famille rentrera plus tard.

 

Bref, notre pépère rentra. Tout juste quelques éraflures sur la façade de la Sous-préfecture. Un coup d’œil vers la porte au large ouverte de son bureau, tout était renversé. Au premier étage, la salle de réception, dévastée. Tout autant les bureaux attenants. Il continua de grimper l’escalier, arriva au second étage. La porte coulissa… Moôn ! Un de ces cayons ! Du couloir, il passa à la cuisine, au salon, à la grande chambre, à sa chambre… La plupart des meubles étaient renversés, leur contenu éparpillé sur le sol, les portes arrachées, la vaisselle jetée à terre, brisée. Et les lits ! Dans les lits, on avait tout simplement chié. On s’était même essuyé avec les draps. La vermine nazie s’était déchaînée avant de fuir sous la charge des Américains. C’en était trop.
Complètement abasourdi, le pépère s’apprêtait à partir il ne savait où. Juste au-dessus, un long feulement. Il leva la tête, se retira brusquement en arrière. Un peu plus et son front était entaillé par les griffes. Une grosse tête apparut, du dessus de l’armoire, la seule armoire encore debout soit-dit en passant. Mais vraiment une tête grosse… D'où pouvait bien venir ce chat ? Les locataires précédents devaient le nourrir, je pense que c’était leur chat. Il avait dû passer un sale moment lorsque la ville avait été évacuée. Les soldats allemands avaient autre chose à faire qu'à s'occuper d'un chat.
Qu’est-ce te fais là ? Le pépère réitéra sa question, cette fois en allemand. Un miaou peu engageant répondit. Allez descend, on va voir si on trouve un peu à manger. Le chat miaula bruyamment, se retira d’un coup et se tapis sur l’armoire. D’où il se trouvait, on ne le voyait plus. Ce chat craignait-il les humains ? A voir... Mais sûr, il avait dû avoir quelques problèmes avec les deux pattes. Un bon taquin ? Ou un « propriétaire » mécontent de voir son espace envahi ? On ne sait...

 

Des pas montaient l’escalier. Ils parlaient forts et dans une langue étrangère. Ils devaient être trois ou quatre. Ils entrèrent… C’étaient trois soldats américains, de grands sacs kaki à la main. Le pépère ne comprit rien à leur charabia. Le plus grand Américain mima comme s’il ramassait les détritus qui jonchaient le sol, les enfouissait dans son grand sac et les emmenait je ne sais où…
« Ah, Henri, j’suis bien content que tu sois arrivé ». C’était le Secrétaire de la Sous-préfecture. Enfin, d’avant l’expulsion. Cela faisait presque une semaine qu’il était rentré. Sa maison, intacte alors que celles de la rue qui descendait vers la Petite-Seille n’étaient qu’amas de pierres et de cendres. Sa maison, qui n’avait pas été vandalisée, avait été nettoyée et sa famille ne rentrait que le mois suivant. Il proposa au pépère de dormir chez lui. « J’préfère rester ici… Eux, qu’est-ce qu’ils veulent ? Voler ma vaisselle cassée ? ».
Le Secrétaire rigola, puis traduit les dires du pépère. Tous éclatèrent de rire. Le pépère se demandait si c’était du lard ou du cochon. Trop près de l’armoire, le grand Américain poussa un juron tandis que son calot volait au sol. Il s’écria : « Big Cat, grrr ! ». Le grand Américain parla, parla, parla. Par moment, le Secrétaire perdait le fil de la conversation. Alors, il faisait répéter. Et le grand Américain reprenait son discours. Enfin, le Secrétaire traduit.

 

La cage d’escalier formait un carré. La première partie permettait d’atteindre le demi-palier. Celui-ci était à plat. La partie suivante accédait au palier du premier étage. Là s’ouvrait la porte d’un grand bureau, la double-porte de la salle de réception, celle du bureau du Secrétaire, suivi du bureau du Sous-préfet. Puis l’escalier reprenait son ascension pour atteindre le logement où résidaient nos grands-parents et plus loin le grenier.
Aux demi-paliers se trouvait une fenêtre encadrée par des sortes de niches à la hauteur d’un homme. Autrefois, on y mettait des plantes grasses. Ces niches n’étaient plus occupées depuis les années 1920. Dans les angles du demi-palier, des boiseries sculptées formaient des colonnes qui s’arrêtaient à la hauteur des niches. Big Cat s’agrippait à la colonne et grimpait. Sa niche préférée était la première, celle entre rez-de-chaussée et premier étage. Là, où il y avait le plus de passage. Il se tapissait dans la niche et dès qu’un individu suffisamment grand passait à sa portée, il filait un grand coup de griffes sur la tête. Pourtant, escalier et paliers étaient larges. Mais, il y en avait toujours un qui « rasait » les murs pour la plus grande joie de Big Cat. Une fois la ville prise par les Américains, des soldats lui avaient apporté à manger et l’avaient laissé tranquillement occuper « son » logement jusqu’à l’arrivée de notre pépère.
Le secrétaire reprit le fil de la discussion : « Je leur ai demandé de nettoyer ton logement. T’inquiètes, ils sont sérieux. Ils ne voleront que ta vaisselle cassée », rigola-t-il.
Les Américains avaient bien travaillé, le logement était nettoyé, les meubles encore entiers remis en place. Big Cat siégeait toujours sur son armoire, du moins en soirée. La journée, il s’installait dans sa niche favorite et distribuait ses coups de griffes à ceux qui passaient à sa portée. Lorsqu’il en avait marre, il descendait, sortait par la porte de derrière, se pavanait dans la cour, inspectait l’Hôtel du Sous-préfet encore vide, poussait son exploration jusqu’au jardin-verger, descendait parfois jusqu’à la Petite-Seille. Le soir, il rentrait à la maison, partageait le repas du pépère à distance, puis passait la nuit perché sur son armoire.
Big Cat tolérait le pépère au même titre que le pépère tolérait Big Cat. D’ailleurs, le pépère ne cherchait pas à le caresser. Une fois lui avait suffi. Alors qu’il approchait la main, Big Cat lui avait filé un bon coup de griffes. Chacun son espace et gare à celui qui l’enfreignait.

 

Les mois passèrent. Arriva avec Mai, sa fille Oda. Le reste de la famille rentrerait bien plus tard. La rencontre avec Big Cat se solda par un bon coup de griffes. « Katze de Boches ! » hurla notre maman sans plus jamais se hasarder à le caresser.
Certes le logement était propre, mais bien peu confortable. Il manquait de tout, de la vaisselle au linge. Même pas de lit digne de ce nom pour notre maman. Alors, elle accepta l’offre du Fanfan. Notre sergent de ville qui s’était marié lors de l’exil avec Fanny, était rentré chez lui il n’y avait même pas un mois. La maison du Fanfan avait été épargnée par les bombardements et personne n’avait ravagé l’intérieur. Elle apporterait un confort bien appréciable pour une jeune fille. Cette maison était juste en face de celle de la tante Agathe. Notre maman en profita pour la visiter, la tante n’étant pas encore de retour d’exil. Apparemment, la maison n’avait pas trop souffert, mis à part quelques fissures qui gardaient le souvenir des tremblements provoqués par les bombardements de novembre dernier. Tout le mobilier était en bon état, un mobilier qu’elle ne connaissait pas. Plus tard, elle apprendrait qu’il s’agissait des meubles de leurs petits-cousins Higelin. Des Nazis notoires en fuitent.

 

En août, le pépère avait reconstitué son ménage : de nouveaux lits, de nouveaux meubles, de la vaisselle, du linge propre, etc. Notre maman réintégra le logement familial. C’est à cette époque que la mémère et sa famille furent de retour d’exil. Mais voilà, Big Cat occupait toujours son armoire et défendait ce qu’il pensait être sa maison. Ainsi, il accueillit la mémère en feulant et se jeta dans ses jambes où il planta ses griffes dans le mollet gauche. « Manre Katze » s’écria la mémère « Fout ce manre Katze des Boches à la porte ». D’habitude, le pépère se pliait aux quatre volontés de sa femme, mais cette fois il refusa : « Faut le laisser vivre sa vie. Si tu l’embêtes pas, il te laissera tranquille. C’est mon compagnon depuis huit mois ». Il y en eu des lamentations et des lamentations, n’empêche que le pépère ne céda pas. Big Cat resta.
Et le temps passait. La Sous-préfecture avait retrouvé son animation habituelle. Tous les employés étaient à leur poste et le nouveau Sous-préfet avait pris ses fonctions. Big Cat occupait toujours sa niche-mirador dans la journée et distribuait à tout va ses coups de griffes faisant gueuler employés et visiteurs. Le Sous-préfet était même intervenu, le pépère avait promis d’y réfléchir.
Depuis l’arrivée de la mémère, Big Cat avait pris l’habitude que la porte coulissante soit fermée. A son retour de vadrouille, il miaulait, filait des coups de pattes dans la porte, tambourinait jusqu’à temps qu’on lui ouvre. Un soir, ce fut notre maman qui lui ouvrit. Quelle surprise ! Derrière Big Cat, se tenait…

 
 
Flech cyrarr

La suite

Maôôn, maôôn

Une chatte pas comme les autres...

(La Mahon)

 

Le Sotré
~ Coups de dents
~ Big Cat
~ Maôôn, maôôn
~ L'Echappée belle

La Gazette des Fiawesxxxxxxx

En savoir plus sur les personnages :
En savoir plus sur les lieux :
En savoir plus sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire