En Suisse

La Suisse des Morts (suite) - (Le Sotré)

 
 

Alors que notre maman était descendue faire ses courses, nous étions postés à la fenêtre en compagnie de la tante Agathe. Le carillonnement lugubre des cloches, le martèlement des sabots sur les pavés, vint à passer la Licorne et son étrange cortège.
- Encore la mémère Maria ! (s’exclama ma sœur).
- La mémère Maria, c’était l’aut’ fois. Là, c’est madame Simon.
Ma sœur acquiesça d’un hochement de tête.
- Madame Simon était vieille. Nème tante Agathe ?
- Oui… Enfin, un peu plus jeune que moi.
- La Licorne emmène madame Simon en Suisse (affirma ma sœur en faisant une bonne bouille).
Si la tante avait adopté notre Licorne, elle ne comprit pas ce que venait faire la Suisse là-dedans. Ma sœur expliqua que c’était notre mémère qui avait raconté que la Licorne avait emmené la mémère Maria en Suisse. Donc, aujourd’hui, la Licorne emmenait madame Simon en Suisse. La tante grimaça plusieurs fois, mais elle finit par reconnaître ou avouer, je ne saurais dire, que la Licorne emmenait les gens en Suisse. Pour quelle raison ? Là, la tante s’empêtra dans de longues explications où il était question de maladies, de vieillesse, d’accidents et de ne je ne sais quoi.
- Quand elle revient d’Suisse, la mémère Maria ?
- J’ai jamais connu quelqu’un qu’est revenu d’Suisse (rigola la tante).
Nous en conclûmes que la Suisse était un lieu merveilleux. On n’y souffrait plus de rhumatismes, on était toujours en bonne santé, on ne vieillissait plus, on avait plein de bonnes choses.
- Alors, t’vâs bientôt partir en Suisse ?
C’est qu’elle n’était plus toute jeune la tante. Allez vâ, le poids des ans se faisait bien sentir.
- T’sais, j’es pas pressée.
- Comme ça tu retrouveras tes jambes de vint’ ans, nème tante Agathe ?

 

C’est à ce moment là que notre maman revint. Elle déballa les courses de la tante, entre autre un cornet de bonbons. Aussitôt, la tante entreprit la distribution. C’était ainsi, le Fofo était le premier servi. Ensuite, un pour ma sœur, un pour moi.
- C’est tout (la stoppa notre maman) Après, vous allez rien manger.
Ça ne nous dérangeait pas trop, car nous savions que tout le cornet était pour nous. Crois-moi, lorsque notre maman n’était pas là… Notre maman rangea le cornet et les courses dans le buffet, puis prépara à manger pour la tante. Hopla !, nous montâmes au logement. A notre tour de manger.
Arriva la Noël, son beau sapin et son P’ti-Jésus. Nos parents avaient essayé de nous embourber avec leur bondieuserie. Mais cela n’avait pas duré bien longtemps. Toutes ces âties pour nous détourner de not’ Sotré étaient tombées avant que les épines de notre beau sapin ne sèchent et se répandent sur le plancher.

 

Nos parents avaient essayé de nous embourber avec leur bondieuserie :
Le sapin

Flech cyrarrd

Lorsque nous avions été cherchés les friandises chez la tante Luluce, elle nous avait dit qu’elle irait passer le Nouvel an dans la famille de son père, en Suisse. Aussi chaque jour, nous guettions. Enfin, un matin, les cloches carillonnèrent lugubrement. Ma sœur se précipita pour prévenir notre maman :
- Môman ! Môman ! Vite, la tante Luluce va passer.
- Quoi ? Quoi ?
Elle arracha notre maman à sa cuisine, la traîna jusqu’à la fenêtre sur la rue. « Ça tire trop. J’reviens ». Elle se dépêcha d’aller fermer la porte de la chambre, revint aussi vite. Mal clenchée, la porte se rouvrit. A nouveau notre maman retourna fermer cette vinrats de porte. « Vite ! Vite ! ». Déjà, apparaissaient le suisse, les trois enfants de chœur, le bon’ôme en robe, la Licorne et son carrosse.
- R’garde, la tante Luluce s’en va en Suisse.
- Mais non… Mais non… (Notre maman crayait, écarquillait de ces yeux).
- Si ! La Licorne emmène la tante Luluce en Suisse. Comme elle a emmené l’aut’ fois la mémère Maria.
- C’est Monsieû Vagnère… La tante Luluce… Elle partira avec le car… Demain… C’est demain qu’elle part en Suisse.
- Elle part pas avec la Licorne et son carrosse ?
- Non, non… Tu verras demain… On ira au car… Tu verras la tante Luluce.
Il fallut bien nous rendre à l’évidence le lendemain : de nos propres yeux, nous vîmes la tante Luluce, en chair et en os, monter dans le car.

 

La tante Agathe nous avait dit que les gens qui partaient en Suisse ne revenaient pas. Ils se plaisaient bien trop là-haut. Et, pourtant, la tante Luluce nous revint la semaine suivante. Elle avait fait un merveilleux voyage.
- T’as vu la mémère Maria ? (demanda ma sœur).
- La mémère Maria ? Ma mère, t’veux dire ?
- C’est la môman qui lui a raconté ça (murmura notre maman).
- Quèce ta mère a été chantée là ! (La tante Luluce eut une illumination, elle se reprit) Oui… Oui… Elle vous embrasse bien fort. On a beaucoup parlé de vous… Et elle m’a donné des chocolats pour vous. R’gardez, des chocolats de Suisse.
Des chocolats, hum ! Qu’ils étaient bons. La tante Agathe avait bien raison de dire qu’en Suisse il y avait plein de bonnes choses. Mais :
- Pourquoi t’âs pas partie avec la Licorne comme la mémère Maria ?
- Le car… Le train… C’est plus rapide (s’embourba notre maman).
- J’ai compris (conclut ma sœur) avec le car et le train, on revient de Suisse. Pass’qu’avec la Licorne, on revient pas.
Notre maman et la tante Luluce se regardèrent, éclatèrent de rire en lâchant des « oui » convulsifs.

 

Quelques jours plus tard, nous étions postés à notre fenêtre favorite en compagnie de la tante Agathe.
- Pourquoi la Licorne emmène les gens en Suisse ?
La tante réfléchit un moment. Elle remit en place son châle et finit par dire :
- Passqu’ils sont morts…
- C’est quoi morts ?
La tante souffla longuement. Son visage s’éclaira :
- Tu t’rappelles, ta mémère Maria avant que la Licorne l’emmène en Suisse, elle restait toute la journée au lit…
- Elle était malade. Même que le docteur lui donnait des pilules et que l’infirmière lui faisait des piqûres. J’me rappelle !
- Hé, ben, elle était trop malade, alors, elle est morte.
- La môman, elle a peur des morts (rigola ma sœur) Et toi, t’as peur des morts ?
- Non…
- Moi aussi, j’ai pas peur des morts.
L’affaire aurait pu en rester là, c’était sans compter avec la curiosité de ma sœur.
- La tante Luluce â partie en Suisse pas avec la Licorne (fit-elle en agitant l’index) Elle â revenue. Mais, elle a été avec le car.
- C’est… C’est… C’est pas la même Suisse.
- Ah, bon ?
- La Suisse là, c’est un pays… Comme la France ou l’Allemagne.
- On met pas les morts là ?
La tante n’arrêtait pas d’ajuster et de réajuster son châle. Elle lâcha :
- La Suisse ousqu’on met les morts, c’est chez nous. T’vois en r’montant, not’ rue continue vers Nânci. Sur la droite… Ousqu’y’a la statue d’la Vierge…
- J’vois (fit ma sœur en secouant la tête).
- Ben, la Suisse ousqu’on met les morts, c’est un peu là-haut, plus loin en montant la côte. La Suisse ousqu’a été ta tante Luluce, c’est loin. De l’autre côté des Vosges, après l’Alsace.
- Oui, mais la tante Luluce a vu la mémère Maria. Elle l’a dit.
- Elle s’est trompée, vâ (comme ma sœur faisait une moue mettant en doute son propos, elle rajouta) T’sais, les adultes ont parfois du mal à expliquer les choses aux enfants. Mais, c’est pas la même Suisse…
- Bâ, alôre ! (s’écria ma sœur en se grattant la poyate) Y’a la Suisse des Morts. Y’a la Suisse de la tante Luluce. Pis, y’a le suisse de la Licorne. Pis y’a aussi les p’tits suisses qu’on mange. Y’en a des Suisses !

 
 

La suite

L’attaque

Un monstre s'en prend
à not' Fofo

(Le Sotré)

 

 

Et si nous partions
en vacances ?

Vivent les vacances !

Flech cyrarr 1
 

La Bianche-tète
A la moulinette
~ Rue du Graoully
~ La Licorne
Coups de dents
~ En Suisse
~ La Grotte
~ Sorti du feu

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur dépasse ses 3 ans 1/2, j'ai plus d'1 an, le Fofo 9 ans, la tante Agathe 85 ans, notre maman 26 ans 1/2, la tante Luluce 58 ans 1/2, la mémère Maria depuis le 18 novembre,
not’ Sotré, la Licorne

En savoir plus sur les lieux, sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 20/10/2023

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
  • 2 votes. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire