La Grotte

(suite) - (Le Sotré)

 
 

Dès le lendemain, ma sœur était à pied d’œuvre, ou plutôt à pieds joints sur la double-porte en fer. Le père Choumake l’avait confirmé : « Le Sotré se cache dans des endroits secrets ». Ma sœur sautait en criant : « Sors de là, Sotré ! J’veux t’voir ». Pour sûr, la grotte du Sotré ressemblait à ça. Non, nous étions devant la grotte du Sotré ! Nous en étions convaincus. Arrête, t’vâs le mettre en colère. Mes implorations n’eurent aucun effet. Le boucan du Diable, lui, attira les foudres de la mère Kélère.
Il en fut ainsi plusieurs jours de suite et même plusieurs fois par jours. Surtout les matins, car la mémère venait souvent chercher ma sœur entre-midi. Bref, chaque matin, la double-porte recevait notre visite au plus grand plaisir de notre Fofo. D’autant plus que nous avions aperçu le chat noir. Il était couché tantôt sur l’appui de la fenêtre, tantôt sur la double-porte. Lui aussi protégeait l’entrée de la grotte. Le Fofo s’élançait. Un éclair vert jaillissait, le chat noir s’évaporait. Serait-il un auxiliaire du Sotré ? C’est à partir de ce jour que nous décidâmes de le nommer : « Chanoire ».
Le Chanoire… Le Chanoire… Son médaillon de poils blancs qui garnissait sa gorge. Son oreille droite trouée. Nous avions fait sa connaissance chez la Bianche-tète. Il lui tenait compagnie autant qu’il lui servait de guetteur. Il apparaissait, il disparaissait, il réapparaissait… tout comme aujourd’hui. Si le Chanoire était là, c’est que la Bianche-tète trainait dans les parages. La mère Kélère serait-elle la Bianche-tète ? Impossible, nous la connaissions depuis longtemps et elle ne ressemblait en rien à la Bianche-tète…

 

La mère Kélère frisait la crise de nerfs : « Ces deux-là ont le Sotré dans l’corps ». Elle menaça nos parents des foudres du Ciel s’ils ne corrigeaient pas leurs satanés rejetons. Alors, la maman nous réprimanda. Alors, le papa s’en mêla. Sans résultat. Ma sœur multipliait ses interventions. Le Sotré finirait bien par pointer son museau. Jusqu’au jour où un lugubre couinement annonça le Fanfan. Il gara son vélo contre la bordure de trottoir :
- Vous d’vez pas sauter sur les portes de Madame Kélère (Il agita un doigt menaçant en faisant les gros yeux) Si vous recommencez, j’vous mets en prison.
Sans demander mon reste, je m’enfuis en pleurant. Mais, ma sœur… Son regard s’assombrit, elle mit les mains sur ses hanches, le fixa dans les yeux :
- Te f’rais mieux de mettre l’Sotré en prison !
Le Fanfan était un homme d’une quarantaine d’années plutôt ventripotent. Ce qui lui donnait une allure débonnaire. Il réajusta son képi de sergent de ville, se força à prendre une grosse voix :
- T’vâs voir, si t’es pas gentille ! (...) Laisse-moi tranquille, toi !
Le Fofo s’était agrippé au bas de son pantalon et grognait. Il avait beau se débattre, le Fofo ne lâchait pas. A force de gesticuler, le képi roula sur le sol. Le Fanfan voulut le ramasser, le Fofo lui sauta sur le bras et s’accrocha à la manche : « La kègne ! ». Enfin, le Fanfan réussit à se libérer. Il effraya le Fofo en tapant violemment des pieds sur les portes. La fenêtre s’ouvrit. La mère Kélère devait être aux toilettes, car elle n’arrivait qu’à ce moment :
- Vous z’y mettez aussi, vous. Z’avez pas honte ! Fichez le camp ! (Le Fanfan tenta d’expliquer la situation. La mère Kélère ne s’en laissa pas conter) Fichez-le le camp ou j’vous colle un coup de balai. Sergent de ville que d’vant, vous allez voir !
- Rentre chez toi ! (s’énervait le Fanfan à l’adresse de ma sœur).
C’était ainsi, elle voulait toujours avoir le dernier mot. Elle lui tira la langue : « Lèche le cul du Sotré ! ». Le Fanfan ne savait plus où donner de la tête. Face à lui, une gamine le narguait. A deux mètres, un cabot haut comme trois pommes le menaçait. Derrière lui, la mère Kélère… Tiens, elle n’était plus à sa fenêtre… Le Fanfan ramassa son képi. Il fit un bond lorsque le balai s’agita :
- Fichez le camp. Voyou !

 

Mon retour en pleurs, l’absence de ma sœur et du Fofo avaient alarmé notre maman. Persuadée qu’un malheur venait de se produire, elle dévala l’escalier. En cinq sec, elle rejoignit la scène du crime. Toujours en agitant son balai, la mère Kélère la cueillit :
- Vous v’là vous. Débarrassez-moi de tout ça !
La maman essaya de faire reprendre le chemin de la maison au Fofo. Il n’en démordait pas. Alors elle s’en prit à ma sœur. Par un large détour, ma sœur l’évita et galopa jusque chez nous, le Fofo sur ses talons. Le Fanfan soufflait comme un phoque. Il se mit en marche. Arrivé à notre maison, notre maman le rappela à l’ordre :
- Votre vélo, Fanfan.
- Alors le Fanfan, vous perdez la boule ? (se moqua la tante Agathe depuis sa fenêtre).
- J’fais vraiment un métier pénible (complètement déboussolé, le Fanfan rebroussa chemin).
Moôn ! Quelle raclée, ma sœur prit au retour du papa. Dans la foulée, j’en pris une aussi. Nous étions enfin calmés ? Penses-tu.

 

Le jour s’était levé avec une pluie bien fournie. Nous passâmes la matinée en compagnie de la tante Agathe. La rue était bien déserte. Une petite dispute m’opposa au Fofo. Lequel prendrait place sur la troisième chaise. Ce fut lui qui gagna, si bien que j’atterris sur les genoux de la tante. D’emblée, ma sœur attaqua :
- Y’a l’Sotré en Suisse ?
La tante mit un moment avant de répondre. Son regard se perdait dans la rue. Les pavés brillaient sous la pluie. Cela faisait quoi, cinq minutes, un quart d’heure, peut-être plus que nous étions derrière les carreaux. Toujours pas un chat à l’horizon. Le Fofo dressa les oreilles, leva la tête. On entendit clap-clap dans le couloir. Un raclement. La porte claqua. Notre maman apparut. La tante se leva pour ouvrir la fenêtre.
- J’vâs chercher l’pain (fit notre maman en levant un peu son parapluie pour mieux nous voir). T’veux aller chez la mémère ?
- Pas aujourd’hui, i pleut (refusa ma sœur).
- En r’montant, je passerai chez ma mère.
- Prenez votre temps Oda. J’suis bien avec les Mioches. N’oubliez pas mon cornet.
Notre maman s’en alla.
- Nous, on sait ousqu’il habite le Sotré.
- Ah oui. Dis voir.
- Dans la cave de la mère Kélère.
- Te crois…
- Si ! Même que la mère Kélère, elle gueûle quand on va sur sa cave. La mère Kélère, c’est la gardienne du Sotré.
- Te sauterais sur ma cave, moi aussi je gueûlerais.
- Oui ! (coupa ma sœur) Mais chez toi y’a pas l’Sotré, nème tante Agathe ? La cave de la mère Kélère, c’est la grotte du Sotré. J’le sais.
- Tu veux toujours avoir raison (rigola la tante) Un jour, le Fanfan va t’mettre dans sa prison.
Ma sœur éclata de rire :
- T’as vu l’aut’ jour (fit-elle en roulant de gros yeux rieurs) Même le Fofo l’a attaqué (le Fofo leva la tête et approuva d’un court jappement) Même que le Fanfan l’a perdu son képi et qu’la mère Kélère voulait lui coller un coup de balai. C’était trop drôle.

 

La tante leva les yeux au ciel. Dehors, la pluie redoublait d’effort. Sur le trottoir en face vint à passer une femme. On ne voyait même pas sa tête tellement qu’elle l’avait enfoncée sous son parapluie. Trois automobiles passèrent, deux dans un sens, l’une dans l’autre.
- Pourquoi t’as pas de mari ? (demanda ma sœur. La tante répondit que c’était comme ça, il y a des gens qui se mariaient et d’autres qui restaient seuls). La tante Luluce, elle a pas de mari non plus (Un temps de réflexion et ma sœur rajouta) Alors, t’as pas d’enfant non p’us (la tante fit non de la tête). Et t’en voulais pas quand t’étais jeune ? (La tante afficha une figure qui voulait aussi bien dire oui que non) Bâ, on est un peu tes enfants, nème ?

 

La veille, nous avions appris que la Catinète s’était fiancée avec Tonio. La Catinète était la jeune fille qui venait laver le linge de notre maman et faire le ménage de la tante deux fois par semaine. Tonio était un copain de notre papa.
- T’as pas eu de fiancé, non p’us ?
La tante avait été amoureuse d’un soldat bavarois lorsqu’elle avait vingt ans. Nous ne faisions pas la différence entre amoureux, fiancé, mari. Bref, l’amoureux de la tante était militaire en poste chez nous. Il s’appelait Karl et était officier. Elle se leva et alla feûgner dans la grande armoire. De dessous une pile de linges, elle sortit une vieille boîte en fer.

 

La tante
nous raconte
sa vie amoureuse

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La vieille Demoiselle avait essuyé quelques larmes en nous lisant une paire de lettres. Nous nous gardâmes de le lui faire remarquer. Dehors, il pleuvait toujours et abondamment.
- C’est parti pour la journée (soupira la tante sur un ton triste).
- La v’là ! (s’écria ma sœur en tapant dans les mains).
Notre maman venait juste de passer devant la fenêtre. On l’entendit racler ses chaussures sur le gratte-pieds. La lourde porte en bois râla. Elle secoua son parapluie. Trois, quatre claquements sur le parquet, elle toqua à la porte et entra.
- La tante Agathe nous raconte de quand elle était jeune.
- Vous avez bien de la chance (fit notre maman sur le ton de la plaisanterie).
- Vous êtes trop grande pour ces choses-là, Oda.
La tante rigola, elle s’empara d’un cornet. Nous eûmes droit à un bonbon chacun, Fofo y comprit. Elle rangea soigneusement le précieux cornet tandis que notre maman préparait son repas. Et direction notre cuisine, c’était l’heure de manger.

 
 
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La suite

L’exploration

Allons-nous découvrir
le Sotré ?

(Le Sotré)



 

La Bianche-tète
A la moulinette
~ La Suisse des Morts
L’attaque
La Gardienne
~ La Grotte
~ L’exploration
~ Sorti du feu

La Gazette des FiawesMardi 3 mars 1953
Mercredi 11 mars 1953

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 4 ans, j'ai plus d'1 an, le Fofo 10 ans, la tante Agathe 86 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2, le Fanfan 42 ans, la mère Kélère 85 ans, la Catinète 19 ans et Tonio 23 ans
le Sotré, le chat noir

En savoir plus sur les lieux, sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 30/10/2023

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