Maôôn, maôôn

(La Mahon)

Une chatte se tenait derrière Big Cat. Une belle chatte tigrée, avec la queue dressée à la verticale, et qui tonitruait des « Maôôn, maôôn » à tout va. La chatte se frotta contre les jambes de notre maman, puis contre celles de notre pépère qui était venu voir ce qu’il se passait. Son œil droit était, disons, normal. Tandis que le gauche était bien sombre.
- Elle a dû prendre une pierre ou une branche dans l’œil (diagnostiqua notre maman).
- Ça doit faire un moment (répondit le pépère. Il rajouta) Elle a dû être abandonnée et Big Cat l’a adoptée.
- Ah, non ! Pas un autre Katze (s’écria la mémère).
D’abord ce n’était pas un Katze, mais une Katze ! Et en poussant de longs « Maôôn, maôôn », la chatte entra. La mémère se taisait. Je dirais plutôt qu’elle faisait la gueule. Par contre notre maman :
- Comment on va t’appeler ?
« Maôôn, maôôn » que répondit la chatte.
- Voilà, on va l’appeler Mahon.
Ainsi la baptisa le pépère.

 

La Mahon avait partagé son repas avec Big Cat. Après, selon la tradition, Big Cat s’était juché sur son perchoir favori : l’armoire. La Mahon avait voulu le suivre. En vain. Elle n’avait pas réussi à grimper. Notre maman qui avait son lit dans la même pièce eut la surprise, au cours de la nuit, de la découvrir couchée contre elle en ronronnant comme une bienheureuse. Tout le contraire de Big Cat. La Mahon était douce, affectueuse, gentille et refusait de partir à l’aventure comme le faisait le gros matou. Les mamours de sa jeune amie ne troublèrent nullement Big Cat qui s’entêtait à faire le « Katze des Boches » et griffait sans vergogne celle ou celui qui l’approchait de trop.
Le soir lorsqu’il rentrait, la Mahon lui faisait la fête. Elle se frottait contre son gros corps et miaulait à n’en plus finir. Mais Big Cat ne supportait guère longtemps ces démonstrations de tendresse. Un coup d’épaule éloignait la Mahon. Et si elle n’avait pas compris, un bon coup de patte sur la tête, sans sortir les griffes, réfrénait ses ardeurs.
Et puis un jour, Big Cat avait terminé sa séance de griffage dans la cage d’escalier. Il descendit de sa niche, dégringola les marches. D’habitude, il sortait par la porte de derrière, celle qui donnait sur la cour. Mais, ce jour là, il trouva la porte de devant, les deux battants au large ouvert. C’est qu’on apportait de nouveaux meubles de bureaux… Les livreurs le surprirent assis sur le grès du perron, leur interdisant le passage. Les furieux feulements ne les impressionnèrent aucunement. L’un d’eux tapa du pied, gesticula en criant et en avançant. Big Cat prit les jambes à son cou, passa sous le camion des livreurs et se retrouva sur la chaussée. Un convoi militaire américain dévalait la rue. Le premier camion l’écrabouilla, les suivants achevèrent de le réduire en infâme bouillie.

 

Le pépère fut bien des jours triste : il avait perdu son vieux compagnon d’infortune. Je n’en dirais pas autant de notre maman et encore moins de notre mémère. Elles ne regrettaient guère ce « manre Katze des Boches ». Toute la nuit, la Mahon attendit le retour de Big Cat. Plantée devant la porte coulissante, elle l’espérait et pleurait lugubrement. Notre maman eut beau aller la chercher, la ramener dans son lit, la cajoler, rien n’y fit. La pauvre Mahon retournait devant la porte déverser sa peine.
Encore heureux que la mémère eut sa chambre au fin fond du logement et qu’elle fermait sa porte. Elle ne l’entendit pas. Le lendemain, les larmes embuèrent les yeux du pépère lorsque notre maman lui conta la détresse nocturne de la Mahon. Il n’était pas le seul à pleurer la disparition de Big Cat.
La chatte passa la journée devant la porte, espérant à chaque fois qu’elle coulissait, Big Cat allait apparaître. Ce jour-là, elle ne mangea pas et on n’entendit aucun de ses « Maôôn ». Et le jour suivant fut de la même veine.
Et puis, peut-être avait-elle compris ce qu’il était arrivé à Big Cat, la Mahon arrêta de faire le guet et se remit à manger. Mais, chaque fois que la porte coulissait, elle se précipitait. C’est à cette époque que la mémère changea son fusil d’épaule. Lorsque son mari était au travail et que sa fille vadrouillait en ville, la mémère prenait la Mahon sur ses genoux et la câlinait. Un retour inopinée de notre maman la surpris. Désormais, la mémère dorlota la Mahon au grand jour.

 

Le temps passait. Les « Maôôn, maôôn » revinrent comme par enchantement. Elle avait gardé l’habitude de se précipiter lorsque la porte coulissait. La queue dressée à la verticale, elle accueillait les nouveaux arrivants par ses miaulements et se frottait contre les jambes jusqu’à temps qu’on la caresse.
La Mahon passait toujours ses nuits avec notre maman. Et notre maman fréquenta le Milou. Et notre maman se maria avec notre papa. Nos parents habitèrent à la Sous-préfecture, chez nos grands-parents. Dans ce logement où notre maman était née et avait toujours vécu. Sans discuter, notre papa accepta la chatte dans le lit, sauf lors de certains câlins… Et le ventre de notre maman gonfla, gonfla. Un jour la Mahon grimpa sur son ventre et, après avoir longuement reniflé, elle se mit à lui masser le ventre avec les pattes de devant. Et puis, la Mahon devint grosse, mais grosse…
Et la Mikète vint au monde dans cette pièce que partageaient nos parents et la Mahon. La chatte fut un des premiers êtres vivants que ma sœur découvrit en ouvrant les yeux. Et durant la nuit…

 

Ce fut notre papa qui s’en aperçut le premier. Normal vu qu’il se levait bien tôt pour prendre le train qui le mènerait à son travail, à Nancy. On peut dire que la Mikète était sa fierté. Aussi, dès qu’il posa les pieds sur le plancher, il rendit visite à sa fille. Juste à côté de la tête de ma sœur, un chaton nouveau-né. Il était tout noir et un petit médaillon de poils blancs ornait son cou. Il n’avait rien hérité, question pelage, de sa mère. Justement, la Mahon se tenait aux pieds de ma sœur, surveillant la nouvelle progéniture. Notre papa fut si émerveillé qu’il secoua notre maman.
- Qu’est-ce passe ? (fit-elle en écarquillant les yeux).
- Viens voir Oda.
- Oh ! Quelles sont mignonnes.
« Maôôn, maôôn… »
- Chut t’vâs réveiller les piates…
C’est que notre papa, tout comme notre maman, ne savaient pas que le chaton était un mâle. Ils admirèrent si longtemps le tableau que notre papa s’écria : « Merde ! J’ai raté mon train ! ». Pas si grave que cela puisque le second train pour Nancy partait dans une heure. Il arriverait en retard à son travail, c’était tout.
Lorsque le pépère et la mémère se levèrent, ils trouvèrent notre maman en admiration.
- Tu devrais enlever le katze, on ne sait jamais.
- Penses-tu (rétorqua notre maman) Regarde, ils dorment comme des anges.

 

Notre maman et nos grands-parents étaient attablés devant leur petit-déjeuner lorsque retentirent de féroces miaous et les pleurs de ma sœur. Aussitôt, ils coururent.
- Ben Mahon, t’es pas gentille avec ton bébé (la réprimanda notre maman. La Mahon avait attrapé le chaton par l’oreille et l’avait éjecté du berceau) T’es une mauvaise mère !
Enfin, la Mahon lâcha prise. Le pauvre chaton noir au médaillon de poils blancs qui garnissait sa gorge restait pétrifié sur le plancher.
- Oh ! La peûte bête (s’en mêla la mémère) Regarde voir, elle lui a troué l’oreille.
Et ma sœur qui braillait toujours. La mémère se pencha sur le berceau :
- Elle a la main en sang !
Le temps que notre maman et nos grands-parents s’apitoient sur le sort de ma sœur, la Mahon était remonté sur le berceau et lançait de tonitruants « Maôôn, maôôn ». La situation était inversée : la Mahon n’avait pas viré le chaton pour rien. Du coup, notre maman la félicita :
- C’est bien ma fille. Tu as défendu la Mikète. J’avais pas compris.
Dans son élan, notre maman voulut sermonner le chaton. Impossible ! Plus de chaton. Notre maman et le pépère cherchèrent dans la pièce : le chaton avait disparu, tout bonnement évaporé le chaton.
Ah oui, j’oubliais, rassures-toi. Certes le chaton avait donné un bon coup de griffes sur la main de ma sœur, mais sans l’avoir vraiment entailler. Et le « Elle a la main en sang ! » de la mémère était bien trop exagéré. Toujours est-il que l’on ne revit jamais le chaton. Ce chaton avec son médaillon de poils blancs avait bel et bien disparu. Disparu, le chaton ? A voir…
Quelques jours passèrent et la Mahon s’installa à côté de ma sœur. C’était comme si c’était son bébé. Dès que ma sœur chouinait ou pleurait, la Mahon lui badigeonnait le visage. Et ma sœur s’apaisait.

 
 
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L'Echappée belle

Funambule ?

(La Mahon)

 

Le Sotré
~ Coups de dents
Big Cat
~ Maôôn, maôôn
~ L'Echappée belle

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Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

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