- R’garde, le Sotré déguisé en Grilou ! (s’effara ma sœur) Ah, la vache ! Il attaque not’ pauv’ Fofo.
Te crois, doutai-je. La Bianche-tète nous en avait parlé. L’histoire se passait dans les temps anciens. La Sotrée régnait alors sur nos coteaux et le loup gris, plutôt le Grilou hantait les marécages. C’étaient la guerre entre eux. Mais après, la Sotrée avait plus ou moins apprivoisé le Grilou. Jusqu’à présent, nous nous divertissions de ses farces. Le plus souvent, elles étaient drôles et sans méchanceté. Mais, là ! Aujourd’hui ! Le Sotré s’en prenait à notre Fofo. Inadmissible !
- C’est p’us mon copain !
A moi, non plus, acquiesçai-je. Il est trop méchant. Le panier rebondissait sur la tête du Sotré. De notre fenêtre nous parvenaient de lugubres « kaïe-kaïe » entrecoupés d’épouvantables bruits de ferraille. Notre papa assénait de tels coups que le Sotré s’évanouit. Disparu.
Que je t’explique. Dans notre rue, comme dans d’autres, on accédait aux caves par des double-portes couchées sur le trottoir, posées à l’horizontal si tu préfères. En fer ou en bois, ces double-portes empiétaient le trottoir sur trois ou quatre mètres carrés. Celle de la mère Kélère était en fer d’où ces bruits épouvantables. Les adultes évitaient de passer dessus, le trottoir était suffisamment large. Par contre, les enfants… Lorsqu’il attaquât notre Fofo, le Sotré se trouvait juste sur la double-porte de la mère Kélère. Et notre papa multipliait les coups de panier.
- T’as vu ! Le Sotré a disparu dans la cave de la mère Kélère !
J’â vu… frémis-je. Notre maman secoua la tête de gauche à droite et vice-versa :
- Ah, t’en as de l’imagination. Le chien du Heûle est le Sotré, maintenant.
Mais, elle déraillait notre maman. Elle ne se souvenait plus que le Sotré, sous la forme du Grilou, surgissait dans la côte de Delme pour effrayer les automobilistes. Tu me feras remarquer que surgir devant une automobile dans un virage, c’est plutôt vicieux. On aurait dû s’en douter : le Sotré n’était pas un gentil génie.