La lettre

Sports d’hiver (C’est la fête)

 
 
 

- Haretard ! Haretard ! Nom de Dieu ! C’est pass’qu’il travaille plusse que toi que t’l’as appelé comme ça ?
- Rigole pas Galate. C’est vrai que haretar désigne quelqu’un qui travaille dur. Ça vient d’une ancienne race de chevaux lorrains. Une race réputée pour les labours et tirer les chariots.
- Alors ton Haretard est un haretard (fit notre papa, s’imaginant faire un jeu de mots).
- Non, non, Milou. Mon Haretard est de race Ardennais, certains disent Ardennais-lorrain. Pass’que les chevaux Ardennais ont remplacé nos Haretards. Lui (dit-il en désignant son cheval) il est plus grand et plus beau que les Haretards. R’garde sa robe est rouanne, un peu grise et juste au-dessus des sabots, t’as remarqué (notre papa fit oui de la tête) ses pattes sont noires sur le bas. Comme sa crinière et sa queue.
- Les Ardennais sont brun (argumenta notre papa qui avait passé sa jeunesse dans une ferme).
- Baie, on appelle ça une robe baie. Roux marron, si tu préfères. C’est les plus répandu, je te l’accorde. Mais mon Haretard, c’est une autre variété d’Ardennais. Moins répandu.
- Vous vous y connaissez en chevaux (admira la Catinète).
Le Zidôre avait toujours vécu avec les chevaux. Ses parents étaient fermiers. Depuis tout jeune, il conduisait un cheval. Pour les labours comme pour tirer la charrette de foin. Il avait fait son armée et la guerre de 14 aux écuries d’un régiment de cavalerie. Et lors de l’exil :
- Vous étiez chez Armand (dit Fanny) La grosse ferme en descendant vers la Dordogne. Ils avaient des chevaux. Quand j’étais petite, j’allais les voir avec mes copines.
- Que de bons souvenirs (Le Zidôre prit un air rêveur) Des gens vraiment gentils. On était réfugiés chez eux, on se sentait comme chez nous. On a tous pleurés lorsqu’on est rentré d’exil. Depuis, je travaille à la Mairie pour ramasser vos poubelles avec mon Haretard. Et voilà.

 

- Alors, Milou t’es pas au boulot ? (railla le père Galate).
- Quand j’ai vu la neige…
- Nom de Dieu ! T’as bien raison. Un peu de repos, ça fait du bien. Même les Michelines ont refusé de bosser. Bloquées par la neige. Et les cars, pareil.
- C’est le Sotré qu’a jeté la neige pour embêter les gens. Passqu’il est méchant le Sotré. Il a fait du mal à not’ Fofo. Et l’a mis le feu chez nous. Il est méchant, nème père Galate ?
- Il a jeté la neige pass’que tu sautes sur la cave de la mère Kélère (rigola-t-il).
- Pas aujourd’hui ! J’ai pas sauté sur la cave de la mère Kélère, aujourd’hui !
- Oui, mais les aut’ jours, hein ?
Vexée, ma sœur retourna caresser le museau du Haretard. Ça lui plaisait puisque, lorsque nous arrêtions, il donnait un coup de museau dans notre direction.
- J’descendrai chez toi pour téléphoner à mon singe et lui dire que j’prends une semaine.
- Quand tu veux Milou. Je reste chez moi toute la journée.
- Vous avez prévenu vot’ patron (plaisanta notre maman).
- Bien sûr (que répondit le père Galate sur le même ton, tout en s’allumant une Gitane maïs) Et s’i veut pas, j’lui coupe le cou. Pas vrai Milou, c’est comme ça qu’i faut faire ?
Notre papa en rigola. C’est que le père Galate était à son compte. Son patron, si on peut dire, c’était lui-même. Là-dessus arriva l’homme de lettres.
- Vous êtes pas en avance.
- J’me demande pourquoi j’fais la tournée. J’ai à peine quinze lettres. Tu vois Galate avec ton « PTT, Petit Travail Tranquille ». Même quand y’a d’la neiche, on travaille.
- Oh, Peution ! C’est pour les fois où tu te la coules douce. Nom de Dieu ! Quèce a, çui là ?
Le cheval hennissait en secouant la tête. Prestement, nous nous éloignâmes craignant qu’il nous mordre.
- I trouve que la pause a assez durée. I veut continuer (rigola le Zidôre).
- Nom de Dieu ! L’a pas encore compris que tu ramassais pas les poubelles (renchérit le père Galate en tirant sur sa Gitane maïs alors qu’elle venait de s’éteindre).

 

Et, pour le facteur, le Zidôre recommença le récit de sa matinée. Le manre cheval s’arrêtait à chaque maison comme s’il faisait le ramassage des ordures. Il n’avait pas voulu traverser pour aller à la Mairie. Etc. Etc.
- Fous-le donc’ à l’abattoir. I f’ra de beaux steaks. T’as vu comme il est gras !
- T’es malade Peution ! D’puis l’temps que je vis avec lui.
- Tu couches avec lui (Le père Galate marqua une pause pour rallumer sa Gitane maïs, puis reprit) C’est pour ça qu’ta femme dit qu’elle est malheureuse.
- Galate, manre barbouillâd, z’avez pas honte ?
- C’est presque vrai Demoiselle Agathe. Ma femme dit souvent : t’aime mieux ton bourrin que tes enfants ! Le pauvre i passe la nuit tout seul dans son écurie. Avant la guerre, y’en avait six ou sept. Mais, lui il est tout seul. Et le Maire m’a dit que l’année prochaine, on le remplacerait par un tracteur. Moi, j’veux pas de tracteur !
- Tout change (regretta notre maman).
- Le modernisme (conclut notre papa).
Profitant de l’attroupement, le Peution distribua le courrier. Enfin, une lettre à :
- Pour vous Fanny, c’est tout ce que j’ai. Ça vient de Dordogne.
- Comment est-elle venue ?
Depuis le temps qu’il stationnait là, le Haretard en avait marre. Sans crier gare, il planta le Zidôre dans ses péroraisons.
- Nom de Dieu ! I s’barre ton bourrin (s’écria le père Galate).
- T’inquiète, il ira pas bien loin. Bon, à plus.
Et comme il l’avait prédit, le cheval fit une halte à la maison suivante. Le Zidôre le rejoignit, tapa sur la ridelle. Haretard reprit sa marche et ainsi de suite à chaque maison.
Le Haretard nous avait laissé choir. Depuis un moment, le Fofo s’était installé dans le couloir, il avait suffisamment goûté aux plaisirs de la neige. Ma sœur lança une boule qui s’écrasa devant son museau posé sur le sol. Un long râle, le Fofo se leva et alla gratter à la porte de la tante. Quelques instants plus tard, lové sur « sa » chaise devant la fenêtre, il ronflait comme un bienheureux.
Que faire ? Déclencher une bataille de boules de neige ? Mais, voilà, les grandes personnes avaient bien autre chose en tête : résoudre l’énigme de cette lettre que venait de remettre notre facteur à Fanny. La lettre venait de ses parents, venait de Dordogne. Bon sang, comment avait-elle pu passée alors que toutes les routes étaient bloquées ? De tous les côtés, des files de véhicules s’agglutinaient en attendant l’arrivée du chasse-neige.

 

- Les seules voitures postales qui ont pu arriver, c’est celle de Vic et celle Morhange. Vot’ lettre est arrivée avec celle de Vic.
- Peution, tu te fous de nous ! (clama le père Galate) Vic, c’est pas en Dordogne !
- A sept kilomètres de chez nous (renchérit notre papa) Mon œil qu’elle vient de Vic, ta lettre.
- Regardez ! Vic a apposé son cachet. J’vous mens pas ! C’est qu’on est sérieux aux PTT.
- Nom de Dieu ! Quèce foutait à Vic ? (s’entêtait le père Galate).
- Une erreur de triage… Elle a atterri à Vic au lieu de chez nous. Vic nous la réexpédiée ce matin par la voiture postale.
- Comment elle est passée ta voiture postale ? La côte du Calvaire est bloquée qu’on m’a dit.
Le conducteur était un fin malin. Il n’avait pas pris la route la plus directe, mais suivi la vallée de la Seille et, après Salonnes, il avait rejoint notre Nationale 74. Il avait été bloqué près d’une heure dans la côte de la Bezeraie, jusqu’à l’arrivée du chasse-neige.
- Te vois Galate, t’as beau critiquer les PTT, nous on est efficace.
Et sur ces bonnes paroles, notre homme de lettres poursuivit sa tournée. Pressée de lire sa missive, Fanny s’en retourna. La Catinète lui emboîtant le pas. Le Zidôre et son Haretard tournaient l’angle avec la rue du Beaurepaire. C’est à ce moment-là que résonna : « On couâraye ! On couâraye ! ».

 
 
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Glissades

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(Sports d’hiver // C’est la fête)

 

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La Prothèse
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La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiawes lundi 8 février 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 5 ans, j'ai plus de 2 ans, le Fofo 11 ans, la tante Agathe 87 ans, notre maman 27 ans 1/2, notre papa 27 ans 1/2, le facteur 38 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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