Gardien de l’Ordre

(La Bûche // Le Vélo)

 
 
 

Chemin faisant, au coin de la rue, plutôt en face, le Guézète faisait la pause à l’entrée de son salon de coiffure. Il cria pour saluer l’Oda et ses Mioches. Visiblement, il était en panne de candidats à la coupe. Pour un jeudi, jour de marché et de repos pour les écoliers, c’était exceptionnel. Alors, il traversa la rue. Le Milou disait que le Guézète entendait une puce péter à trente mètres. C’est peu dire s’il était au courant des moindres faits et gestes de chacun, du moindre événement. Pour lui cela ne faisait aucun doute, le vélo volé ne l’avait pas été. Une blague, une simple blague qu’on avait faite au Jano. Ou plutôt au Fanfan puisque la bicyclette lui était destinée. Il avança plusieurs noms de plaisantins. Pas besoin de couper les cheveux en quatre, pour les Mioches : c’était l’œuvre du Sotré. Le Guézète lissa sa barbe finement taillée :
- T’as raison, c’est le Sotré.
- Ah ! Celle-là avec son Sotré (souffla l’Oda).
- Vaut mieux laisser un enfant morveux que d’lui arracher le nez (se bidonna le Guézète).
Elle aussi en panne de clientèle, la Jojo rejoignit le groupe. Embrassades.

 

- Regarde-le, il est fier comme Artaban ! (persifla  le Guézète. Il lança à l’intention du cycliste qui passait en direction de la Mairie) Il est bien beau vot’ vélo !
Le Fanfan répondit par un signe de la main. Ce qui le déstabilisa et provoqua un écart. Le coup de klaxon de l’automobiliste qui arrivait derrière lui le fit se rabattre un peu brusquement vers le trottoir. En zigzaguant, le Fanfan évita la chute. L’automobile put, enfin, le dépasser.
Désignant du regard la boîte à chaussures que l’Oda tenait sous le bras, le Guézète dit :
- Il l’a retrouvé chez eux. Tu ne leur fais plus la tête ? (rigola-t-il en faisant allusion à une discussion qui datait de l’après-guerre).
L’Oda expliqua de long en large pourquoi elle avait été chez les Schuh bien malgré elle.
- Je suis comme toi Oda (approuva la Jojo) Je ne mets pas les pieds chez les Boches.
- C’est des histoires anciennes tout ça. Et puis les Schuh n’ont rien fait de mal à part vouloir rester ici au temps des Allemands.
- C’est comme la Lèspiyone (coupa la Jojo) Je ne lui parle pas. Et ne me dit pas qu’elle n’a rien fait de mal. Son mari était un nazi !
- C’est plus compliqué que ça… (adoucit le Guézète).

 

Sujet qui fâche, la conversation s’envenimait. Aussi la Jojo dévia-t-elle la causerie sur un autre sujet :
- Alors Guézète, ils vont réparer ?
- J’ai téléphoné à la Mairie. R’garde, Oda, c’est dangereux (Ce matin, le camion qui livrait Les Ecos, avait défoncé la plaque d’égout. Puisqu’il en était au chapitre des travaux) Vont refaire les trottoirs par chez toi. Ça devrait commencer au début de l’année prochaine.
- Pas trop tôt, parce que j’en ai marre ! (s’exclama l’Oda).
C’est qu’on se tordait les pieds avec ces grosses pierres mal ajustées. Et l’herbe ? Ben, l’herbe elle poussait entre les pierres. Et qui devait désherber devant la maison ? Je te le donne en mille : c’était l’Oda armée de sa hake.
Le Guézète égrenait les nouvelletés qui allaient se produire dans le quartier. Juste à l’angle vis-à-vis, la pâtisserie était tenue par une vieille dame. Elle allait prendre sa retraite.
- Presque 70 ans ! (fit le Guézète admiratif) J’espère qu’ils laisseront le bec de gaz et la girouette.
Autrefois, rutilant de couleurs vives, le coq qui servait de girouette et son support étaient rouillés. Tout comme le bec de gaz. Ah, les becs de gaz… Le père Derché qui passait chaque soir pour les allumer, chaque matin pour les éteindre. Avec son échelle… Dans la journée, on le voyait nettoyer les carreaux des lanternes.
- C’est quand même mieux les ampoules électriques !
- Pour ce qu’elles éclairent (se moqua la Jojo) Guère mieux qu’les becs de gaz.
- Ils vont les remplacer (reprit le Guézète) On va avoir de beaux globes… Enfin, c’est en discussion au Conseil municipal.
Un imprimeur allait s’installer juste à côté du salon de coiffure du Guézète, dans le renfoncement. Avant-guerre, entre Mairie et Sous-préfecture, il y avait le père Schnapsidee. Après-guerre, il fallait courir à Nancy pour avoir ses cartes de visite ou les faire-part de naissance, mariage, décès, etc. C’était une connaissance de l’Oda qui ouvrait l’affaire.
Une femme et ses trois marmots entraient dans le salon du Guézète, il planta là le couârail. Tandis que la Jojo essaya d’entraîner l’Oda dans son magasin :
- J’ai reçu de beaux ensembles pour garçonnet et de bien belles robes. Ça vient des Vosges…
- Pas ce mois-ci…
L’Oda poursuivit son couârail avec sa copine. Tu parles, elles se connaissaient depuis l’école. Alors, elles en avaient des choses à se raconter. L’essentiel, c’était de se rencontrer, de se parler et de se défouler en dénigrant l’une ou l’autre.
Arriva le départ.

 

Quelques trois ou quatre cents mètres, l’Oda et ses Mioches s’apprêtaient à entrer chez la Dédée. Soudain du ciel : « Mikète ! Dabo ! Coucou ! ». La gamine réagit dans l’instant. Le gamin faillit tomber des marches lorsque sa mère en redescendit brusquement : « Mikète, r’vient ! ». Pas de chance, à la hauteur du porche de la Mairie, elle fut stoppée net :
- Où te cours comme ça, la Mikète ?
- Voir le Dédé et le Titi (répondit-elle en fixant l’homme dans les yeux).
Du haut de la Sous-préfecture, par la fenêtre, ses cousins criaient. L’intervention de leur grand-mère mit fin à leur « coucou ». « T’iras tout à l’heure ! » cria l’Oda.
Le Fanfan réajusta son képi de sergent de ville. Sa grosse voix retentit :
- T’vâs r’tourner avec ta môman !
Crois-tu que cela l’impressionna ?
- C’est le Sotré qu’a volé ton neuf vélo. T’es même pas capable d’attraper le Sotré !
- Ah ! Ah ! T’as pas ton chien pour te défendre. Si t’es pas sage, j’te mets la tête entre les deux oreilles. Allez, ouste !
- Va-t-en, tu pues l’oignon !
Le Fanfan n’était pas homme à se laisser impressionner. Cette fois, ce maudit cabot ne l’agresserait pas et la mère Kélère avec son balai ne serait pas là pour saper son autorité. Après tout, c’était lui le gardien de l’ordre public. La Mikète n’eut pas le temps de dire « ouf » qu’elle se retrouva sous le bras du Fanfan. Il la déposa aux pieds de sa mère. Le Fanfan engagea la conversation :
- J’ai vu le Milou c’matin, d’habitude, il part plus tôt.
- Il prend la première Micheline. Enfin, ce matin, il l’avait raté… Alors, vous avez un nouveau vélo
Les adultes avaient tellement de choses à se raconter… Les Mioches en profitèrent pour remonter les deux marches et coller leurs faces contre la porte vitrée.

 
 
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A suivre

Les Cacates

(La Bûche // Le Vélo)

Dénigrer, dénigrer...

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
La Descente
Le Marché
* La Bûche :
L’accident
Le guerrier
~ Gardien de l’Ordre
~ Les cacates
~ La Bûche

La Gazette des Fiawes

mai 1954
 

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète 5 ans, le Dabo 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda leur maman 28 ans, le Milou leur papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 06/05/2024

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