Glissades

Sports d’hiver (C’est la fête)

 
 
 

« On couâraye ! On couâraye ! ». C’était le nonôn Popaul qui montait jusque chez nous. Il nous embrassa, embrassa notre maman et la tante Agathe, serra la main à notre papa et au père Galate.
- Coment qu’c’est ? (demanda notre papa).
- J’ai été voir mon chef de service et je lui ai dit que je prenais une semaine pour aller aux sports d’hiver.
- Vous allez aux sports d’hiver ?
- Oui tante Agathe… A la Sapinète (rigola le nonôn Popaul).
- Ah ! J’croyais que vous partiez là-haut, dans les Vosges. Et mes Dommages de guerre, quand is vont v’nir ? C’est que les Mioches ont froid là-haut. Faudrait bien réparer les fissures.
- Vot’ dossier est parti à l’ONU, là-haut à New-York.
La tante resta sans voix. Elle finit par articuler :
- A New-York… A l’ONU…
- Mais non tante Agathe, c’était pour vous taquiner. On attend la décision de Mès…
- Bougre de mandrin, c’est que vous m’avez fait peur.
- Nème Milou, is z’ont la belle vie, les fonctionnaires (railla le père Galate) Pas comme nous autres pauvres ouvriers.
- Tu parles ! (s’esclaffa le nonôn) Vous faites une fenêtre de temps en temps, un petit parquet par-là. Et le reste du temps, vous fumez vot’ clope sur le pas de la porte… Tiens le Guézète a failli se faire écrabouiller tout à l’heure…
- C’est pâs possible (fit notre maman).
Depuis ce matin, le Guézète était sur tous les fronts. Grâce au Tintin, un garagiste, il était parti vers la côte de Delme. Une quinzaine de camions étaient bloqués. Un plus malin que les autres avait dépassé la file qui attendait le chasse-neige. Dans l’épingle à cheveux du pont du chemin de fer, le camion avait dérapé et s’était mis en travers de la chaussée. Résultat, lorsque le chasse-neige arriva, il ne put passer. Seule solution : dégager la neige à la pelle.
La fameuse épingle à cheveux du pont du chemin de fer… Tiens, tiens… « C’est le Sotré déguisé en Grilou qu’a fait ça ! ». Mais les grandes personnes ne prêtèrent aucune attention aux divagations de ma sœur. C’est en tout cas ce que le nonôn devait penser, car il poursuivit son compte-rendu sans s’en préoccuper. Plus haut, sur le plateau, et selon les gendarmes, le vent avait formé des congères. Certains dépassaient les deux mètres.
- La route de Mès est pas prête de rouvrir (conclut notre papa).
- C’est pas mieux du côté de Moncel… J’ai vu la Sanal et les Coop, ils attendent leur camion de livraison. On leur a dit peut-être demain… ou après-demain… Et la route de Sarrebourg, même tabac. Il n’y a guère que la route de Morhange qui est praticable…
- Là, y’a pas de grande côte (acquiesça le père Galate).

 

- Alôre, Popaul. Et le Guézète ? (s’impatienta notre maman).
Depuis tôt le matin, le Guézète avait accompagné le Tintin dans ses divers dépannages. Il y en avait eu des dérapages, des glissades, des accrochages. Un festival de beûgnes en veux-tu, en voilà. Largement de quoi assurer du travail au Tintin pour de nombreux jours, même s’il partageait la tâche avec ses collègues garagistes.
Vers dix heures, le Tintin avait déposé le Guézète rue des Cigognes. De là, notre vaillant reporter était descendu vers la rue des Supérettes. Il était quasiment arrivé chez lui lorsqu’une automobile qui roulait un peu trop vite dérapa, sauta le trottoir, frôla le Guézète :
- Il est passé à ça (dit le nonôn en montrant trois centimètres en resserrant son pouce vers son index courbé).
L’automobile avait terminé sa course dans le muret de la vitrine de l’horloger. Bien amoché, le conducteur avait été transporté à l’hôpital.
- Faut toujours qu’is y’en aient qui fassent les cons (tonna notre papa tandis que notre maman poussait des « Oh ! » en imaginant le Guézète écrabouillé entre le muret et l’automobile).
- Nom de Dieu ! Il était aux premières loges, le Guézète (plaisanta le père Galate). Pourra nous faire un bel article dans le journal.
- Bon, Milou, Oda, j’suis v’nu pour dire que vous mangez chez la belle-mère ce midi.
- On l’a vue hier, elle nous a rien dit (s’étonna notre maman).
Le nonôn avait tout manigancé en forçant quelque peu la main à la belle-mère. Toujours est-il que ce midi, nous mangerions chez la mémère. Sitôt après, nos parents, le nonôn et la tatâ Nénète s’envoleraient pour la Sapinète.
- Vous êtes prête tante Agathe ? (plaisanta le nonôn).
- Le temps que je prenne mes skis et j’arrive. Vous emmenez les Mioches avec ?
- Mes grands n’ont pas été à l’école aujourd’hui, ils les surveilleront dans la cour de la Sous-préfecture. C’est nos vacances tante Agathe. On se débarrasse des Mioches ! (rigola de plus belle le nonôn Popaul).
- Vous avez bien raison d’en profiter (approuva le père Galate) passqu’ quand on est vieux, c’est trop tard.
- Tu viens avec, père Galate ?
- Une aut’ fois, Milou ! Une aut’ fois, Milou !
Le Fofo tiendrait compagnie à la tante. Avant de partir, notre maman prépara le repas de la tante.
- Quêque chose de vite fait, Oda. J’ai pas très faim.
- Par ces froids temps, faut manger tante Agathe !

 

Le père Galate nous quitta à la hauteur de son atelier :
- Voulez l’apéro ?
- Non, non, père Galate (refusa le nonôn) Déjà que la belle-mère voulait pas nous faire à manger. Alors si on arrive en retard…
Une dizaine de mètres plus bas :
- C’est comme ça qu’vous bossez !
- Bâ, alôre le Milou ! Te crois qu’on va risquer not’ peau pour le Mièsse ? D’toutes façons, personne n’est parti, personne n’est entré. Et d’main, on verra.
Serrage de mains, sauf de la part du Mimil’ qui embrassa notre maman, ma sœur et moi. Igor, lui, nous tapota la tête. Les grandes personnes se lancèrent dans un couârail sans fin.
- Et la Mimie ? (demanda notre maman).
- Ça va (répondit le Mimil’) Je l’ai emmené ce matin avec le camion. Ça fait un petit bout de chemin pour aller aux Cités allemandes.
- Ah ! On était mieux quand on était au Tribunal (répondit notre maman comme si elle travaillait encore à l’Enregistrement).
Et la neige tomba sur le tapis, tu me diras : c’était d’actualité. Un monsieur que nous ne connaissions pas était tombé ce matin en se rendant à son travail.
- Mais, si ! Le grand qui est à la Sécurité Sociale. Il habite vers les Bolinjé. Quand, tu le vois en ville, t’as toujours l’impression qu’il a un train à prendre tellement il marche vite.
A force d’explications, nos parents et le nonôn Popaul comprirent de qui le Mimil’ parlait.
- Il s’â cassé une jambe. On l’a emmené à l’hôpital. Parait qu’il a fait un sâpré vol-plané… T’rappelles Oda de quand on était petit ?
- J’ai jamais cassé de jambe.
- Non, non. J’voulais parler de quand on montait là-haut…
Les gosses du quartier se retrouvaient un peu au-dessus de la Suisse des Morts, puis dévalaient la pente à toute vitesse. Ils ne s’arrêtaient qu’à la hauteur de la statue de la Vierge.
- On s’en ait payé ! (exulta notre maman en affichant un large sourire).
Ils couârayaient juste sous la fenêtre de la Mélie. Fenêtre qui s’ouvrit :
- R’garde-moi ça. Vinrats ! Ils peuvent pas aller travailler à cause de la neige et ils pérorent dans la rue. C’est pas comme ça que vous allez relever la France. Cht’en foutrai, moi !
- Et c’est une retraitée qui nous fait la leçon !
- Dis-donc’ le Milou, c’est toi que vient faire mon ménage ou ma cuisine ? Bon, Igor, si t’veux manger, t’ramènes ton cul par ici.
Manger ! Le maître mot dispersa le couârail. Il était grand temps d’aller chez la mémère. Juste au moment où nous franchissions la porte de la Sous-préfecture, le pépère sortait de son bureau. Nous montâmes ensembles et eurent droit au chaleureux accueil de la Mahon, suivi de celui de nos cousines et cousins.

 
 
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A suivre

La Sapinète

Une belle pente...

(Sports d’hiver // C’est la fête)

 

Le Sotré
Purification
La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver :
Haretard
La lettre
~ Glissades
~ La Sapinète
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiaweslundi 8 février 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

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Ma sœur 5 ans, j'ai plus de 2 ans, le Fofo 11 ans, notre maman 27 ans 1/2, notre papa 27 ans 1/2,

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Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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