Ecrabouillé

(La Descente // Le Vélo)

 
 
 

Le père Galate faisait la pause devant son atelier. Il fouilla sa poche, en sortit une boîte, l’ouvrit. Les bouts rouges retinrent son attention, il finit par prendre une allumette, la craqua et ralluma sa cigarette. Les Gitanes maïs s’éteignaient fréquemment…
- Guten Morgen Oda. Ça geht's les Mioches ?
- B’jour m’sieû Galate. Comment qu’c’est ?
- Le boulot manque pas…
Il raconta même qu’il en refusait. Aussi curieuse que la chatte d’un pêcheur, la Mikète demanda :
- Qu’est-ce te fais sur ta grosse machine ?
- Une fenêtre (Puis s’adressant à l’Oda) Nom de Dieu ! C’est la dernière que je fabrique…
- Vous prenez vot’ retraite ?
- Seulement dans deux ou trois ans. J’ai été contacté par un démarcheur. A Morhange, ils ouvrent une menuiserie industrielle. Les fenêtres coûteront moins chères que celles que je fabrique. Et ça s’ra moins fatiguant pour moi, alors…
Plutôt svelte, le père Galate était de petite taille. Il ne dépassait guère l’Oda. Comme il se tenait le dos voûté, il paraissait encore plus petit. Son visage était allongé et il couvrait ses cheveux gris d’une casquette bleu foncé avec une courte visière, une casquette semblable à celles que portaient les mariniers.

 

- Vous avez vu ça : on a volé le vélo du Fanfan.
- Pire que ça Oda, le Fanfan s’est fait renversé par une voiture.
- C’est pas grave au moins ?
- Nom de Dieu ! L’vélo l’est tout écrabouillé. Mais tu sais, c’était un vieux vélo. Comme ça, la Mairie lui en rachètera un neuf.
- Et l’Fanfan, l’est pas blessé au moins ?
- Le chauffard s’est sauvé. Nom de Dieu ! Il roulait comme un fou. Il a vu l’Fanfan au dernier moment. Paf, dans l’vélo ! A ce qu’on m’a dit l’Fanfan l’a échappé belle.
- T’as vu, j’âs sauté sur la cave de la mère Kélère pour la faire gueûler (coupa la Mikète).
- Et elle a gueûlé (fit d’un air complice le père Galate).
- Bâ oui, elle a ouvert sa fenêtre et elle a dit comme ça à la môman : Pourriez mieux vous occuper de vot’ fille.
- Tu dois pas embêter les personnes âgées (la réprimanda sa maman).
En conclusion, le père Galate éclata de rire en ponctuant de « Nom de Dieu ! Nom de Dieu ! ».

 

- J’ai vu le Milou ce matin. Il filait sur la gare.
- Il s’est pas réveillé. Il a dû attraper la deuxième Micheline. En tout cas, il est pas revenu à la maison. C’est qu’il est parti à Nânci.
- T’lui diras que les Mièsse cherchent des menuisiers. Si ça l’intéresse…
- J’dirais… Ça s’rait bien mieux qu’il travaille chez nous.
- P’us besoin de s’lever à pas d’heure (fit d’un air rêveur le père Galate. Il se contorsionna pour regarder…) Ousqu’i vâ le carcan-là ?
Le Bernard descendait le trottoir vis-à-vis. Son chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, le regard fiché sur le trottoir, à deux mètres devant lui. Il n’adressa même pas un signe pour les saluer.
- Qu’est-ce qu’il fiche avec ses valises ? Et il boîte…
- L’a dû s’tordre une patte en faisant des galipettes avec la Marie (ricana le père Galate).
- Le Grilou ! R’garde Mikète, le Grilou ! (s’écria le Dabo).
- Laisse-le (paniqua presque sa sœur) S’i t’entend, va encore nous faire du mal. R’garde pas !
Le beau chien gris, aux poils bien longs, dépassa le Bernard sans même y prêter attention. Il entra dans la cour de la Sous-préfecture.
- Nom de Dieu ! C’est çui du père Heûle. S’est encore barré. Va encore s’battre avec le chien du Sous-préfet. 
- C’est une kègne ! (scanda l’Oda).
Le père Heûle racontait qu’il avait trouvé cet animal, mi-chien mi-loup, dans les marécages du Grilou, là-haut derrière l’hôpital. Il le racontait, mais personne n’y croyait. Pour le père Galate, le Heûle était bien trop âgé pour contrôler cette bestiole presque sauvage :
- Nom de Dieu, Oda ! A quatre-vingt cinq ans…

 

Une belle automobile immatriculée 75 remontait la rue, elle s’arrêta à leur hauteur. Par sa vitre baissée, la passagère demanda :
- Pardon M’sieu dame, pour aller sur Metze ?
Toujours prêt à rendre service, le père Galate se précipita. Prenant un accent hachepaille :
- Bonschour…
- Bonjour (se reprit la passagère) Nous cherchons la route de Metze.
- Allez où ?
- A Metze m’sieu…
- Metze ? Metze ? Jamais entendu parler d’ça ! Tu konnais Metze, toi Ota ?
Au lieu de répondre, l’Oda se mit à rire tandis que la Mikète scandait « Metze ! Metze ! » en ricanant.
- Mais si, Metze (insista la dame).
Agrippé à son volant le conducteur s’énervait, il scanda :
- Ils ne comprennent rien ! Montre-leur la carte.
Ce que fit la dame en pointant du doigt, écris en gros « Metz ».
- Nous voulons aller à Metze (articula-t-elle).
Le père Galate enleva sa casquette, se gratta la tête, repositionna sa casquette et reprit son accent normal, notre accent :
- Vous êtes Boches ?
- Nous venons de Paris, m’sieur …
- Alors pourquoi vous dites « Metze » ? (que lui fit le père Galate) C’est les Boches qui disent « Metze ». Nous, les Français, on dit « Mès’ »… Ah ! Vous avez un drôle d’accent !
Les Parisiens firent une très mauvaise tête, mais n’en rajoutèrent pas. Enfin le père Galate leur indiqua la route à suivre en accentuent bien comme s’ils s’agissaient d’étrangers qui ne connaissaient pas notre langue. « Arschloch ! » lança-t-il, tandis que les Parisiens faisaient demi-tour, l’Oda dit :
- Vous êtes taquin, père Galate.
- T’sais Oda, mon fils est monté à Paris après la guerre. Il travaille dans une compagnie d’assurances. Le « Soleil » que ça s’appelle… Tu m’croiras si te veux, ça fait bien quatre ans qu’il est là-haut. Bâ, ses collègues se moquent toujours de son accent. Y’en a même qui le traite de « Boches ». Les moins méchants lui disent qu’il est Alsacien… Alors quand les Parisiens viennent chez nous, nème ! T’as entendu l’Dabo comment qu’is parlent les Parisiens ?
- Coin-coin qu’is font !
- T’as raison l’Dabo, les Parisiens, ça parlent comme les kénards ! (le père Galate fut secoué de spasmes, entre deux fou-rires, il articula) Si ça se trouve, c’est eux qu’ont écrabouillé l’vélo du Fanfan.
- Oh, père Galate (protesta mollement l’Oda).

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Devant chez le Jano

(La Descente // Le Vélo)

Banal accident ?

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo :
* La Descente :
Vélo tout neuf
Le vélo du Fanfan
~ Ecrabouillé
~ Devant chez le Jano
~ A l’hôpital
~ Il est mort ?
~ Ressuscité
* Le Marché
* La Bûche

La Gazette des Fiawesmai 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète 5 ans, le Dabo 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda leur maman 28 ans, le Milou leur papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 06/05/2024

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