Et, pour le facteur, le Zidôre recommença le récit de sa matinée. Le manre cheval s’arrêtait à chaque maison comme s’il faisait le ramassage des ordures. Il n’avait pas voulu traverser pour aller à la Mairie. Etc. Etc.
- Fous-le donc’ à l’abattoir. I f’ra de beaux steaks. T’as vu comme il est gras !
- T’es malade Peution ! D’puis l’temps que je vis avec lui.
- Tu couches avec lui (Le père Galate marqua une pause pour rallumer sa Gitane maïs, puis reprit) C’est pour ça qu’ta femme dit qu’elle est malheureuse.
- Galate, manre barbouillâd, z’avez pas honte ?
- C’est presque vrai Demoiselle Agathe. Ma femme dit souvent : t’aime mieux ton bourrin que tes enfants ! Le pauvre i passe la nuit tout seul dans son écurie. Avant la guerre, y’en avait six ou sept. Mais, lui il est tout seul. Et le Maire m’a dit que l’année prochaine, on le remplacerait par un tracteur. Moi, j’veux pas de tracteur !
- Tout change (regretta notre maman).
- Le modernisme (conclut notre papa).
Profitant de l’attroupement, le Peution distribua le courrier. Enfin, une lettre à :
- Pour vous Fanny, c’est tout ce que j’ai. Ça vient de Dordogne.
- Comment est-elle venue ?
Depuis le temps qu’il stationnait là, le Haretard en avait marre. Sans crier gare, il planta le Zidôre dans ses péroraisons.
- Nom de Dieu ! I s’barre ton bourrin (s’écria le père Galate).
- T’inquiète, il ira pas bien loin. Bon, à plus.
Et comme il l’avait prédit, le cheval fit une halte à la maison suivante. Le Zidôre le rejoignit, tapa sur la ridelle. Haretard reprit sa marche et ainsi de suite à chaque maison.
Le Haretard nous avait laissé choir. Depuis un moment, le Fofo s’était installé dans le couloir, il avait suffisamment goûté aux plaisirs de la neige. Ma sœur lança une boule qui s’écrasa devant son museau posé sur le sol. Un long râle, le Fofo se leva et alla gratter à la porte de la tante. Quelques instants plus tard, lové sur « sa » chaise devant la fenêtre, il ronflait comme un bienheureux.
Que faire ? Déclencher une bataille de boules de neige ? Mais, voilà, les grandes personnes avaient bien autre chose en tête : résoudre l’énigme de cette lettre que venait de remettre notre facteur à Fanny. La lettre venait de ses parents, venait de Dordogne. Bon sang, comment avait-elle pu passée alors que toutes les routes étaient bloquées ? De tous les côtés, des files de véhicules s’agglutinaient en attendant l’arrivée du chasse-neige.