La Sotrée et ses compères avaient bien vu ceux du coteau d’en face jeter des branchages dans le marécage, là où la vallée se resserrait. Ils étaient loin d’imaginer que cette construction leur permettrait d’atteindre leur rive, de monter sur la belle butte, puis d’atteindre leur coteau. Ceux d’en face finirent par approcher, chaque jour un peu plus. La Sotrée leur offrit de la viande grillée, mais les sauvages s’enfuirent en poussant des cris. Désormais, chaque fois qu’ils approchaient, elle leur lançait des pierres. Les petits l’imitèrent.
Et puis, une nuit, alors qu’un profond sommeil berçait le groupe, ceux d’en face volèrent le feu. Il y en eut des lamentations et des pleurs. La journée s’avançait. Le soleil chauffait le bois mort. Mais, celui-ci restait sans vie. On se remémorait, avec délices, les fastes passés. On ne savait que faire. On recommença les lamentations, on finit par se reprocher mutuellement son insouciance. Enfin, quelqu’un plaça des branches mortes sur le tas de cendres. L’espoir revint. On implora l’esprit du feu. Rien n’y fit.
La Sotrée s’énervait. Des pierres volaient à tout bout de champ. Parfois, les pierres s’entrechoquaient. Des étincelles jaillissaient… La nuit porte conseil. Dès l’apparition du soleil, la Sotrée bourra ses compères de coups. En grognant, le groupe se leva. La Sotrée enfila sa tête d’ourse et poussa son traditionnel grognement. La belle butte fut atteinte en un temps record. On stationna sur le bord des marécages. Le groupe d’en face les avait traversés sans problème, pourquoi pas eux ! Une danse magique amadouerait l’esprit. Enfin, la Sotrée se lança, le groupe suivit. Un peu trop en ordre dispersé, car deux femelles et un petit furent engloutis. Certains voulurent retourner sur leur pas, la Sotrée les tapa comme plâtre. Tout ce remue-ménage avait alerté le groupe d’en face. On les attendait de pied ferme.
Le combat fut violent. Nombre succombèrent sous les coups de massue. Les dents acérées de sa tête d’ourse ne l’avaient guère protégé. La Sotrée se retrouva le bras cassé et fut gravement mordue dans le dos. Ce fut la déroute, la fuite éperdue. Seuls six adultes et quatre petits avaient survécu. Lorsqu’ils atteignirent la belle butte, le Grilou emporta un petit. Les cris de la Sotrée et de ses compères n’y changèrent rien.