L'Echappée belle

(La Mahon)

Ma sœur atteignait les quelques mois, c’était par un jour de juillet particulièrement chaud. On l’avait installé dans son youpala. Notre maman s’était enfouie dans un roman-photo. La mémère était partie à un goûter chez des amies. Le pépère et notre papa étaient au travail… Bref, notre maman, ma sœur et la Mahon étaient installées dans la petite pièce que l’on nommait la salle de jeux. Car c’est ici que nos cousines et cousins jouaient lorsqu’ils venaient chez nos grands-parents. La pièce était sommairement meublée : un canapé, deux petites chaises lorraines, deux armoires et un buffet où étaient rangés les jouets et autres jeux de société.

 

Comme il faisait bien chaud, les deux fenêtres, des battants que l’on basculait, étaient ouvertes au large. La Mahon sauta sur le buffet et, de là, se propulsa vers la fenêtre toute proche. On était quand même haut, au second étage. Et des étages qui étaient bien plus haut que ceux d’une maison ordinaire. C’est que la Sous-préfecture abritait de bien belles, grandes et hautes pièces.
Agrippée à l’appui de la fenêtre, la Mahon vacillait. Elle finit par sauter à l’extérieur. Absorbée par son histoire d’amour, notre maman n’avait rien vu. Par contre, ma sœur sonna l’alerte. Mais, voilà, les « ba ba ba » ne signifiaient rien. Enfin, notre maman comprit lorsque ma sœur s’énerva en montrant du doigt la fenêtre.
- Oh oui, t’as raison. Ça fait du bien ce petit vent par cette chaleur.
Et elle replongea dans sa lecture. Ma sœur trépigna, cria encore plus fort, toujours en désignant cette vinrats de fenêtre. Cette fois, notre maman avait comprit :
- Calme-toi Mikète. J’ai bientôt fini mon histoire. Je vais savoir qui la jeune fille va choisir comme fiancé. On ira après promener. Allez, du calme.
Elle replongea dans son roman-photo… Pas pour longtemps car ma sœur multiplia les cris et les piétinements tout en montrant la fenêtre. Cette fois :
- Où est passée la Mahon ? (s’inquiéta notre maman) Mon Dieu. La fenêtre !

 

Je t’ai dit que la Sous-préfecture était un bâtiment bien haut, un des plus hauts de notre ville. Nos grands-parents habitaient le second étage. Que les étages étaient bien haut, bien plus que dans une maison normale. Je ne saurai dire combien de mètres. En tout cas lorsqu’on se penchait par la fenêtre, ça gargouillait dans le ventre. Notre maman se leva d’un bond, se précipita à la fenêtre… Pour tout te dire, le second étage était mansardé. C’est comme qui dirait que le toit se prolongeait sur la partie haute des façades. Je papote, je papote, et voilà je ne sais plus où j’en suis. Ah oui, la Mahon venait de sauter par la fenêtre, ma sœur avait bataillé pour avertir notre maman. Notre maman se pencha…
Tétanisée ! Tremblant de tous ses membres, la Mahon était figée sur la chânate, à trois mètres de là. Cette large gouttière courait tout autour de l’édifice juste en-dessous des fenêtres. Notre maman l’appela, espérant qu’elle allait revenir d’elle-même. Un faible « Maôôn, maôôn » lui répondit.
« Allez, viens ». La chatte ne bougeait pas. Cela faisait bien une demi-heure que notre maman s’évertuait à la fenêtre, sans succès. La Mahon restait paralysée, sans pouvoir avancer une patte. Un bruit strident retentit. Que je t’explique, notre maman gesticulait à la fenêtre. Cette fenêtre ne donnait pas directement sur la rue, mais sur l’entrée de la cour de la Sous-préfecture. De cette fenêtre, on dominait l’arche qui marquait l’entrée, là où étaient fixées à ses colonnes les belles grilles en fer forgé. De cette fenêtre, sur la droite, on voyait la rue. Et de la rue, les passants voyaient cette fenêtre. Passé ce blabla. Le bruit strident provenait des freins de la bicyclette du Fanfan. Notre sergent de ville descendait la rue :
- Qu’est-ce t’arrive Oda ?
Notre maman lui expliqua la situation tout en désignant la Mahon toujours tétanisée.
- T’inquiète, elle va revenir.
Et le Fanfan redémarra aussi sec. « Imbécile », maugréa notre maman à voix basse.

 

C’est alors que la mémère et le pépère apparurent. L’une revenait de son goûter, l’autre avait fini sa journée de travail. Ce fut des cris et des lamentations de la mémère. A tel point qu’elle déclencha les pleurs de ma sœur. Il n’y avait pas à discuter, il fallait aller la chercher. Pas bien rassuré, le pépère leva un pied pour atteindre la fenêtre.
- T’vas tomber (gémit la mémère).
- Vaut mieux appeler les pompiers (temporisa notre maman).
Le pépère essayait de se hisser… « Qu’est-ce s’passe ? » sonna à l’entrée de la pièce. C’était notre papa qui rentrait de son travail. On lui expliqua la situation. Notre papa les invita à se calmer. Il posa son sac à terre, enleva sa veste et se pencha à la fenêtre :
- Viens Mahon, viens ma fille (Un faible « Maôôn » lui répondit) Allez, t’as pu aller là…
Autant pisser dans un violon, la chatte ne bougea pas d’un poil. Alors, comme s’il faisait cela tous les jours, notre papa enjamba la fenêtre. La gouttière, heureusement, était bien solide. C’est à peine si elle frétilla lorsque notre papa posa les pieds dessus et avança en direction de la Mahon. Notre maman et la mémère retenaient leur souffle. Le pépère regrettait que sa jeunesse se soit envolée. Et ma sœur battait des mains pour encourager notre papa.
- Te fais l’acrobate, le Milou ?
- B’jour m’dame Mélie. Je m’entraîne pour aller travailler au cirque.
La Mélie resta à sa fenêtre, histoire de voir la suite de l’opération. Bien sûr, notre papa rapporta la Mahon. Il dit que son petit cœur battait si fort. Revenu à la hauteur de la fenêtre et toujours à l’extérieur, il fit le brave. Ah, c’était plus fort que lui :
- Beau-père, passez-moi un parachute.
Seuls notre papa et le pépère rigolèrent.
- Arrête de faire le Jacques, Milou (supplia notre maman).
- Milou, vous f’rez mourir (pleurnicha la mémère).

 

Tu crois que cet épisode avait calmé la Mahon ? Penses-tu, elle recommença son exploration le lendemain. Et elle dû attendre le retour de notre papa pour réintégrer son logis. Et le jour d’après, rebelote.
Comme notre papa en avait marre de faire le funambule sur la chânate, il déposa la Mahon au pied de la fenêtre et l’encouragea.
- Toujours en train de faire l’acrobate, le Milou ?
- Je suis passé au stade suivant m’dame Mélie. Maintenant, j’essaie de devenir dresseur de chats.
- Vinrats d’vinrats ! (rigola la Mélie depuis sa fenêtre).
Il fallut bien dix minutes pour qu’elle se décide. Et encore dix minutes pour qu’elle y arrive. Désormais, la Mahon n’aurait plus besoin de personne pour réaliser ses escapades.

 

A mon époque, la Mahon ne cherchait plus à se balader sur la chânate. Elle était devenue une chatte « raisonnable ». De cette époque ne restait plus que ses yeux vairons, son accueil tonitruant, sa queue dressée à la verticale et ses traditionnels « Maôôn, maôôn ».
La Mahon souhaitait joyeusement la bienvenue, c’est vite dit. Au début que notre papa avait ramené le Fofo de chez sa mère, nous l’avions amené chez nos grands-parents. Bien souvent, les dimanches, nous mangions chez eux. Dès que la porte coulissa, la Mahon accourut en dressant sa queue et en lançant ses tonitruants « Maôôn, maôôn ». La réaction de notre Fofo fut tout ce qu’il y a de normal. Il avança le museau, histoire de se rendre compte à quoi il avait à faire. La Mahon s’arrêta net, s’arc-bouta. Ses poils étaient hérissés. Elle faisait vraiment une peûte tête.
- Bâ, alôre, la Mahon. Dis bonjour à not’ Fofo.
Un feulement répondit à notre maman. Nos parents comme nos grands-parents sermonnèrent la Mahon. Rien n’y fit. Du coup, notre papa empoigna le Fofo et le porta. La Mahon suivit en grognant.

 

Les embrassades faites, les banalités d’usage échangées, on s’installa à table. Là, notre papa reposa le Fofo sur le plancher, tandis que la Mahon grimpait sur les genoux de notre maman tout en surveillant l’intrus. Faut croire que le Fofo n’avait pas compris, car, museau en avant, il repartit à la rencontre de la Mahon.
- Milou, reprend le Fofo (implora notre maman).
- Ils vont faire connaissance.
- Ils vont devenir les meilleurs amis du monde (prédit le pépère).
- J’aime pas ça (grogna la mémère).
- Aïe ! Elle m’enfonce les griffes dans les genoux.
Le poil hérissé, la Mahon feulait. Notre papa eut juste le temps d’attraper le Fofo avant que le coup de patte et surtout ses griffes n’atteignent le museau du Fofo.
L’envie de faire connaissance avec cette peluche, qui était loin d’en être une, était abandonnée. Le Fofo s’endormit au pied de notre papa. La tête ballante pour mieux surveiller, la Mahon passa tout le repas sur les genoux de notre maman. Dès que le Fofo bougeait une oreille, elle se dressait en grognant.
- Arrête de me labourer les genoux ! (la réprimanda notre maman en lui filant une petite tape sur la tête).

 

Le repas se déroula, disons, normalement jusqu’au moment où notre maman nous embarqua. La Mahon changea de point d’observation, elle grimpa sur les genoux de la mémère. Hopla ! Moi, dans le berceau près du radiateur. Hopla ! Ma sœur, dans « son » lit. Pour les grandes personnes c’étaient l’heure du café. Le pépère et notre papa ajoutèrent un pousse et allumèrent leur cigarette. Notre maman fumait sa mentholée tandis que la mémère prenait son médicament pour l’estomac : un sucre trempée dans la mirabelle.
Arriva l’heure où ma sœur commença à discourir. C’est ce qu’elle faisait à chaque fois qu’elle se réveillait. Elle parlait à ses mains ou peut-être au nounours que lui avait apporté le Saint-Nicolas l’année dernière. Entendant la Mikète blablater, le Fofo se précipita pour jouer avec elle. La Mahon s’élança à ses trousses et le choppa juste avant les deux marches qui accédaient à la chambre. Les griffes plantées dans le fessier, le Fofo dégringola l’escalier. Heureusement, notre papa était réactif, déjà il empoignait la Mahon et libérait le Fofo.
Désormais, lorsque nous irions chez nos grands-parents, le Fofo resterait chez la tante Agathe. Aussi bien notre Fofo que notre tante étaient enchantés de passer la journée ensemble. L’une avait quelqu’un à qui parler, l’autre recevait maintes attentions et surtout des friandises.
Inconsciemment, cette terrible scène avait dû s’inscrire dans ma mémoire. Elle en était ressortit ce fameux jour où j’avais encouragé ma sœur à faire « Crac, le katze ! On lui tord le cou ».

 

 

 

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Date de dernière mise à jour : 04/01/2024

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