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Ardennes (Les vacances)

Avant de quitter le marchand de fruits, ma sœur lui reprocha :
- Elles sont pourries tes pommes jaunes.
- Penses-tu.
- Bâ, y’a plein de petites tâches !
- Ce sont des pommes à cidre (et pour bien lui faire comprendre de quoi il s’agissait, il désigna les bouteilles qui s’attroupaient à l’extrémité de l’étal) Tu reviens le mois prochain, je te ferais peser les fruits.
- Peut-être, on verra… J’habite pas ici.
- Tu habites où ?
- Quelque part en Lorraine. Vers Nânci et Mès (fit-elle en levant les bras et en désignant d’une main on ne sait quel endroit).
- Oulala, c’est bien loin (ironisa le marchand).

 

Nos succulentes pommes rouges entamaient l’épisode de la digestion. Un dernier tour de marché et :
- Tu paies ton chlouk ? (Charles la regarda bizarrement) Tu paies ton coup ! Tu paies ta bière, si tu préfères.
Nous nous installâmes sur la terrasse d’un café. Il y en avait plusieurs sur cette grande place.
- Bonjour messieurs-dames (arriva le serveur).
- J’suis pas une dame (rigola ma sœur) J’suis une fille.
- Oh, pardon (fit le serveur sur le même ton) Bonjour fille. Qu’est-ce que je vous sers ?
- Une bière ! (commanda ma sœur).
- Moi aussi (rajoutai-je).
Le serveur se grapouilla la tête :
- Vous ne préférez pas un Coca ?
- C’est quoi un Coca ? (demanda ma sœur en exorbitant les yeux).
- Une sorte de limonade, un soda (expliqua Charles).
- Bon, on va boire ça.
- Ils sont bien éveillés vos enfants.
- Hou, ce ne sont pas mes enfants. Je les ai ramassés dans le caniveau. Ce sont des Martiens (pouffa-t-il).
- Faut pas l’écouter, i raconte que des conneries…
- Hé ! Hé !
- Oui ! Des bêtises. Tu sais (reprit-elle en s’adressant au serveur) I nous z’a dit qu’il nous emmenait à la mer…
- Je n’ai jamais dit que je vous emmenais à la mer. J’ai juste dit que vous verriez la mer plus tard.
- C’est pareil ! (grogna ma sœur. Elle reprit à l’intention du serveur) Bâ, à la place, il nous a emmené à la Meûse ousqu’y’a une île.
- Ce n’était pas beau ? (demanda le serveur sur un ton rieur).
- C’était beau, oui. Mais, on voulait aller à la mer. Nème le Dabo ?
J’acquiesçai, tandis que le serveur se tournait vers Charles :
- Et le monsieur, il veut quoi ? Pas la mer, j’espère, parce que je n’en ai pas en stock.
- Une bière, ça me suffira (répondit Charles sur le même ton blagueur).

Photos Schlauder, septembre 2021

 

Bon, bon, nous avions bu ce Coca-Cola. Franchement, c’était pas bon. Bien moins bon que notre limonade ou que notre Sic. Nous nous étions faits avoir, on ne nous y reprendrait plus. Cette pause fut, ma foi, fort agréable et bien réparatrice pour affronter la suite de la visite. Charles décréta le départ, mais avant il fallait payer l’addition.
- 9,50 (annonça le serveur).
Charles sortit de son portefeuille un drôle de billet. Il était tout petit et l’image ne ressemblait nullement à celles des billets que nous connaissions. Voyant nos mines ahuries, Charles lâcha en se moquant :
- Ah, ce n’est pas vos anciens Francs, ce sont des Euros.
- Ben ! (s’empressa le serveur en s’emparant du billet que ma sœur allait examiner de près) C’est à moi ! (rigola-t-il en lui mettant le billet sous le nez) Tu n’as jamais vu de billet ? Ça, je ne te crois pas.
- Ce sont des Martiens, je vous dis (s’esclaffa Charles).
Le serveur encaissa le billet et rendit d’aussi drôles de pièces. Et tout le monde ria de bon cœur, même nous qui étions les dindons de la farce. Pardon, les sujets de la moquerie.

 

Photos Schlauder, septembre 2021

Nous avions quitté cette belle place Ducale et reprit notre cheminement à travers les rues. Ah, c’est qu’il nous en faisait faire des kilomètres, Charles. Tu peux me croire. Une visite des remparts et :
- Bon maintenant, vous allez dormir (décréta Charles).
- Bâ, on mange pas ?
- Je vous emmène au restaurant.
- Super ! Chez nous y’a des restaurants (dit ma sœur en montrant deux doigts), mais on a jamais été. Le papâ i dit : c’est trop cher. Charles nous fit retraverser la ville. Pour ainsi dire, nous étions revenus à notre point de départ. Bon, j’exagère un peu. Mais, franchement, j’en avais plein les pattes. Il faisait nuit lorsque nous nous installâmes sur la terrasse d’un restaurant. Arriva le serveur :
- Messieurs, dame.
Cette fois, ma sœur ne le reprit pas. A quoi bon ! Il demanda le « Pass sanitaire ». Charles chercha dans sa poche, sortit son téléphone…
- Tu téléphones à ta chérie ? (me moquai-je).
Charles secoua la tête de droite à gauche en grimaçant. Il montra son téléphone au serveur. Celui-ci sembla satisfait en lâchant un « C’est bon ». Il distribua les menus, autant dire que nous étions incapables de dire ce qu’ils proposaient. Le serveur demanda si l’on prenait l’apéro :
- Un pastis ! (m’écriai-je).
- Un Martini (rajouta ma sœur).
- Bien sûr. Un Coca pour vous mettre la tête encore plus mal en point (badina Charles).
- Ah non ! C’est trop dégueulasse. Qu’est-ce que je peux prendre ? (demanda ma sœur au serveur).
- Un jus de fruit. A la pomme ? Au raisin ? …
- Au raisin ! (nous enthousiasmâmes).
- Pourquoi t’as montré ton téléphone au monsieur ? (demandai-je).

 

Alors là, je suis bien incapable de vous rapporter tout ce Charles nous raconta. D’après le peu que j’ai saisi, avec leur Corona virus, les gens étaient obligés de porter un masque pour éviter la contagion. Ce qui se faisait plus ou moins, quoique le masque n’était pas obligatoire partout. Il existait un vaccin qui protégeait plus ou moins. Ceux qui étaient vaccinés obtenaient un « Pass sanitaire », une sorte d’autorisation pour aller au restaurant, au cinéma, dans les musées, etc. Notre maman aurait appeler cela un Ausweiss.
Et nous n’étions pas au bout de nos découvertes avec ce téléphone, Charles nous fit défiler toute une série de photos. Nous étions même dedans ! Ma sœur lorsqu’elle s’intéressait à la pesée des pommes. Et nous deux lorsque nous grimacions en buvant ce vinrats d’vinrats de Coca-Cola. Et il pouvait même envoyer des messages et en recevoir…
- Envoie un message à ta chérie (fit ma sœur avec un brin de malice).
- Ma chérie ?
- Oh, tu comprends rien. Not’ papâ i appelle not’ môman comme ça !
- Je lui dis quoi ?
- Bâ… demande-lui quèce qu’elle fait.
Le gros doigt de Charles tapota son téléphone. D’un air ravi, il lâcha :
- Voilà, c’est fait.
Un court instant et une sonnerie s’évada du téléphone.
- Elle est en train de lire… (dit-il en nous nous montrant le SMS qu’il venait de recevoir).
- C’est ta chérie qui écrit ça ? (D’un hochement de tête, Charles acquiesça) Et elle lit quoi ?
A la place de me répondre, Charles tapota l’écran de son téléphone. La réponse arriva rapidement toujours annoncée par la petite sonnerie. Charles éclata de rire :
- Elle me dit : tu n’as pas autre chose à faire que de me distraire dans ma lecture. Elle lit : « La Révolution d’Octobre » de Léon Trotsky.

 

Nous nous ébahissions devant cet appareil miraculeux tandis que Charles cherchait quelque chose sur son écran. Il finit par nous faire la lecture :

 
 

« De chez les vieux Schnapsidee à la Sous-préfecture, il y avait quoi trente mètres à tout casser. Une automobile s’arrêta alors que nous nous apprêtions à monter les marches. Le couple de l’âge de notre mémère demandait la route de Metz en montrant la ville sur leur carte.
- Comprends rien. Moi, pas parler allemand !
Et la mémère monta les marches et laissa notre maman se dépatouiller pour expliquer la route à prendre. A leur départ, notre maman gara la poussette contre les marches, me prit dans ses bras et en avant pour dire bonjour au pépère qui travaillait dans l’un des bureaux du rez-de-chaussée. Après les civilités d’usage :
- J’sais pas pourquoi t’as pas voulu leur dire la route de Mès. Ça aurait été plus facile pour toi.
- Métze ! Métze ! On est pas Boches ! D’abord, j’parle pas aux Boches ! (tonna la mémère).
- T’viens de discuter en allemand avec des Allemands, y’a pas cinq minutes !
- Les Schnapsidee, c’est pas pareil. C’est des Allemands d’chez nous. Les autres, pfuitt !
Le pépère dit que lui, il aurait indiqué la route, que tous les Allemands n’étaient pas forcément mauvais. La mémère remit l’histoire de la moulinette sur le tapis. Le pépère l’approuva sans commenter. Et notre mémère embarqua ma sœur en lançant à notre maman : « Vers six heures, j’ramènerai la p’tite ».
».

 

- C’est ce que vous avez fait ce matin avant de venir.
- Oh oui, j’me rappelle ! C’est comme ça que tu lis not’ histoire ? Moi, je croyais que tu allais dans la Bibliothèque de la Bianche-tète. C’est magique ton téléphone. Aussi bien qu’la Bianche-tète. T’vois l’Dabo, on est dedans !

 
 
 
 
 
 

 


Bizarre ! Bizarre !
Ça balance
Multifonction
Carte Bleue
Le Verso

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot..

En savoir plus :
Voir le Dictionnaire des Mioches

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 21/10/2023

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Commentaires

  • bernard antoine

    1 bernard antoine Le 12/02/2022

    Magnifique ! Je suis à court de qualificatifs. Quel conteur tu fais, ça pourtant je le savais, pourtant tu m'emballes à chaque fois! Je voudrais bien posséder une imagination aussi débordante. Bravo ! tu fais ma journée.
  • Daniel Schlauder

    2 Daniel Schlauder Le 13/02/2022

    J'essaie d'être un bon conteur, mais le chemin est bien long

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