Sujet qui fâche, la causerie s’envenimait. Aussi le Guézète dévia-t-il sur un autre sujet :
- J’ai téléphoné à la Mairie. R’garde, Oda, c’est dangereux (Ce matin, le camion qui livrait Les Ecos, avait défoncé la plaque d’égout. Puisqu’il en était au chapitre des travaux) Vont refaire les trottoirs par chez toi. Ça devrait commencer au début de l’année prochaine.
- Pas trop tôt, parce que j’en ai marre ! (s’exclama l’Oda).
C’est qu’on se tordait les pieds avec ces grosses pierres mal ajustées. Et l’herbe ? Ben, l’herbe elle poussait entre les pierres. Et qui devait désherber devant la maison ? Je te le donne en mille : c’était l’Oda armée de sa hake.
Le Guézète égrenait les nouvelletés qui allaient se produire dans le quartier. Juste à l’angle vis-à-vis, la pâtisserie était tenue par une vieille dame. Elle allait prendre sa retraite.
- Presque 70 ans ! (fit le Guézète admiratif) J’espère qu’ils laisseront le bec de gaz et la girouette.
Autrefois, rutilant de couleurs vives, le coq qui servait de girouette et son support étaient rouillés. Tout comme le bec de gaz. Le dernier de notre ville, un rescapé, un monument. Ah, les becs de gaz… Le père Derché qui passait chaque soir pour les allumer, chaque matin pour les éteindre. Avec son échelle… Dans la journée, on le voyait nettoyer les carreaux des lanternes.
- C’est quand même mieux les ampoules électriques !
- Pour ce qu’elles éclairent (se moqua la Jojo) Guère mieux qu’les becs de gaz.
- Ils vont les remplacer (reprit le Guézète) On va avoir de beaux globes… Enfin, c’est en discussion au Conseil municipal.
Un imprimeur allait s’installer juste à côté du salon de coiffure du Guézète, dans le renfoncement. Avant-guerre, entre Mairie et Sous-préfecture, il y avait le père Schnapsidee. Après-guerre, il fallait courir à Nancy pour avoir ses cartes de visite ou les faire-part de naissance, mariage, décès, etc. C’était une connaissance de l’Oda qui ouvrait l’affaire.
Une femme et ses trois marmots entraient dans le salon du Guézète, il planta là le couârail. Tandis que la Jojo essaya d’entraîner l’Oda dans son magasin :
- J’ai reçu de beaux ensembles pour garçonnet et de bien belles robes. Ça vient des Vosges…
- Pas ce mois-ci…
L’Oda poursuivit son couârail avec sa copine. Tu parles, elles se connaissaient depuis l’école. Alors, elles en avaient des choses à se raconter. L’essentiel, c’était de se rencontrer, de se parler et de se défouler en dénigrant l’une ou l’autre.