Retrouvailles

Fratricide (6) Dimanche 17 novembre 1918

- Rompez les rangs ! Quartier libre jusqu’à sept heures.
Une bonne occasion pour Cavé de rendre visite à ses parents. Ils atteignirent la place au moment où les notables de la ville saluaient le drapeau de la Légion… Les civils les arrêtaient, les congratulaient. La première jeune fille qui l’embrassa, Mustapha eut un mouvement de recul…
- J’ai jamais vu ça...
Cavé ne répondit pas. Mustapha s’aperçut que les larmes avaient repris possession des joues de son camarade. Tellement de jeunes filles venaient l’embrasser que Mustapha en était aussi ému que Cavé, pour d’autres raisons. Un vieux qui avait fait la guerre en 1870, lui tapota les épaules à plusieurs reprises :
- Merci ! Merci !

L’heure avançant, Mme Capet décréta qu’il était temps d’aller manger.
- T’as fais une choucroute ? badina Cavé.
- Ton père a tué un lapin. Mon ragoût est prêt depuis hier soir. Heureusement !
- Mustapha ! T’échappes au porc, ria de plus belle Cavé.
- Marthe, t’manges avec nous ! décréta Mme Capet.
- Et mon père…
- Je m’en occupe ! coupa Mr Capet.

Le repas fut joyeux… Bien sûr, ni Louis, ni ses parents, n’avait oublié l’Emile, l’Henri, le Jean, le Victor. Ils n’avaient pas donné de nouvelles depuis semaines. Même pas une simple carte pour dire qu’ils étaient toujours en vie.
- On ne sait même pas s’ils sont encore sur le front russe… soupira Mme Capet.
« Plus rien ne passe » avait dit Frantz, plus pour les rassurer.

On riait pour des futilisés. Sur l’entêtement de Mr Capet à propos de l’uniforme des Zouaves : une tunique foncé, un pantalon rouge et un drôle de chapeau.
- Le drôle chapeau, s’esclaffa Mustapha, c’est la chéchia.
- N’empêche, vous n’êtes pas de vrais Zouaves !
Pour étayer ses dires, Mr Capet sortit une vieille image d’Epinal représentant un Zouave. Il l’avait conservé comme une relique sacrée.
- Tu nous vois avec ça dans les tranchées ? se moqua Cavé.
- Ton papa a raison, on était habillé comme ça au début de la guerre…

Une simple question de Mustapha sur la vie des gens d’ici déclenchait des fous-rires. Une simple question de Marthe sur la vie des gens de là-bas redoublait les rires.
Mr Capet ouvrit une bouteille de vin :
- Allez monsieur Mustapha, implora Mr Capet.
- Mais oui, monsieur Mustapha, laissez-vous tenter, l’encouragea Marthe. Un jour comme ça, Dieu ne trouvera rien à redire.
Mustapha se laissa tenter par un verre. « C’est bon… » apprécia-t-il. Et un deuxième… Après le café, Mr Capet offrit la mirabelle.
- C’est fort ! grimaça Mustapha. Mais, c’est bon…

Cette journée bien spéciale chamboulait les têtes. Et le vin ! Et la mirabelle ! Mustapha ne s’était jamais senti aussi heureux. Oh ! il n’était pas seul, Marthe également était euphorique… Vers les quatre heures et demie, Cavé annonça qu’il allait rendre visite aux parents de ses copains, histoire d’avoir des nouvelles de ceux du front russe. Marthe proposa à Mustapha la visite de la ville…
Bien sûr qu’ils la visitèrent, la ville… Mais, Marthe entraîna Mustapha à l’écart du bourg.
Faut-il que je raconte ce qu’il se passa ? Tout ce que je suis autorisé à révéler, c’est que pour l’un et l’autre, c’était la première fois…

Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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