Devant chez le Jano

(La Descente // Le Vélo)

 
 
 

Toujours vêtu avec un soin méticuleux, Monsieur Goupil portait une chemise jaune citron assortie d’une longue cravate brune, avec un costume presque de cette même teinte brune. Ses chaussures rutilantes produisaient un effet bœuf. Monsieur Goupil était devant sa boutique. C’était sa principale occupation. Au moins, les jours de marché, il voyait des gens passer. Une bonne occasion pour entamer un couârail. Justement :
- B’jour M’sieû Goupil.
- Bonjour Oda, bonjour les Mioches. Belle journée !
- Que c’est agréable. C’est calme aujourd’hui…
Son mètre autour du cou, il attendait l’éventuel client. Il y en aurait bien un qui, venu d’un village pour le marché, monterait jusque chez lui pour se faire tailler un costume ou une chemise. Ah, avant la guerre, sa boutique ne désemplissait pas. Ni celles de ses concurrents. De nos jours, les gens préféraient le « prêt à porter » confectionné industriellement.
- Même pour les femmes. Regardez votre tante Luluce. Elle a pris sa retraite et personne n’a reprit son atelier. Moi, j’arrête dans trois ou quatre ans, cela sera pareil... C’est une brave fille et bien courageuse (fit-il à brûle-pourpoint et en désignant la jeune femme qui s’apprêtait à traverser la rue pour aller au marché).
- Oh, oui ! (approuva l’Oda) Cinq ou six frères et sœurs qu’elle a. Et c’est elle qui les a élevés toute seule.
- Vous savez, le Roger est un bon gars. Et un bon père. On ne le voit jamais au bistrot.
- Il a bien du mal, allez. Perdre sa femme à l’accouchement…
- Et nous étions en exil. J’étais logé à deux maisons d’eux.
Le Roger avait un bon métier et il était un ouvrier sérieux. Monsieur Goupil avait eu à faire deux fois. Une fois parce qu’il avait oublié de couper l’eau du robinet de sa cour. A la première gelée, la canalisation avait explosé. La seconde fois pour l’installation d’une douche. Ah, la douche ! Qu’est-ce que c’était bien, qu’est-ce que c’était pratique. Bien mieux qu’une baignoire affirma Monsieur Goupil. L’Oda l’approuva. Et, pourtant, elle n’avait ni l’une, ni l’autre.
- Un travail soigné. Et pas cher avec ça. Et quand vous avez un problème, il fait le maximum pour venir. Pas comme l’autre de la rue de la Gare. Lui, il promet monts et merveilles et il vient une semaine après. Vous avez le temps d’être inondé.

 

Monsieur Goupil poursuivit l’éloge du Roger et de sa fille aînée. Le fracas d’un camion aux couleurs de la SANAL le distrait quelques instants. Il commenta : « Rien que quatre supérettes chez nous. Je me demande où on va ». Bientôt les petits magasins fermeraient et les gens iraient faire leurs achats dans un seul magasin, suffisamment grand pour offrir tout ce que le chaland avait besoin. Même le marché finirait par disparaître. La SANAL, Les Coop, Les Ecos et autres Spar n’étaient qu’un embryon. L’Oda n’y croyait pas : il faudra toujours des boucheries, des boulangeries, des magasins de vêtements, etc.
- Vous verrez, Oda. Moi, je serai sans doute mort, mais vous, vous connaîtrez cela. Un grand, très grand magasin où on trouve de tout et qui impose ses prix… Comme le Prisunic de Nânci. On aura cela chez nous… Le monde change, Oda.
Mais, l’Oda avait une autre préoccupation :
- Z’avez vu, hier : un chauffard a renversé le Fanfan et a tout écrabouillé son vélo.
- Le Fanfan s’est fait renversé, oui. Mais, je n’ai point entendu dire que son vélo était écrabouillé.
- Ça s’est passé ousque ?
- Devant chez le Jano…

 

Le Jano vendait des bicyclettes, des véloSolex, des tronçonneuses, et cette nouvelleté qu’étaient les bêches mécaniques qu’on appelait motoculteurs… Il les vendait et les réparait. C’était chez lui que le Milou avait acheté son vélo d’occasion.
- …La voiture roulait trop vite, il a pris son virage un peu trop serré et a renversé le Fanfan.
- L’est pas blessé, au moins, le Fanfan ?
- Pas à ma connaissance. Le chauffard s’est enfui.
- Y’a de plus en plus de voitures. Avant, on était plus tranquille.
- Vous savez Oda, au temps des chevaux, il y en avait aussi des accidents.
- Moins…
- Je n’en suis point sûr. Et vous verrez, il y aura de plus en plus d’automobiles. Et de plus en plus d’accidents.
- Ça coûte cher quand même.
- Ils baisseront les prix pour en vendre. Beaucoup même.
- Vous croyez ?
- J’en suis sûr. Vous-même aurez une automobile.
- On a déjà eu du mal pour acheter un vélo. Alors une voiture…
- Il n’y a plus de respect. Même les vieux s’en moquent… (se lamenta-t-il).
Monsieur Goupil sautait d’un sujet à l’autre sans transition. Il n’y avait même pas dix minutes, il avait vu l’« espèce de loup » du père Heûle entrer dans la cour de la Sous-préfecture.
- C’est une wète bête. Il m’a déjà mordu une fois à la jambe. Je suis allé trouver le père Heûle… Vous savez ce qu’il m’a répondu ?
- Non…
- Que c’était moi qui avais hinsé son espèce de loup ! Rien que ça ! Et il a refusé de me rembourser mon pantalon déchiré.
- C’est pas vrai ! (s’exclama l’Oda en ouvrant en grand la bouche) Il manque pas de culot.
- Vous savez Oda, je n’ai jamais aimé cet homme…
Un jour le père Heûle faisait de grands bonjours, discutait, riait, plaisantait. Le lendemain, c’était tout juste s’il ne marchait pas sur les pieds des gens qu’il croisait, grognait, rouspétait, insultait.

 
 
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A suivre

A l’hôpital

(La Descente // Le Vélo)

C'est grave ?

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo :
* La Descente :
Vélo tout neuf
Le vélo du Fanfan
Ecrabouillé
~ Devant chez le Jano
~ A l’hôpital
~ Il est mort ?
~ Ressuscité
* Le Marché
* La Bûche

La Gazette des Fiawesmai 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

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La Mikète 5 ans, le Dabo 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda leur maman 28 ans, le Milou leur papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 06/05/2024

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