Le chenil

Tourilli (Québec)

 

Par Bernard Antoine

 

Allez! Debout là-dedans! C’est l’heure, on s’habille, on fait sa toilette matinale, on déjeune et on part. Mon ami André nous attend, nous allons vivre une aventure sensationnelle.
- Ousque tu nous emmène aujourd’hui?
- Je ne dévoile rien pour l’instant, c’est une surprise et vous allez voir qu’elle est de taille.
- Bâ dis-donc… Es-tu toujours plein de secrets comme ça?
Quinze kilomètres en voiture pour se rendre à Saint-Raymond, la ville voisine, et moins de quatre autres de plus sur le chemin du Bras-Nord (de la rivière Sainte-Anne) et nous entrons dans le chenil d’André Bernier, propriétaire de son entreprise et pilote de traîneau. Excités par l’arrivée d’inconnus, une dizaine de chiens, debout sur leurs pattes arrières, retenus par leur longe étirée à se rompre, jappent en cœur, la queue fouettant l’air, comme s’ils étaient contents de notre arrivée.
À la vue de ce bruyant accueil, la Mikète eut un mouvement de recul, se croyant en présence d’une meute de Grilous.
- Moôn ! Vont nous bouffer !
- C’est des manres Grilous, renchérit le Dabo en se réfugiant derrière moi.
- AH ! Les kègnes !
Cette réaction était naturelle pour des enfants qui voient des chiens huskys pour la première fois. Ces animaux leur paraissaient imposants, donc dangereux. Mais André est arrivé et d’un ton impératif, a crié deux ou trois mots;, les chiens se sont couchés, un calme relatif s’est installé. Après les salutations d’usage, André prit les enfants par la main et les entraîna vers la meute.
- Venez! On va faire connaissance. Les chiens ont envie de vous sentir, de se faire caresser.
- Is sont gros tes chiens! Font trois ou quatre fois not’Fofo. T’es sûr qu’is sont pas méchants ? Gronda la Mikète en proie à une crainte instinctive. Étonnamment, la fillette se raidissant, le Dabo, plus confiant tirait la main d’André en direction des animaux.
- Tiens, je te présente Blue (Blou). C’est une chienne husky, elle a quatre ans.
- R’garde le Dabo, elle a les yeux tout bleu… è l’a un drôle de regard…
- Te gueûle pus maint’nant ! T’sais ça grayoute dans ma bodate. Ajouta le Dabo s’adressant à Blue.
- Je savais qu’un océan me séparait du pays de mes ancêtres, mais là, peux-tu m’expliquer ce qu’il dit ? Demanda André se tournant vers Bernard qui se montrait désolé, les mains tendues, de ne pouvoir traduire. Le Dabo le fit, à sa façon et avec des gestes éloquents.
- Bâ, quand i r’garde comme ça avec ses yeux bleus, expliqua le Dabo en montrant son ventre.
- T’es un beau chien! La Mikète lui trouvait un regard inquiétant, presque agressif. Mais quelque chose dans l’attitude de l’animal lui donnait confiance.
Elle s’adressait au chien tout en approchant doucement la main que l’animal a flairée et léchée de sa langue chaude et mouillée. Puis, plus confiante, la Mikète lui caressa la tête, glissa ses doigts dans l’épaisse fourrure du cou. La chienne gémit doucement, se mit sur le dos afin de prouver sa bonne volonté et ses intentions pacifiques. La jeune fille était conquise.

Skip et cie

Poursuivant la présentation, André les entraîna vers un autre chien.
- Lui, c’est Skip, mon maître-chien. le chef limonier. Il connait bien son travail et lorsque je lui donne des ordres il dirige ses congénères. Je m’occupe surtout de lui, les autres le suivent aveuglément.
Skip, le limonier. Un chien puissant, majestueux, à la vaste poitrine, à la tête superbe, à la fourrure splendide et abondante. À l’approche de son maître, Skip piétinait sur place, le corps pris de convulsions tant il désirait être caressé, guettant un regard, attendant un ordre, expression éloquente de la fidélité canine.
- Celui-ci, c’est Whisky, un bon chien aussi et tout aussi fort que Skip, mes deux meilleurs! Je donne toujours des noms court à mes chiens; deux syllabes, pas plus. Tu en connais trois, les trois autres sont Jeff, Inouk et Phil.
- Dis voir, tes chiens sont gros et ses yeux, moôn ! Des yeux tout bleus. Pourquoi t’en as beaucoup ?
- Tu ne leur as pas dit…? Gronda André, se tournant vers Bernard.
- Je tenais à leur faire la surprise, et tu es mieux placé que moi pour les explications. À propos, tu t’en sorts très bien… En expert que tu es!
- Voilà l’itinéraire pour la journée : nous partons dans moins d’une demi-heure faire une longue randonnée en traîneau. Nous allons prendre le sentier Awenda qui longe la rivière Tourilli. Une balade d’environ cinquante kilomètres en pleine forêt jusqu’au camp du lac Grégory où nous passerons la nuit. Retour ici demain en fin d’après-midi par le sentier de la rivière Sainte-Anne. Au total, une boucle d’environ cent kilomètres.
- Moi j’vâ pas à pied lâ-haut, protesta le Dabo. J’â de trop piates pattes !
- Moi non pus. Pas à pied !
- T’inquiètes, tu seras confortablement assis tout le long de la randonnée, rectifia André.
- Assis ousque ?
- Pour vous, je vais utiliser le plus grand de mes traîneaux. Il y a de la place pour trois personnes assises, moi j’ai ma place à l’arrière, les pieds sur le bout des patins.
- Ousqu’il est ton traîneau ? Y’a un moteur ?
- Une petite minute s’il te plait. Dans un instant, tu participeras, avec ton frère, aux préparatifs de la « run ». Vous serez confortablement installés dans le traîneau, mais, pour le bénéfice de nos lecteurs, je demande à André de nous donner de plus amples informations sur le chemin Awenda et sur les préparatifs qu’ont demandés cette randonnée.
- C’est quoi la « ronne » ? S’inquiéta la Mikète.
- Oupsss! Le mot « run » est un anglicisme beaucoup utilisé au Québec et auquel on donne le sens de «randonnée, voyage».

 

André, qui aime et connait bien ses chiens nous dit ceci : « Dès qu’on leur met un harnais, le corps entier des chiens se met à vibrer. Toute leur énergie se mobilise et se canalise vers l’effort à donner. Fébriles, ils sont prêts à décoller comme s’ils attendaient ce moment depuis qu’ils ont les yeux ouverts. Un chien peut tirer deux fois son poids. Il peut parcourir jusqu’à cent kilomètres sans se plaindre. Sans ralentir. L’histoire des Cris et des Inuits du Grand-Nord canadien est liée à leurs chiens. Sans eux, beaucoup de choses deviennent impossibles : se déplacer dans une tempête, juger de l’épaisseur et de la sécurité de la glace et tant d’autres choses du quotidien. En vérité, disait un Inuit, sans son chien, l’Inuk marche aveugle et sourd. »
- Un attelage, ajouta André, c’est quelque chose de vivant qui avance par la volonté collective. Les chiens ont des aptitudes et des tempéraments différents et l’humain les guide. Ce sont des bêtes courageuses qu’il faut parfois protéger de leur propre impétuosité, car si la troupe dépense son énergie trop vite, elle peinera à compléter le trajet. Le, ou la, chef de meute est l’allier du « musher ». Plus les chiens sont nombreux, plus les faire travailler en groupe devient difficile. Il est important de posséder l’aptitude nécessaire pour se faire obéir des bêtes. Elles suivent le conducteur qu’elles respectent et parfois parce qu’elles l’aiment.

 

Les détails

Grand, mince, un profil d’athlète bien découpé, l’œil gris bleu comme ses chiens, ses airs de beau garçon romanesque lui ont certainement valu des suffrages féminins bien plus nombreux qu’il ne consent à l’avouer. Voilà ce qu’André a à nous dire :
« Niché au cœur de l’arrière-pays de Portneuf, à même l’immense réserve faunique des Laurentides, le secteur Tourilli couvre une superficie de près de 400 km carré. Le terme Tourilli dérive d’une appellation algonquine originale « Atourelli » qui signifie « eau agitée » ainsi que le sentier Awenda qui longe la rivière signifiant « la-parole-de-l’homme-le-lie » sont utilisés depuis quatre siècles par les Hurons Wendat et les Atikamekw avant eux. C’était et c’est encore aujourd’hui leur territoire de chasse et de pêche. »
« Le sentier Awenda est une piste exclusivement réservée à la promenade canine. Les motoneiges ou autres véhicules y sont interdits, sauf celle de l’agence, conduite par mon frère Jean-Yves, qui l’utilise pour damer, niveler la neige et la réparer aux besoins; ce qui facilitera la course des chiens. La surfaceuse lui sert également au transport du matériel nécessaire au bon déroulement des opérations. Ainsi, hier, Jean-Yves a déposé au camp du lac Grégory : quatre sacs de couchage, des oreillers, notre nourriture ainsi que celles des chiens et deux bidons de vingt litres d’eau qu’on risque de trouver gelés même s’il a allumé le poêle, on verra sur place. Il a livré également une bonne brassée de bois de chauffage et un ballot de paille pour le confort des chiens qui y ont leur propre abri ».
« Ce pré-transport de matériel nous permettra de voyager avec le minimum de poids. Bernard et moi auront chacun un sac à dos contenant de gros thermos de café et de chocolat chaud, notre nourriture du midi et celle de nos chiens ».
- Youpi! S’écria la Mikète, les chien avec ?
- Bien sûr, on a besoin d’eux, surtout si tu ne veux pas y aller à pied. Maintenant, suivez-moi tous les deux, vous allez voir ce que vous allez voir. C’est la surprise de tonton Bernard !
- J’peux vous garantir que vous allez avoir du « fun », ajouta Bernard souriant.
- Fonne ? Fonne ? Comprends rien. Tu causes pas bien le français. Que des mots bizarres !
- Le mot « fun » est un autre anglicisme que les québécois utilisent à profusion. Tout est susceptible d’être « le fun ». Ça veut dire « plaisir  », beaucoup de plaisir. Et question de mots bizarres, tu as des mots ou des expressions dont je ne comprends que dalle. Si tu veux, je t’apprends le québécois et toi tu me donnes un cours de patois Lorrain; qu’en dis-tu ?
- D’accord !

 
 

Tourilli (Québec) :
L’arrivée 1 (L’aéroport)
L’arrivée 2 (Kabir Kouba)
Tourilli 1 (Le chenil)
Tourilli 2 (Les moteurs)
Tourilli 3 (Nature indomptable)
Tourilli 4 (Le défi)
Tourilli 5 (Le secteur des caps)
Tourilli 6 (Terminus)
La pièce du Castor
Rennes et Reines

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.
Voir le Dictionnaire des Mioches
Voir le Lexique quebecois

Date de dernière mise à jour : 26/02/2024

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