Une Légende !

La Bianche-tète (suite) - (Le Sotré)

 
 

J’écarquillai les yeux. Je me dressai : Mikète, ousque t’es ?
- Là, Dabo… Dans mon lit… La Bianche-tète a disparu.
La porte s’ouvrit : « On a bien dormi ? ». En un tour de main, notre maman m’attrapa, me souleva, me déposa sur le plancher. Une langue me râpa le visage. D’un revers de coude, j’éloignai l’intrus. Celui-ci s’élança vers la Mikète qui s’amusa avec lui. L’ouverture de la fenêtre nous fit trembloter. Le couinement des gonds nous réveilla complètement. L’ouverture des volets nous fit cligner des yeux.
- Bonjour madame Chlodère, ça va ?
Le chaleureux accent de Fanny s’engouffra dans la chambre. Nous nous précipitâmes pour faire bonjour.
- File, tu vas avoir froid (nous réprimanda notre maman. Puis, à Fanny) On va encore avoir de la pluie.
- Qu’est-ce que vous dîtes ?
Un tintamarre martelait les pavés. Le passage du camion nous cacha Fanny un bref instant. Des camions, il n’en passait guère. Mais, il en suffisait d’un pour causer quelques désagréments, surtout la nuit. Les vitres en vibraient tant c’était fort. Et finissait même par nous réveiller en sursaut. Et je ne parle pas des convois militaires américains. Là, cela devenait insupportable. « J’vâs foutre une bombe pour les empêcher d’passer ! » morigénait notre papa.

 

Notre rue était large comme tout. Quatre ou cinq automobiles auraient pu y rouler de front. Et les trottoirs. Moôn ! on pouvait y jouer tranquillement et en sécurité. « C’est nos Champs-Elysées » plaisantaient certains. Au point que pour s’entendre avec Fanny, notre maman devait crier.
- I vâ pleuvoir. Quand même, à la mi-mai...
- Il faut repartir chez nous.
« Chez nous » était trop loin. Pour Fanny, « chez nous », c’était la Dordogne où elle était née. Pour notre maman, « chez nous », c’était Albi, là où elle avait été en exil durant la guerre.
- Chez nous ! Chez nous ! Z’êtes pas bien ici ?
C’était notre facteur qui arrivait. Selon la coutume, la tante avait ouvert sa fenêtre et attendait le courrier. De notre perchoir, nous ne la voyions pas vu qu’elle habitait juste en-dessous. Ma sœur cria un joyeux : « Bonjour tante Agathe » tandis que notre maman :
- Vous avez passé une bonne nuit ?
- Meilleure qu’hier. Mes rhumatismes m’ont laissée tranquille.
- J’âs vu l’Fanfan du côté d’la Poste. Il était déjà en action (rigola le facteur).
Fanny était une petite boulotte d’une quarantaine d’années aux cheveux frisées. Son premier mari avait été tué à la guerre en mai 1940. Elle habitait Saint-Cyprien. Là où fut expulsé le Fanfan, notre sergent de ville. Le Fanfan était un célibataire convaincu jusqu’au jour où le coup de foudre le propulsa dans les bras de Fanny.
- Et votre dame ? (demanda Fanny).
Comme elle, l’épouse du facteur était originaire de la Dordogne. Plus âgé d’une dizaine d’années que notre maman, le facteur était le conscrit, de la même année si tu préfères que notre nonôn Popaul. Il avait quatre enfants, les deux derniers étaient une fille de l’âge de ma sœur et un garçon de mon âge.
- Et les enfants, ça va ?
- Ça va (que répondit le facteur à notre maman) Le p’tit marche, enfin il brinquebale depuis avant-hier.
- Il est en avance sur mon Dabo.
- Bâ, il est de février de l’année dernière…
Ben oui, notre maman racontait n’importe quoi, moi je n’étais né qu’à la mi-octobre.

 

Les salutations réglées, notre maman nous entraîna vers la cuisine. Le petit déjeuner pouvait démarrer. Nous racontâmes notre aventure chez la Bianche-tète. Tout ce que notre maman trouva à dire : « Eh ben, t’as fait un sacré rêve ». Malgré notre insistance, elle n’en démordait pas : un rêve. Pire, elle soutint qu’il n’y avait pas de Bianche-tète au Beaurepaire. Nous l’interrogeâmes sur le Sotré. Elle évacua le problème : « Le Sotré, c’est des bêtises. Ça n’existe pas, c’est la légende. Tu comprends ? ». Notre maman niait tout en bloc.
Le soir, dès que notre papa mit un pied dans le logement :
- Depuis ce matin, ta fille me bassine avec ses sornettes de Sotré.
- Au moins, elle a de l’imagination (s’esclaffa notre papa. Bref, il nous servit la même soupe : un sacré rêve. Il rajouta en riant) Le Sotré, c’est toi !
- J’te jure (fit notre maman) J’me d’mande ousqu’elle va chercher tout ça.
- Cherche pas, c’est ta mère qui lui raconte ces histoires.

 

Le lendemain, nous fîmes tellement damner notre maman, qu’elle nous accompagna au Beaurepaire. Le Fofo trottinait à nos côtés.
- Alors ? J’avais pas raison !
Tu me croiras si tu veux, mais de maison de la Bianche-tète, il n’y en avait plus. Volatilisée… R’garde Mikète, là ! Nous nous élançâmes. Le Fofo sur nos talons. Là, en face, dans le chemin qui longeait le Tribunal…
- A traverser comme ça, un jour t’vâs te faire écraser. Mikète, r’viens !
- On va voir le chat (cria ma sœur).
- Quel chat ?
Le chat noir, pardi ! Celui avec son médaillon de poils blancs à la gorge et son oreille droite trouée. Le chat de la Bianche-tète, enfin ! Notre maman était miro ou quoi ? Et même sourde ! Il miaulait comme un perdu. Lorsque nous atteignîmes le Tribunal. Pfuitt ! Evaporé, le chat ! Le Fofo eut beau flairer partout, il ne retrouva pas sa trace. La Bianche-tète s’était réfugiée dans un endroit secret pour ne pas être découverte. Le chat noir aurait voulu nous guider vers elle, mais la présence de notre maman l’avait contrarié.

 

Notre maman avait envisagé descendre la rue du Beaurepaire, puis aller sur la route de Milo. Une bonne petite ballade. Sauf, qu’il s’était mis à pleuvioter. Alors, retour à la maison. Nous fîmes un bout de chemin en compagnie de la Mélie. Plus âgée que notre mémère, elle habitait notre rue, un peu plus bas. Notre maman lui conta notre histoire.
- Te connais le Sotré, toi (s’esclaffa la Mélie à l’adresse de ma sœur. Elle prit un regard ténébreux) La Bianche-tète ! La Bianche-tète ! Vinrats ! Lorsqu’on croise une vieille femme aux cheveux blancs sur son chemin, ça porte malheur.
- Alors, va arriver malheur (rétorqua ma sœur) Pass’que t’as les ch’veux blancs et qu’on t’a croisée !
Cela cloua le bec à la Mélie. Arrivés à notre maison, nous profitâmes de l’éclaircie pour faire halte à la fenêtre de la tante. A nouveau notre maman conta notre histoire. La tante et la Mélie rirent de bon cœur.
- Le Sotré est insaisissable. Surtout pour vous Oda.
- M’en parlez pas, tante Agathe (souffla notre maman) Et, maintenant, un chat noir invisible.

 

Au fil du temps, nous avions fini par nous résigner : la Bianche-tète était apparue pour nous enseigner l’histoire de notre pays, la Terre. Sa mission accomplie, elle était tout bonnement repartie je ne sais où. Il nous appartenait de trouver le Sotré par nous-mêmes. Comment faire ? Elle ne nous l’avait pas dit. Ils y avaient bien nos parents. Eux, ils connaissaient beaucoup de choses. Mais, voilà ils niaient l’existence du Sotré en se réfugiant derrière la Légende. Ils prétendaient que la Bianche-tète et le chat noir étaient des inventions de ma sœur.
La Bianche-tète nous avait dit que le Sotré était un esprit. Très bien. C’est quoi un esprit ? Quelque chose qu’on ne voit pas et qui, pourtant, fait des plaisanteries. Tiens, pas plus tard que ce matin, il avait placé une assiette de la dinette de ma sœur sous les pieds de notre maman. L’autre jour, il avait fait déborder le lait qui chauffait sur la cuisinière. Souvent, il cachait les ustensiles de cuisine de notre maman ou les outils de notre papa. Même le Fofo en était la victime : le Sotré lui tirait la queue ou une oreille. Alors, notre Fofo tournait en rond pour pincer le malotru ou se grattait la tête avec une telle ferveur. Chez la tante Agathe, le Sotré avait mis le feu dans la poêle où grillait un steak. Dès lors, notre maman avait décidé de préparer les repas de la tante.
- Coment qu’c’est un esprit ?
Notre maman réfléchit un moment avant de répondre :
- Il y a le Père, le Fils et le Saint-Esprit (Ma sœur afficha une bouille tellement déconfite que notre maman se creusa encore la cervelle) Tu sais le soir, on fait la prière (ma sœur secoua la tête en signe d’assentiment) D’abord le signe de croix : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il…
- C’est qui le Père ?
- Dieu… Le père du P’tit Jésus…
- C’est qui le Fils ?
- Ben… Le P’tit Jésus… Et son père, c’est Dieu.
- Alors, le Saint-Esprit, c’est not’ Sotré, nème môman ?
- Mais, non… Mais, non… Le Sotré, c’est la légende.
- Alors Dieu, le P’tit Jésus et le Saint-Esprit, c’est aussi la Légende.
- Mais, non… R’garde (notre maman montra le crucifix pendu au mur de la cuisine) c’est lui le P’tit Jésus.
- Alors, c’est pas un vrai monsieur. C’est la légende.
- Oh, tu m’enquiquines.

 
 
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La suite

A la moulinette

C’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire des grimaces, vâ !

(Le Sotré)



 

La Bianche-tète
Terre !
~ Une Légende !
~ A la moulinette
~ La Suisse des Morts
~ La Grotte
~ Sorti du feu

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur dépasse ses 3 ans, j'ai 7 mois, le Fofo 9 ans, la tante Agathe 85 ans, notre maman 26 ans, notre papa 25 ans 1/2, le Fanfan 41 ans et Fanny 39 ans, la Mélie 69 ans, le facteur 36 ans

En savoir plus sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

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Date de dernière mise à jour : 02/12/2023

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