Une grande haie sépare la maison de Denis de celle d’Hélène derrière laquelle on aperçoit une maison de brique aux nobles proportions. Une arcade ombrage la galerie du rez-de-chaussée et à l’extrémité du perron un escalier en fer forgé monte en demi-spirale vers un balcon qui occupe toute la largeur de la façade. Azalées et rhododendrons étaient en fleur. Ils étalaient leurs couleurs étincelantes et leurs parfums enivrants. Un énorme chêne vert protège la maison tant du soleil que des intempéries.
Sous un ciel bleu où de petits nuages naviguaient tels des yoles à la dérive, Marcel et Denis se présentèrent chez Hélène à l’heure dite, comme il en avait été convenu. Engoncée dans une robe gris perle, elle descendit les marches et ouvrit la porte à ses invités, les pressant d’entrer dans le salon. Elle prit tout de même le temps de vérifier sa tenue devant la glace, observant son reflet un moment. Depuis qu’elle colore ses cheveux, elle ne se reconnait plus. Le gris a laissé place à un blond cendré qui la rajeunit. À l’aide de ses doigts elle rectifia sa coiffure, épousseta sa robe; c’était à la fois une question de dignité et de stratégie féminine. Svelte, gracieuse, un large sourire sur ses lèvres rouges étirait ses yeux en amande.
La maison était assez grande, coquette, meublée avec goût et bien rangée. Il y flottait une odeur de rôti à vous en faire baver. Les deux hommes étaient confortablement assis dans des fauteuils de velours bleu marine alors qu’Hélène, assise en amazone sur les bras du sien, se leva et servit une bonne rasade d’apéro. Disons-le d’emblée, Denis n’avait pas oublié d’amener sa délicieuse bouteille d’alcool à base de framboises noires, dont l’effet premier fut de réchauffer l’atmosphère et de délier les langues. Cette fameuse bouteille sans étiquette « Réservée-aux-amis » a, encore une fois, bien remplie sa mission.
La conversation débuta par le rappel des événements des derniers jours. Comment, je vous le demande, aurait-on pu s’y soustraire ? De la porte-fenêtre de la salle à manger, elle avait assisté, curieuse, à la prestation des Hurons, qu’elle a appréciée, la réconciliant à ce lopin de terre qu’elle avait tant aimé et tant marché, ignorant tout de ce qu’il s’y cachait. Sa première impression lorsque la terrible découverte a été portée à sa connaissance en fut une de vive négation. Puis de perdre une partie d’elle-même quand sept autres sépultures s’y sont ajoutées. C’était trop… Beaucoup trop…
- Je n’ai pas de mot pour exprimer de tels sentiments. Ils sont trop nouveaux, trop neufs pour moi. Après la première, je me disais que je ne pourrais être plus effrayée et pourtant je me sentais envahie par la peur. Je m’étais crue plus forte, mais il n’en était rien. Je tremblais au-dedans, l’âme blême, bouillonnée d’inquiétudes.
Il y avait une gravité mystique sur son visage, ses grands yeux s’emplirent de larmes. Après une pause pour se remettre de ses émotions, elle ajouta :
- J’ai eu à subir cette torpeur, cette léthargie effrayante qui nous ligote comme dans un cauchemar où, les pieds empêtrés, on est dans l’incapacité de s’enfuir. Le long entretient avec mes enfants, hier, m’a ragaillardie. Ces histoires de squelettes ont changés ma façon de voir le futur. J’ai pris une résolution. Je veux en discuter avec vous, monsieur Gagnon et je tenais à ce que tu sois présent, Denis. Passons à table, s’il vous plait !