- Qu’est-ce te prends en photo comme ça ? (s’intéressa notre papa).
- Notre nouveau quartier, tout neuf. Regarde comment ça va être beau.
- Tous les bâtiments se ressemblent (grimaça notre maman).
- C’est un architecte de Paris, Mr Bureau (répondit notre papa pour montrer qu’il était au fait de l’actualité).
- J’aimerais pas habiter là.
Le chat noir avec son médaillon de poils blancs au cou était assis sur l’appui d’une fenêtre du premier bâtiment. Exactement, à la cinquième fenêtre du premier étage. Il miaula comme s’il répondait à notre maman. Je dirais plutôt que son miaulement ressemblait à un ricanement. Mais, personne n’y fit attention.
- T’rappelles Oda quand on est rentré d’exil ?
Notre maman et le Guézète n’y reconnaissaient plus rien comme ils disaient. A l’époque, mis à part les extrémités et la fameuse maison Bouyon, la rue n’était qu’un tas de ruines suite aux bombardements de novembre 1944. C’était comme si le Graoully, avec son puissant souffle de feu s’était acharné pour détruire le quartier. C’est pour cette raison que j’appelle cette rue, la rue du Graoully. Aujourd’hui s’élevaient des enfilades d’immeubles de un étage. Des commerces allaient s’ouvrir : une boulangerie-alimentation (celle de la copine de notre maman), une pâtisserie (celle d’un cousin de notre nonôn Popaul), un magasin de modes (celui de la dame d’un marchand de bestiaux), un photographe (une annexe du photographe de Morhange. Celui qui venait tous les jeudis au marché), un vendeur d’électroménager (encore une copine de notre maman). La Perception et une étude d’huissier de justice s’installeraient où s’élevait autrefois l’hôtel de la Couronne. Même un cinéma était prévu en face de chez la mémère Maria. Dans le triangle formé par les rues, allaient être aménagés deux squares. Avec des pelouses, des massifs de fleurs, des buissons, des chemins, des bancs. Un terrain de jeux pour enfants avec des bacs à sable sur une terrasse. En dessous, des garages et un beau bassin avec ses poissons et son jet d’eau. Un bel escalier en béton accéderait à la terrasse… Le Guézète était intarissable :
- Sûr, l’Oda. Ça va être superbe !
Notre papa hocha la tête en signe d’assentiment. Notre maman faisait la moue :
- Les trottoirs, c’est en option ?
- Ça va v’nir, Oda.
Nous rejoignirent le nônon Popaul, la tâta Nénète et leurs deux filles. Ce qui relança le couârail. C’est qu’avec son travail à la Reconstruction, le nônon avait des choses à raconter, à préciser.