Nouvel An

La Noël (suite) - (C’est la fête)

 
 
 

Notre maman nous avait appris qu’on changeait de mois tous les je ne sais combien de jours Une fois c’était 30 jours, une autre fois 31. Elle évoqua même 28 ou 29 jours. A notre avis, notre maman ne savait pas quand on changeait de mois. Elle regardait le calendrier des PTT qui trônait sur un mur de la cuisine… tout simplement. C’était entendu : on avait passé d’octobre à novembre, de novembre à décembre.
- Après décembre, y’a quoi ?
- Janvier.
- Janvier ! Janvier ! (rigola ma sœur en haussant les épaules et en se moquant de notre maman) On a déjà eu janvier l’aut’ fois.
- Oui, oui, tu as raison. Mais, c’était il y a longtemps…
- J’me rappelle. Sais p’us quand, mais on a eu janvier, j’te dis !
- C’est un nouveau janvier…
- Un nouveau janvier ? L’était pas bien l’aut’ janvier ?
- Passque… On change d’année. On va passer de 1952 à 1953.
Ma sœur exorbitait des yeux si étonnés que notre maman décrocha le calendrier des PTT, le retourna et égrena en suivant les mois du doigt : « Janvier, Février, Mars… ». Après Juin, elle retourna le calendrier et poursuivit : « Juillet, Août… ». A Décembre, elle pointa ce qu’elle appela une date :
- On est là ! Lundi 29 décembre, mardi 30 décembre, mercredi 31 décembre…
Autant te dire que je n’avais rien compris. Par contre ma sœur :
- Après y’a p’us rien. Faut l’autre calendrier, celui que le Pieuton t’a donné l’aut’ jour.
- Voilà, c’est ça. Pour fêter 1953, mercredi soir, on va faire un réveillon.
- Comme à la Noël ? Et le P’ti-Jésus va encore naître ?
- Y’a pas de P’ti-Jésus pour le Nouvel An... On va bien manger et à Minuit, on va se souhaiter « Bonne Année » en s’embrassant.
- J’me rappelle ! (exulta ma sœur) Après, on nous donne des sous, nème môman ?
- Le lendemain. Mais, mercredi soir, on va bien manger.
- Ah ! Ah ! L’Dabo va encore dormir et i mangera rien.

 

La veillée du Nouvel An s’était déroulée comme prévue. Enfin, pas tout à fait. En début de soirée, plutôt éloigné de la grotte du P’ti-Jésus, le Fofo glapit en remuant joyeusement la queue. Il fallut qu’il recule un peu son museau pour :
- Moôn ! (poussa ma sœur).
- J’me demandais si elle les verrait (glissa notre maman à notre papa qui rigolait).
- Heureusement qu’le Fofo était là pour lui montrer.
- Moôn ! (reprit ma sœur) Des chameaux comme l’aut’ fois… (L’autre fois c’était, si mes souvenirs sont bons, en septembre dernier. Ma sœur me poussa amicalement) T’vois l’Dabo, c’est les chameaux qu’j’ai vus avec la mémère.
Moi et le Fofo, nous nous étions contentés de les regarder passer depuis notre fenêtre. Il y avait des chameaux à deux bosses comme les trois de notre sapin. Il y avait des clowns comme ceux de notre sapin. La ressemblance s’arrêtait là. Parce que, l’autre jour, il y avait aussi des chameaux à une bosse, des éléphants, des lions en cage et plein d’autres animaux que je me rappelle plus le nom. Et puis, il y avait des jongleurs, un cracheur de feu, des trapézistes. Même qu’à l’avant du défilé, une automobile avec un gros haut-parleur sur le toit faisait un tintamarre du Diable pour annoncer le spectacle de l’après-midi. La mémère était venue chercher ma sœur, soi-disant que, moi, j’étais trop petit pour y aller. Ainsi, je fus privé du beau spectacle sous le chapiteau.

 

- Pis (reprit ma sœur en se grattant la tête pour faire jaillir ses souvenirs) Le clown noir… Mais… L’aut’fois c’était un clown blanc…
- C’est pas le défilé du cirque, ni un clown…
- Bâ alôre, c’est quoi ?
- C’est les Rois Mages et là, sur les chameaux, ils apportent des présents au P’ti-Jésus.
- Pourquoi il est noir çui-la ?
- C’est Balthazar, il est Africain. Les autres : Gaspard et Melchior...
Tu t’en doutes, nos parents avaient encore inventé une histoire. Parce que ni le Fofo, ni ma sœur, ni moi n’avions jamais vu de gens tout noir. Tout simplement, ça n’existait pas. Alors, nous fîmes semblant d’y croire. Admettons que le Balthazar soit un Noir :
- Les autres sont pas noirs (remarqua ma sœur).
- C’est des Arabes.
Deux ou trois fois, nos parents avaient emmené ma sœur chez nos cousins de Hayônche. Hayônche, une ville industrielle, fief de la sidérurgie, fief des mines de fer, fief des de Wendel…
- Eux, le Gaspard et le Melfor…
- Melchior (la reprit notre papa) Melfor, c’est le vinaigre. Melchior ! Melchior ! (répéta-t-il pour lui faire entrer dans sa tête).
- Oui ! Mekior et l’autre vont pas voir le P’ti-Jésus.
- Si !
- Non ! Eux is vont dans les usines à Hayônche.
Nos parents trouvaient toujours une ritournelle pour justifier les histoires qu’ils inventaient. Devions-nous prendre pour argent comptant leurs dires ?
- Ceux qui vont dans les usines et les mines, c’est les Nord-africains. Les Rois Mages, eux c’est pas pareil, c’est des Arabes.
L’explication était bien simpliste. Mais, nous n’avions guère d’arguments à leur opposer. Alors, ma sœur conclut par un « Ah, bon », bien que notre cousin de Hayônche parle indifféremment des Nord-africains ou des Arabes.

 

L’autre surprise, ma sœur la découvrit toute seule : un gros truc argenté pendait au-dessus de la grotte du P’ti-Jésus. Il ballotait de gauche à droite en renvoyant des éclats de lumière.
- T’sais ce que c’est ?
- Une étoile ! (pavoisa ma sœur).
- C’est l’étoile qui guide les Rois Mages vers le P’ti-Jésus. L’Etoile du Berger.
- La même qu’on voit dans l’ciel, nème papâ ? (Souvent lorsque le ciel était dégagé, notre papa lui présentait les étoiles et les constellations) Pourquoi sont pas avec le P’ti-Jésus ?
- Ils n’arrivent que le 6, dans une semaine. Ce jour-là, on mangera la galette et on tirera les Rois.
- Ah oui (se souvint ma sœur) avec le truc qui fait mal aux dents.
- La fève (corrigea notre maman).
- La fève ! (approuva ma sœur) Et après, j’mets la couronne sur la tête.

 

Pour l’heure, nous n’en étions qu’au Nouvel An, plutôt à la veillée. Ne prolongeons pas le suspens. Notre papa avait remis sur le tapis les cartes. Je ne sais pas quel jeu il voulait. D’ailleurs, lui-même l’ignorait. D’emblée, le Skat avait été écarté, lui-même n’était pas très fort et il en connaissait mal les règles. Il se rabattit sur la Belote, jeu dans le même genre, mais bien plus simple. Sauf que ni ma sœur, ni moi ne connaissions les cartes. Notre papa décidait pour ma sœur, notre maman pour moi. La Belote fatigua rapidement, nous comme nos parents. Alors notre papa proposa le Schwartz Peter. Mais, là aussi, nous étions hors jeu puisque c’étaient nos parents qui choisissaient les cartes. La Bataille était bien plus simple. C’est nous qui prenions les cartes et les mettions, souvent les jetions, au centre du tapis. Sauf qu’il fallait suivre les règles : on ne pouvait pas choisir celles que nous désirions. Sauf que la valeur des cartes nous était étrangère. Bien souvent, nous pensions que nos parents nous roulaient en nous déclarant que c’était soit notre maman, soit notre papa qui avait mis la plus grosse carte. Nous avions beau protester, notre papa ne cédait pas et empochait les cartes sous notre nez.
- Faut qu’ils apprennent les règles !
- Oh, Milou (adoucissait notre maman) ils sont trop piats. Ça leur fait plaisir de gagner.
- C’est pas une raison (s’entêtait notre papa tout en cédant).
Arriva l’heure où je déclarai forfait et que notre maman m’emmena dans mon lit. Et pendant que je ronflais, mes parents et ma sœur se goinfraient plein de bonnes choses : du lard, des saucisses blanches, du boudin blanc, différentes sortes de pâtés…

 

Le lendemain matin, nous descendîmes chez la tante Agathe pour lui souhaiter la Bonne Année. La tante y alla de sa goyote et donna à ma sœur et à moi, chacun un beau billet de 500 F. Le Fofo tiendrait compagnie à la tante tandis que nous nous rendions chez nos grands-parents. Là, nous retrouvâmes notre tante Luluce, la tatâ Nénète, le nonôn Popaul, nos cousines et cousins. Embrassades générales, « Bonne Année, bonne santé » et des « Meilleurs vœux pour 1953 ». Et patati et patata. A moi, on me souhaita de marcher et de parler dans l’année. Comme s’il suffisait de faire des souhaits pour que cela se réalise.
Nous avions tous mangés chez nos grands-parents et passés une bonne partie de l’après-midi. Vint l’heure du départ. Nos oncle, tante, cousines et cousins avaient prévu de faire le tour de la famille du nonôn Popaul. Quant à nous, direction les parents du Mimil’, puis ceux de la Mimie. En vérité, une journée bien remplie et bien arrosée surtout pour notre papa. Ah oui, nous avions récolté encore plusieurs billets de 500 F, de quoi nous acheter pas mal de bonbons chez la Dédée.

 
 
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La suite

A onze heures sonnantes

Tout un cérémonial

(Couilles de taureau // C’est la fête)

 

Le Sotré
Purification
La Noël :
~ Le sapin
~ Réveillon
~ Nouvel An
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiaweslundi 29 décembre 1952

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 3 ans 1/2, j'ai 1 an, le Fofo 9 ans, la tante Agathe 85 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2, le nonôn Popaul 36 ans et la tatâ Nénète 29 ans

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 14/02/2024

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