Quant à Marthe…

elle était enceinte // Fratricide (8)

Gros scandale dans la famille. Pour la première fois, son père lui colla une raclée. Il ne s’arrêta pas en si bon chemin, il renia sa fille et la bannit.
Ses parents étaient de fervents catholiques, c’est donc tout naturellement qu’ils firent appel au curé de la paroisse. C’est tout naturellement que le curé fit appel aux sœurs de la Doctrine chrétienne. On sait combien est puissante cette congrégation dans la petite ville. Malgré l’annexion allemande, la congrégation avait gardé de solides liens avec son siège de Nancy. C’est là-haut que ses parents, curé et bonnes sœurs l’expédièrent.

 

Ainsi, Marthe se retrouva boniche chez des riches et vieux commerçants. Eux-aussi étaient de fervents catholiques, mais pas du tout dans le genre des parents de Marthe. Dès son arrivée, ils mirent les choses au point :
- Ma fille vous avez fauté. Nous ne vous demanderons jamais avec qui vous avez fauté. Nous ne vous demanderons jamais qui sont ces parents qui vous ont chassé au lieu de vous aider. Cela ne nous regarde pas. Si un jour ou l’autre, vous désirez en parler, nous sommes là pour ça. Maintenant, il faut vous occupez de la venue de votre bébé et de rien d’autre.

 

Marthe logeait au dernier étage de l’immeuble jusqu’au moment où grimper l’escalier se révéla être un exploit. Alors, les commerçants l’installèrent dans une chambre de leur logement… Une petite Marie-Rose naquit. Les vieux commerçants furent presque aussi attentionnés que Marthe, c’est tout juste s’ils ne disaient pas que c’était leur petite-fille. Faut les comprendre, ils n’avaient jamais eu d’enfant…

 

Lorsqu’elle se retrouvait seule avec sa fille, Marthe l’appelait Achika.
- Achika, l’Amoureuse. La maman de ton papa s’appelle Achika. C’est joli, hein ? C’est notre secret, tu n’en parles à personne.
Achika riait lorsque sa mère discourait sur son père. Envoyé par Dieu, ce valeureux guerrier était venu du fin fond de l’Algérie pour libérer sa Dame prisonnière des méchants Prussiens. Marthe inventait son conte de fée. Sûr, Mustapha réapparaîtrait… Achika avait les cheveux roux comme sa mère et bouclés comme son père. Sa peau était doucement teintée…

 

Un jour, sans doute un peu trop pressée, Marthe traversa la rue Saint-Dizier sans regarder. Un monstrueux tramway… Marie-Rose, dite Achika l’Amoureuse, n’avait que quatre ans.

 

Marie-Rose était devenue une belle jeune fille, plutôt grande et à la peau basanée. Sa longue chevelure rousse était frisée. Et ses yeux ! Des yeux vert clair qui se fonçaient et s’animaient à la moindre occasion…
Le vieux commerçant et sa femme s’étaient occupés d’elle comme si c’était leur fille… ou plutôt leur petite-fille. Ils l’inscrivirent à la faculté. Ils avaient dans l’idée que Marie-Rose reprendrait leur commerce… Marie-Rose n’avait jamais entendu parler de ses grands-parents de Château-Salins. Ceux-là même qui avait chassé sa mère. Marie-Rose ne savait pas qui était son père. Marie-Rose n’avait pas le souvenir d’Achika, l’Amoureuse. Ses « vrais grands-parents » ne connaissaient rien à l’histoire de Marthe et ne purent qu’en raconter bien peu. Quant aux sœurs de la Doctrine chrétienne, elles demeuraient muettes.

A son tour, Marie-Rose rencontra l’amour. Elle se maria et eut une fille qu’elle appela Colette. La petite grandit à l’abri du commerce familial. Vers ses vingt ans, Colette rencontra un jeune homme de Château-Salins. Elle partit habiter là-bas. Ainsi naquit Bertrand…

Presque cent ans s’étaient écoulés depuis ce 17 novembre 1918. Ce jour-là, les Français entraient chez nous en vainqueur. Ce jour-là, Marthe rencontrait Mustapha. Presque cent ans plus tard, leurs arrière petits-enfants, Bertrand et Ousmane, disparaissaient tragiquement. Aucun des deux ne connaissait l’histoire de leurs arrière grands-parents. L’un tenait un kebab, l’autre était beaucoup plus qu’un consommateur. Souvent, après le service, lorsque tous les clients étaient partis, Bertrand et Ousmane discouraient de tout et de rien. C’était bien souvent Julie qui mettait un terme à la soirée : « Bon les gars, demain sera un autre jour ». Au soir du 7 mai 2017, le lendemain fut un autre jour. Ni Bertrand, ni Ousmane, ni Julie n’aurait pu l’imaginer…

 

Le 11 avril 2017 

 

 

 

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Fratricide
7 mai 2017
16 novembre 1918
17 novembre 1918
L’attente
L’entrée des troupes
Retrouvailles
Quelque temps plus tard
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Date de dernière mise à jour : 08/11/2023

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