Instructif

La prothèse (C’est la fête)

 
 
 

A deux heures et demie, le père Mohhat donnait le départ. Seule la mère Mohhat resterait à la maison.
- J’ai à faire (prétendait-elle).
- Pourtant une petite promenade ferait le plus grand bien à votre santé.
- J’ne suis point malate !
- Vous êtes trop grosse.
- Papâ (implorait la Mimie).
- Taisez-vous manre barbouillâd et disparaissez de ma vue.
En fait, la mère Mohhat aurait aimé vivre dans une grande ville, parcourir ses rues, rêver devant les vitrines, respirer l’animation tumultueuse de la foule. Au lieu de cela, elle croupissait dans cette petite ville entourée de champs.

 

Le père Mohhat suivait toujours le même itinéraire. Direction le bout de la place du Marché, là où débouchait, après un coude, la rue du Beaurepaire. Quelque dizaine de mètres et nous suivrions la route de Milo, sur la droite. La longue courbe traversait champs et pâtures. De quoi alimenter la conversation :
- C’est des vaches ou des taureaux ?
- Des vaches (répondit le père Mohhat à ma sœur).
- T’as vu Fofo, c’est des vaches. Meuh ! (Le Fofo secoua la tête comme s’il avait compris) Les taureaux, sont ousque les taureaux ?
- Y’en a pas, juste des vaches.
- Comment t’sais ?
- Pasqu’elles ont des mamelles.
- C’est le gros sac sous l’ventre ?
- C’est ça. Tu vois les veaux avec leurs mamans ?
- R’garde çui-là, il lèche la mamelle.
Le père Mohhat ria, puis reprit :
- Il tète sa mère.
- C’est quoi il tète ?
- Il boit le lait de sa mère. R’garde la vache d’à côté. T’vois les pis ? Y’en a quatre. Ça fait comme la tétine du biberon de ton frère…
- C’est là qu’a le lait. Un biberon, la tête en bas (conclut ma sœur. Le père Mohhat approuva d’un coup de tête) Fofo ! Va boire le lait des vaches.
Le Fofo détala dans une autre direction.

 

Moi, j’étais déjà arrivé au point où la route enjambait le Rupt des Salmuires. Nous tournerions sur la gauche et suivrions le Rupt à courte distance. Notre papa avait mis le frein à ma poussette et s’allumait une cigarette, tout comme le Mimil’. Si nous partions sur la droite, nous rejoindrions la rue de l’Homme des Salmuires, la place de la Saline puis, après l’église, la rue des Supérettes. Pour l’instant, nous faisions la pause. De quoi discutaient notre papa et le Mimil’ ? De Nancy où ils allaient chaque jour de la semaine travailler, de leurs patrons, du bâtiment (le Mimil’ était maçon, notre papa menuisier). C’est à ce moment que le Fofo nous rejoignit.
Et les femmes t’étonnes-tu ? Notre maman et la Mimie étaient bien loin derrière. On les entendait rire. Sans doute se racontaient-elles des histoires de jeunesse, de l’exil ou du temps où elles travaillaient ensembles à l’Enregistrement.

 

- C’est des taureaux ! Z’ont pas d’mamelles.
- Bâ non, c’est des bœufs.
- Z’ont pas d’mamelle. Z’ont pas d’couille. Nème père Mohhat ?
Il l’approuva et rajouta :
- On leur a coupé les couilles.
- Et si on avait pas coupé les couilles ? (s’étonna ma sœur).
Le père Mohhat se lança dans de longues explications comme quoi les génisses et les veaux étaient les petits des vaches et des taureaux. Les génisses deviendraient des vaches, les veaux des taureaux. Si on coupait les couilles des jeunes taureaux, ils devenaient des bœufs.
- La môman, elle a acheté du foie de génisse. Et une aut’ fois, des côtes de veau. Chez les Barthe. C’est toi qui tuais les génisses et les veaux ?
- Entre autres…

 

A la pâture suivante :
- R’garde ! R’garde ! Le bœuf qui monte sur le dos d’son copain.
- Lui, c’est un taureau.
- Un taureau ! Ousqu’elles sont les couilles de taureau ? C’est le grand truc entre ses pattes ?
- C’est son sexe. Les couilles, c’est les boules.
- Pourquoi i monte sur son copain ? Ah non, c’est pas son copain, c’est une vache. Nème père Mohhat, c’est une vache.
- A quoi t’vois ça ?
- Bâ, passqu’elle a des mamelles ! Pourquoi le taureau i monte sur la vache ?
Le père Mohhat s’était arrêté, il se roulait une cigarette tout en cherchant une réponse. Ma sœur le secoua :
- Bâ alôre, tu dis !
- Passque… Passque...
- Passque quoi ? (l’encouragea ma sœur sur un ton agressif).
- Vont faire un bébé… un veau.
- C’est comme ça qu’on fait les bébés ? Pourquoi elle gueûle comme ça ? (Ils arrivaient à notre hauteur, là où la route enjambait le Rupt des Salmuires. Le père Mohhat se sentit soulagé, car) Oh, les tritons. On r’garde les tritons… Un… Deux… Après, sais p’us…
- Y’en a cinq. Un, deux, trois, quatre, cinq.
- C’est quoi les piats poissons qui bougent tout le temps ?
- Pas des poissons (rectifia le père Mohhat) Ce sont des têtards, des bébés grenouilles.
- Bâ ! (admira ma sœur, puis en riant) Alôre, les grenouilles, elles z’ont fait comme le taureau et la vache.
Le père Mohhat acquiesça d’un hochement de tête.

 

Notre maman et la Mimie nous ayant rejoint, nous pouvions reprendre notre ballade. Maintenant, nos parents et leurs copains marchaient ensembles et discouraient de choses et d’autres. Ma sœur, le Fofo et le père Mohhat avaient de l’avance. Elle désigna une pâture :
- R’garde les chevals. Y’en a un… deux… me rappelle p’us… Quatre !
- Non, non. Un, deux… et après ?
- Un… deux… Attends, j’vais savoir (Ma sœur réfléchit un court moment, elle exulta) Trois. Nème, c’est trois ?
- C’est ça : trois.
- Dis voir, comment s’appelle la vache du cheval ?
- La jument.
- Et le veau du cheval ? (Le père Mohhat farfouillait dans sa mémoire) Ah, te sais pas !
- J’ai fait l’école en allemand, je ne connais pas tous les mots (Il cria) Mimie, comment s’appelle le petit du cheval ?
- Le poulain, papâ. Le poulain.
- Et le bœuf du cheval ?
A nouveau, le père Mohhat interrogea sa fille. Ce fut notre papa qui répondit :
- L’hongre.
- T’vois, mon papâ i connait. Lui, il a fait l’école des Français. Dis voir père Mohhat, les gens, y’a le papâ, y’a la môman, y’a la fille, y’a le garçon. Et le bœuf du papâ, comment s’appelle ?
- Y’a pas d’bœuf du papâ.
- Ah bon, on coupe pas les couilles des papâs.
- Bâ non.
- Pourquoi ?
- C’est comme ça…

 

La route virait sur la gauche et enjambait une nouvelle fois le Rupt des Salmuires. Ma sœur et le père Mohhat s’arrêtèrent là. Un chemin entamait la montée en suivant le Rupt. C’est ici que nous nous séparâmes. Allez plus haut aurait été une mauvaise idée, le chemin n’était pas carrossable comme le dit notre papa. Nous irions jusque Milo et reviendrions sur nos pas tandis que le père Mohhat, ma sœur et le Fofo grimperaient le coteau.
Même plus grand, je n’ai jamais eu l’occasion d’aller là-haut. Mais selon ma sœur, le Rupt des Salmuires traverserait une mare plantée de roseaux et habitée par maintes grenouilles. Ma sœur y aurait ramassé une coquille Saint-Jacques. Encore plus haut, jaillirait la source du Rupt des Salmuires. Et encore plus haut, s’ouvrirait une grotte « taillée » dans le calcaire. Avant de s’emparer du Beau Repaire, la Sotrée aurait habité là. Mais, chut, personne ne sait si ce qui vient d’être décris est la vérité. Seule ma sœur le prétend tandis que le père Mohhat reste énigmatique, sans jamais l’avoir ni démenti, ni approuvé.

 
 
Flech cyrarr

La suite

Couilles de taureau

restaurer une fonction compromise...

(La Prothèse // C’est la fête)

 

Le Sotré
Purification
La Noël
La Prothèse :
~ A onze heures sonnantes
~ Instructif
~ Couilles de taureau
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiawesdimanche 8 février 1953

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 4 ans, j'ai plus d'1 an, le Fofo 10 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2, le Mimil' 26 ans 1/2 et la Mimie 26 ans, la mère Mohhat 65 ans et le père Mohhat 69 ans

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 07/11/2023

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
  • 2 votes. Moyenne 4.5 sur 5.

Ajouter un commentaire