Visions et rêves

(Le Marché // Le Vélo)

 
 
 

- Je vous présente un futur retraité ! (Le Totol désignait de l’index son poitrail) Ça fait plus de cinquante ans que j’viens chaque jeudi… Septembre, ce sera mon fils.
- J’vâs vous regretter. Vous m’serviez toujours bien. Et les Mioches aussi vont vous regretter.
- Ils me manqueront…
- Et vous prenez votre retraite à Brin ? C’est bien Brin qu’vous habitez.
- Oui (rigola le Totol) De l’autre côté d’la Seille, en France (s’esclaffa-t-il de plus belle).
- Attention (fit madame Bolinjé sur le même ton) A vot’ retraite, ils ne vous donneront plus de laissez-passer.
- Ausweis ! J’ai connu ça quand j’étais jeune.
- En 40 ? (interrogea l’Oda).
- En 40, la frontière était fermée. Et après, vous étiez tous partis. Alors, je ne venais plus… La première fois, c’était en septembre 1899. J’avais à peine treize ans…

 

Le Totol marqua une pause pour saluer une dame qui passait dans l’allée, puis il reprit le fil de son histoire :
- A l’époque, on venait avec une charrette. On mettait plus d’une heure. Faut dire que notre cheval, c’était pas un cheval, c’était un âne…
- T’avais un âne ? (s’intéressa la Mikète).
- C’était un cheval qui se prenait pour un âne. Ça le toquait comme ça, il quittait le chemin et il broutait. Mon père avait beau gueûler, le cheval n’avançait plus.
- Alors, qu’est-ce tu faisais (demanda la Mikète).
- Bâ, on attendait qu’il ait plus faim et qu’il reparte. Vous savez c’était un Ardennais-lorrain. C’est costaud ! On avait beau le pousser, lui filer des coups de baguette…
- Comment s’appelait ? (demanda la Mikète).
- Tête de boc ! (tout le monde rigola) C’était vraiment une tête de boc.
- J’me rappelle pas d’vot’ cheval (fit l’Oda).
- Moi, non plus. Par contre, du camion (renchérit madame Bolinjé).
- On l’a acheté en 1924 ou 25, enfin par là. Vous voyiez, autant mon père ne voulait pas que conduise le cheval, jamais il n’a voulu conduire le camion. Il avait peur. Même comme passager. Il s’accrochait à la poignée tout le trajet. Des fois, je faisais exprès des écarts…
- Oh ! (protesta l’Oda).
- Vous savez, c’était mon père. Un père c’est tout. Mais, c’était un drôle de type.
- Il avait sa réputation (ricana madame Bolinjé en faisant un sous-entendu coquin).
- Vous pouvez le dire, c’était un chnâilleur. Même le roi des chnâilleurs.
- Comment tu sais ça ? (demanda l’Oda à madame Bolinjé).
- Mon père m’a raconté. Il a eu une histoire avec la Nanète.
- Tiens, j’me rappelais p’us de son nom. C’est ça, Nanète…

 

La Nanète faisait les chambres à l’hôtel de la Couronne. Son mari était un grand gaillard qui travaillait à l’usine à gaz. Un jour, il surprit son épouse en train de batifoler. Le mari avait coursé le père du Totol, de l’hôtel jusqu’au marché. Le père du Totol avait eu juste le temps de grimper dans le camion et de presser son fils à démarrer. Tout leur étal était resté sur le marché…
- C’est pas pour rien qu’il m’emmenait avec lui. A peine, on arrivait qu’il disparaissait. Des fois, il revenait, le marché était fini depuis longtemps. C’est comme ça que j’ai rencontré ma femme. Au café des parents d’la Lolotte (rajouta-t-il).
- Elle est d’ici ?
- Non, non, de Moncel… Ah, il était spécial. J’avais pas intérêt à la ramener. Il m’aurait filé une rouste, même quand j’avais trente ans.
- Te dégoises sur ton père, au moins. Un vinrats de coco çui-là.
- Oh, Mélie, t’es en retard aujourd’hui.
- Tu t’ennuyais après moi, mon chéri ? (elle fila un coup sur le bras de l’Oda) T’sais Oda, on aurait pu être marié tous les deux. Si j’avais voulu ! Pas vrai Totol ? (elle donna un coup de menton pour mieux affirmer ses dires. Le marchand approuva en souriant) La première fois qu’il m’a vue, il avait un cheval. Tête de Hans qu’i s’appelait. Nème !
- Tête de boc ! (rectifia le Totol).
- Vinrats, t’es sûr ?
- C’était le cheval de mon père quand même !
- Bâ… Passons. Il était là à me regarder, la bouche ouverte, sans pouvoir ni parler, ni bouger… Pas vrai Totol ? (le marchand acquiesça d’un hochement de tête) Pendant ce temps, sa Tête de machin a bouffé toute une caisse de carottes. Vinrats d’vinrats !
- Il a fait ça ! (s’émerveilla la Mikète).
- Quand j’te dis que c’était un âne, j’mens pas (confirma le Totol).                           
- Oda ! (fit la Mélie en tapant une nouvelle fois sur son bras) T’me vois marié avec l’engin-là ? Vinrats ! J’aurai été sur le marché en train de gueûler : v’nez voir mes belles carottes !

 

Le sujet du jour remonta à la surface :
- Alors (dit l’Oda) parait que le Fanfan a pas été renversé et qu’il a toujours son vieux vélo.
- Qui t’a raconté ces âneries ?
- La Lolotte ! La Lolotte l’a vu entrer à la Mairie avec son vélo.
- La Lolotte a des visions (s’exclama la Mélie) J’te garantis qu’le Fanfan a p’us de vélo
- Moi aussi, j’ai vu le Fanfan sur son vélo.
- Vinrats ! T’as rêvé. Moi, j’te dis qu’le Fanfan s’est fait renverser et qu’on lui a volé don vélo. Vinrats d’vinrats !
- Le Sotré a volé le vélo du Fanfan.
- Tu crois ça, toi ! (se moqua la Mélie)
- Voler le Jano en plein jour. Et ils ont cassé sa vitrine (affirma madame Bolinjé).
- Vinrats ! Quelle époque on vit. Y’a toujours eu des vols. Mais, depuis la guerre, j’trouve qu’il en a de plus en plus. Nème, Oda ?
- La guerre, ça a tourné la tête à beaucoup.
- Si, c’est l’Sotré. Le père Choumake l’a dit : le Sotré a volé le vélo (insista la Mikète).
- C’est vrai (confirma le Dabo) L’Sotré l’a volé le vélo pour embêter l’Fanfan.
- Le père Choumake n’a pas tout à l’endroit (ricana la Mélie en s’adressant à l’Oda) Pas étonnant qu’il ait un fils comme ça.
- Oh… (protesta faiblement l’Oda).
- Vinrats ! Les chats font pas des chiens. Si t’vâs voir la Mimie, vâs pas avec tes Mioches.
- Pourquoi ?
- Avec l’autre haltata, vaut mieux pas.
- Oh, le Robi, il est gentil.
- Gentil ! Gentil ! J’le foutrais à Lorquin, moi.
L’Oda n’en dit pas plus. Ce n’était pas la première fois que la Mélie, ou d’autres personnes, lui disait que le Robi devait aller chez les fous. Et plutôt que de se disputer, l’Oda coupait court et parlait d’autres choses.
- Monsieur Galate m’a dit que le Mièsse cherchait des menuisiers. J’vâs l’dire au Milou. Des fois qu’ça l’intéresse.
- Igor m’a dit ça. T’vois qu’nos hommes travaillent ensembles, ça serait bien, nème ! Surtout qu’c’est une bonne équipe.

 

Madame Lèspiyone s’arrêta à l’étal en articulant un faible « Bonjour messieurs-dames ». Seul le marchand répondit. La Mélie maugréa : « J’parle pas à la Boche », tandis que l’Oda et madame Bolinjé s’en allèrent en disant, seulement, au-revoir au Totol.

 
 
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A suivre

Des racontars

(Le Marché // Le Vélo)

Le fin mot de l'histoire ?

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo :
* La Descente
* Le Marché :
La Bûche
~ Le Fanfan enquête
~ Visions et rêves
~ Des racontars
~ Moins grave
* La Bûche

La Gazette des Fiawesmai 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète 5 ans, le Dabo 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda leur maman 28 ans, le Milou leur papa 28 ans,

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Date de dernière mise à jour : 06/05/2024

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