Au fil du temps, nous avions fini par nous résigner : la Bianche-tète était apparue pour nous enseigner l’histoire de notre pays, la Terre. Sa mission accomplie, elle était tout bonnement repartie je ne sais où. Il nous appartenait de trouver le Sotré par nous-mêmes. Comment faire ? Elle ne nous l’avait pas dit. Ils y avaient bien nos parents. Eux, ils connaissaient beaucoup de choses. Mais, voilà ils niaient l’existence du Sotré en se réfugiant derrière la Légende. Ils prétendaient que la Bianche-tète et le chat noir étaient des inventions de ma sœur.
La Bianche-tète nous avait dit que le Sotré était un esprit. Très bien. C’est quoi un esprit ? Quelque chose qu’on ne voit pas et qui, pourtant, fait des plaisanteries. Tiens, pas plus tard que ce matin, il avait placé une assiette de la dinette de ma sœur sous les pieds de notre maman. L’autre jour, il avait fait déborder le lait qui chauffait sur la cuisinière. Souvent, il cachait les ustensiles de cuisine de notre maman ou les outils de notre papa. Même le Fofo en était la victime : le Sotré lui tirait la queue ou une oreille. Alors, notre Fofo tournait en rond pour pincer le malotru ou se grattait la tête avec une telle ferveur. Chez la tante Agathe, le Sotré avait mis le feu dans la poêle où grillait un steak. Dès lors, notre maman avait décidé de préparer les repas de la tante.
- Coment qu’c’est un esprit ?
Notre maman réfléchit un moment avant de répondre :
- Il y a le Père, le Fils et le Saint-Esprit (Ma sœur afficha une bouille tellement déconfite que notre maman se creusa encore la cervelle) Tu sais le soir, on fait la prière (ma sœur secoua la tête en signe d’assentiment) D’abord le signe de croix : au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Ainsi soit-il…
- C’est qui le Père ?
- Dieu… Le père du P’tit Jésus…
- C’est qui le Fils ?
- Ben… Le P’tit Jésus… Et son père, c’est Dieu.
- Alors, le Saint-Esprit, c’est not’ Sotré, nème môman ?
- Mais, non… Mais, non… Le Sotré, c’est la légende.
- Alors Dieu, le P’tit Jésus et le Saint-Esprit, c’est aussi la Légende.
- Mais, non… R’garde (notre maman montra le crucifix pendu au mur de la cuisine) c’est lui le P’tit Jésus.
- Alors, c’est pas un vrai monsieur. C’est la légende.
- Oh, tu m’enquiquines.