La guerre du feu

La Sotrée (Nos Légendes)

 
 
 

A nouveau, il plut des jours et des jours. Les petites boules avaient disparu. Les jours raccourcirent. Les feuilles des arbres jaunirent, rougirent, brunirent, tombèrent. Le brouillard s’en mêla. Le paradis dépérissait sous leurs yeux. Le malheur ne s’arrêta pas en si bon chemin. Le froid, la neige et la glace refirent leur apparition. Tassé au fond de sa grotte, le groupe se lamentait. L’espoir revint lorsque neige et glace fondirent. A la suite de la Sotrée, le groupe se lança dans une grande farandole. Le jour suivant, on s’amusa à se faire peur en découvrant, au petit matin, une nouvelle glace.
Cela faisait bien deux jours et deux nuits que la Sotrée et ses amis se relayaient au chevet de ce grand cerf. La magnifique ramure était fichée dans la boue du marais. Les grands yeux mornes semblaient implorer la Sotrée. Mais, la pauvre ne savait que faire. Chaque nuit, le gel reprenait possession de ce grand corps au pelage si agréable à voir. Dès le petit jour, le soleil faisait fondre la fine couche de glace. Sûr, ce matin le grand cerf allait reprendre vie. Sûr, la Sotrée et ses compagnons le laisseraient courir dans la vallée. Il gisait là depuis le début des grands froids. A l’époque, la Sotrée et ses compagnons le pourchassaient, il s’était élancé sur le marécage. La glace avait cédé. Le grand cerf avait chuté juste avant que la pierre de la Sotrée ait atteint sa tête. A ce moment-là, une pluie diluvienne s’était abattue sur la vallée. A peine les gouttes touchaient-elles le sol qu’elles se transformaient en glace. L’épaisse couche avait enveloppé le grand cerf durant tout l’hiver. La neige l’avait recouvert d’un linceul blanc.
Depuis personne n’avait osé toucher au grand cerf. Voilà que par une nuit où la lune était pleine et bien resplendissante, se pointa le loup gris. Il effraya la Sotrée qui sommeillait. Le loup gris emporta le grand cerf. Deux jours plus tard, le grand cerf gambadait dans la vallée. La Sotrée pensa que le Grilou, comme elle appelait maintenant le loup gris, n’était pas si malfaisant qu’elle le croyait.

 

Chaque jour se faisait un peu plus doux. Et l’herbe revint. Et des bourgeons apparurent. Et les feuilles garnirent les branches. Et des fleurs s’ouvrirent. Et des fruits mûrirent. Il arriva même que certains jours, on ne supportât plus sa peau d’ours tellement il faisait chaud. Une fois, le soleil tapa si fort et si longtemps que l’herbe en devint jaune et que des arbres en moururent. De grandes branches cassèrent et tombèrent dans un pénible fracas. Un petit fut écrasé. La Sotrée ramassa les bois morts et les entassa à proximité de la grotte sans même prendre conscience de ce qu’elle faisait.
Mammouths, aurochs, rennes et ours avaient disparu. Dans la région, il ne restait plus que du petit gibier. Et, encore, la sécheresse avait chassé nombre d’animaux vers des lieux plus hospitaliers. Pour s’occuper et ne pas penser qu’elle avait faim, la Sotrée continuait d’accumuler le bois mort. Le ciel était bien menaçant, de gros nuages sombres s’accumulaient au-dessus de la vallée. Justement, un groupe rentrait de la chasse. Un mâle manquait à l’appel. En lisière des roseaux, le Grilou l’avait emporté. Les autres ramenaient un lapin. Même pas de quoi nourrir la moitié du groupe. L’orage finit par éclater. Des éclairs zébraient le ciel tandis que le tonnerre roulait d’un versant à l’autre.
La Sotrée entra dans une rage massacrante. Une de ces colères qui font brailler les petits, se tapir les femelles et les mâles. Dans sa rage, elle ramassa un gros silex et le jeta. Le silex ricocha contre un autre silex. L’étincelle qu’il provoqua fut si importante que les herbes rabougries s’enflammèrent. Bien sûr, ni la Sotrée, ni ses compères ne firent la relation entre cette soi-disant étincelle et la foudre qui venait juste de frapper, par hasard, cet endroit. Un petit fut brûlé vif. En hurlant, le groupe se réfugia dans la grotte.

 

Une violente lumière dansait au-dessus du tas de bois qu’avait amassé la Sotrée. Ce n’était pas le soleil, non. Mais, une bruyante et cabriolente illumination qui repoussait la nuit. Blottis les uns contre les autres, ils attendirent. Sur le coup, tellement effrayés, personne ne s’aperçut que la fraîcheur ne vint pas. Au petit matin, l’incendie s’était apaisé. La Sotrée enfila sa tête d’ourse, deux mâles se risquèrent à sa suite. Le spectacle était désolant. Tout était noirci, même le feuillage des arbres avait disparu. Par endroits, des colonnes de fumée s’élevaient. L’amas de bois mort brûlait encore. Leurs cris attirèrent ceux restés au fond de la grotte.
L’amas lançait des éclairs jaunes, bleutés, rouges. Ça pétillait, ça croquait. Ils se regroupèrent autour du feu et le veillèrent. La nuit ne vint pas tout à fait ce jour-là. On dansa, on chanta comme si le soleil avait oublié de coucher. Le feu rongeait le tas de branchages. Voilà que la Sotrée se mit en tête de le défier. Ho ! Les flammes étaient bien moins hautes et le feu bien riquiqui. Tous hurlèrent à la mort. Elle sauta par-dessus. Une fois ne lui suffit pas, alors elle recommença. Et encore… En fin de compte cela devint un jeu et tous l’imitèrent.

 

C’est alors que l’esprit de la nuit, comme personne ne l’avait jamais vu, surgit des ténèbres. Il avait, au moins quatre jambes, quoique certains affirmèrent qu’il en avait cinq. Quelques-uns prétendirent même que cette cinquième jambe ne touchait pas terre et remuait sans cesse. Le corps était immense. Son nez et sa bouche avançaient affreusement. De grandes cornes s’agitaient dangereusement. Les flammes le rendaient encore plus effrayant. Certains dirent, même, qu’il crachait le feu. L’esprit hurla. Les braves se regroupèrent. Un nouveau hurlement déclencha la panique. On courait en tous sens. On se réfugiait dans la grotte. On se serrait les uns contre les autres. Un mâle et deux petits ne réapparaîtraient que deux jours plus tard.
Pour l’heure, seule la Sotrée faisait face. Elle n’en menait pas large. Sa tête glissa dans la tête d’ourse. Elle s’accroupit. L’esprit hurla une nouvelle fois. Par réflexe, la Sotrée ramassa ce qui traînait sous sa main : une belle pierre de forme ovoïde, très pointue à une extrémité. Dans un nouvel hurlement, l’esprit se cabra, puis s’élança. Elle lança la pierre de toutes ses forces. L’esprit de la nuit fut atteint en plein front, juste au moment où il sautait par-dessus le feu. Il s’écroula en étouffant les flammes. Un à un, les braves sortirent de la grotte. Un à un, ils approchèrent. Un à un, presque en silence, ils félicitèrent la Sotrée.
L’assemblée encerclait l’esprit immobile. Une odeur inconnue fit frémir plus d’une narine. Quelques papilles s’agitèrent et l’on saliva. Une envie diabolique montait. La Sotrée voulut en avoir le cœur net. Malgré les cris de ses compères et sa légitime peur, elle retourna l’esprit, le dégageant du brasier. C’est là qu’elle reconnut…

 

Son couteau en os gratta le pelage roussi. La bonne odeur s’amplifia. La Sotrée trancha un morceau de chair d’une couleur légèrement brune. Elle le porta à la bouche. La Sotrée effraya ses compères lorsqu’elle se dressa d’un bond en braillant. Elle coupa un nouveau morceau et le mangea. Puis, elle partit dans une danse folle et chanta à tue-tête. Ses compères étaient terrorisés, certains se jetèrent à terre. Sûr, l’esprit de la nuit s’était emparé du corps de la Sotrée.
Il en fallut du temps et des arguments pour que le reste du groupe goûte à la viande grillée qui était celle d’un… grand cerf. Désormais, la viande serait mangée à cette mode. De plus, la chaleur que le feu dégageait serait appréciée durant la nuit et, surtout, à l’époque où reviendrait neige et glace. Le feu ne devait pas mourir ! C’est alors que la Sotrée eut la fumante idée d’envoyer quelques mâles ramasser du bois mort, là où la forêt était intacte.
Epargnant la partie haute du coteau, l’incendie avait tout ravagé jusqu’aux marécages. Plus tard, une herbe verte et tendre poussa. Que la vue était belle sur la vallée, la cuvette et la belle butte. Pas très loin de la grotte, chantonna une nouvelle source. Son eau était si salée que la Sotrée et ses compères n’y touchaient que rarement. Par contre, lorsqu’il faisait chaud, ils se baignaient volontiers dans l’étang en contrebas. Ses eaux salées, presque froides, étaient bien rafraîchissantes.

 

Revenons à la source salée, car notre Sotrée s’y rendit maintes et maintes fois. Autour de la vasque et là où la terre était imprégnée de cette eau si salée poussait de curieuses herbes. C’est que notre Sotrée était une bien vilaine curieuse… et gourmande. Elle goûtait à tout, aussi bien aux herbes qu’aux plantes, aussi bien aux baies qu’aux fruits. Même que plusieurs fois, elle en était tombée malade, et même gravement. C’était plus fort qu’elle. Elle cueillit ces herbes bizarres que nous connaissons sous le nom de passe-pierre. Elle les trouva un peu aigres, mais si agréables lorsqu’elles accompagnaient de la viande grillée. Allez vâ, je te le dis maintenant. Même si elle est loin d’avoir la même forme, la passe-pierre a le même arôme que les cornichons. Manger devenait, non seulement une nécessité, mais un plaisir.
Sans même qu’ils le veuillent, le groupe grandissait. Ils étaient bien une quinzaine à occuper, maintenant, la grotte. La Sotrée trouva qu’on l’on y était à l’étroit et elle entraîna quelques individus dans la grotte voisine.

 

La Sotrée et ses compères avaient bien vu ceux du coteau d’en face jeter des branchages dans le marécage, là où la vallée se resserrait. Ils étaient loin d’imaginer que cette construction leur permettrait d’atteindre leur rive, de monter sur la belle butte, puis d’atteindre leur coteau. Ceux d’en face finirent par approcher, chaque jour un peu plus. La Sotrée leur offrit de la viande grillée, mais les sauvages s’enfuirent en poussant des cris. Désormais, chaque fois qu’ils approchaient, elle leur lançait des pierres. Les petits l’imitèrent.
Et puis, une nuit, alors qu’un profond sommeil berçait le groupe, ceux d’en face volèrent le feu. Il y en eut des lamentations et des pleurs. La journée s’avançait. Le soleil chauffait le bois mort. Mais, celui-ci restait sans vie. On se remémorait, avec délices, les fastes passés. On ne savait que faire. On recommença les lamentations, on finit par se reprocher mutuellement son insouciance. Enfin, quelqu’un plaça des branches mortes sur le tas de cendres. L’espoir revint. On implora l’esprit du feu. Rien n’y fit.
La Sotrée s’énervait. Des pierres volaient à tout bout de champ. Parfois, les pierres s’entrechoquaient. Des étincelles jaillissaient… La nuit porte conseil. Dès l’apparition du soleil, la Sotrée bourra ses compères de coups. En grognant, le groupe se leva. La Sotrée enfila sa tête d’ourse et poussa son traditionnel grognement. La belle butte fut atteinte en un temps record. On stationna sur le bord des marécages. Le groupe d’en face les avait traversés sans problème, pourquoi pas eux ! Une danse magique amadouerait l’esprit. Enfin, la Sotrée se lança, le groupe suivit. Un peu trop en ordre dispersé, car deux femelles et un petit furent engloutis. Certains voulurent retourner sur leur pas, la Sotrée les tapa comme plâtre. Tout ce remue-ménage avait alerté le groupe d’en face. On les attendait de pied ferme.
Le combat fut violent. Nombre succombèrent sous les coups de massue. Les dents acérées de sa tête d’ourse ne l’avaient guère protégé. La Sotrée se retrouva le bras cassé et fut gravement mordue dans le dos. Ce fut la déroute, la fuite éperdue. Seuls six adultes et quatre petits avaient survécu. Lorsqu’ils atteignirent la belle butte, le Grilou emporta un petit. Les cris de la Sotrée et de ses compères n’y changèrent rien.

 

L’ambiance était triste à la grotte. La Sotrée ruminait sa défaite. Pourtant, elle savait qu’elle possédait le secret du feu. Comment le faire sortir ? Elle se tapa la tête sur le tas de bois sec. Du mal de tête sortit un espoir. Elle amassa quelques brindilles et plaça un silex au milieu. Avec un autre silex, elle frappa le premier. Elle frappa, elle frappa. Le résultat fut décevant. Le silex au sol se trouva taillé en pointe. Quel coup de poing, se moqua un mâle. Vexée, la Sotrée saisit le silex taillé, se leva et frappa. Le mâle s’écroula, la tête comme ouverte en deux.
Passée sa rage et sa surprise, elle convainquit les deux derniers mâles que, dorénavant, ils utiliseraient cette arme et cette méthode pour chasser ou combattre les ennemis. Un peu plus tard, avec une herbe résistante, elle ficela le silex sur un bâton. Ainsi, la chasse fut aisée, la viande plus abondante et le groupe s’agrandit.

 
 
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a suivre

Le beaurepaire

La Bianche-tète
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~ La Sotrée
L’esprit de la nature
La guerre du feu
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Date de dernière mise à jour : 05/09/2024

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