Cette nuit au violon lui apporta une piste. Un des agents, le moins agressif de tous, lui conseilla de trouver refuge dans un centre de la Croix-Rouge. On disait que c’était un Suisse qui avait créé cette Croix-Rouge. A l’origine, elle devait porter secours aux blessés de guerre. Aujourd’hui, c’étaient les Alsaciens-Lorrains qui en bénéficiaient. Au moins, l’Eugène aurait le gîte et le couvert.
Alors que des femmes essayaient, un tant soit peu, d’organiser une vie familiale au refuge, les hommes se retrouvaient, parlaient du pays. Des groupes se formaient : les Lorrains francophones, les Lorrains germanophones, les Alsaciens du Nord, les Alsaciens du Sud, les Alsaciens des vallées latines...
On était désœuvré, sans perspective. Alors, à une dizaine, on arpentait les trottoirs, on sollicitait la charité de ces Français bien huppés qui les rejetaient d’un regard. Les plus sympathiques étaient les ouvriers qui donnaient la pièce. Mais, pauvres eux-mêmes... Et puis, il y avait ces commerçants qui, parfois, donnaient quelques victuailles, rarement un vêtement, parfois une ou deux heures de travail. Alors, dès qu’on avait un peu d'argent, on buvait, on se bagarrait, on déprimait encore plus.