La cage d’escalier formait un carré. La première partie permettait d’atteindre le demi-palier. Celui-ci était à plat. La partie suivante accédait au palier du premier étage. Là s’ouvrait la porte d’un grand bureau, la double-porte de la salle de réception, celle du bureau du Secrétaire, suivi du bureau du Sous-préfet. Puis l’escalier reprenait son ascension pour atteindre le logement où résidaient nos grands-parents et plus loin le grenier.
Aux demi-paliers se trouvait une fenêtre encadrée par des sortes de niches à la hauteur d’un homme. Autrefois, on y mettait des plantes grasses. Ces niches n’étaient plus occupées depuis les années 1920. Dans les angles du demi-palier, des boiseries sculptées formaient des colonnes qui s’arrêtaient à la hauteur des niches. Big Cat s’agrippait à la colonne et grimpait. Sa niche préférée était la première, celle entre rez-de-chaussée et premier étage. Là, où il y avait le plus de passage. Il se tapissait dans la niche et dès qu’un individu suffisamment grand passait à sa portée, il filait un grand coup de griffes sur la tête. Pourtant, escalier et paliers étaient larges. Mais, il y en avait toujours un qui « rasait » les murs pour la plus grande joie de Big Cat. Une fois la ville prise par les Américains, des soldats lui avaient apporté à manger et l’avaient laissé tranquillement occuper « son » logement jusqu’à l’arrivée de notre pépère.
Le secrétaire reprit le fil de la discussion : « Je leur ai demandé de nettoyer ton logement. T’inquiètes, ils sont sérieux. Ils ne voleront que ta vaisselle cassée », rigola-t-il.
Les Américains avaient bien travaillé, le logement était nettoyé, les meubles encore entiers remis en place. Big Cat siégeait toujours sur son armoire, du moins en soirée. La journée, il s’installait dans sa niche favorite et distribuait ses coups de griffes à ceux qui passaient à sa portée. Lorsqu’il en avait marre, il descendait, sortait par la porte de derrière, se pavanait dans la cour, inspectait l’Hôtel du Sous-préfet encore vide, poussait son exploration jusqu’au jardin-verger, descendait parfois jusqu’à la Petite-Seille. Le soir, il rentrait à la maison, partageait le repas du pépère à distance, puis passait la nuit perché sur son armoire.
Big Cat tolérait le pépère au même titre que le pépère tolérait Big Cat. D’ailleurs, le pépère ne cherchait pas à le caresser. Une fois lui avait suffi. Alors qu’il approchait la main, Big Cat lui avait filé un bon coup de griffes. Chacun son espace et gare à celui qui l’enfreignait.