La mère Kélère frisait la crise de nerfs : « Ces deux-là ont le Sotré dans l’corps ». Elle menaça nos parents des foudres du Ciel s’ils ne corrigeaient pas leurs satanés rejetons. Alors, la maman nous réprimanda. Alors, le papa s’en mêla. Sans résultat. Ma sœur multipliait ses interventions. Le Sotré finirait bien par pointer son museau. Jusqu’au jour où un lugubre couinement annonça le Fanfan. Il gara son vélo contre la bordure de trottoir :
- Vous d’vez pas sauter sur les portes de Madame Kélère (Il agita un doigt menaçant en faisant les gros yeux) Si vous recommencez, j’vous mets en prison.
Sans demander mon reste, je m’enfuis en pleurant. Mais, ma sœur… Son regard s’assombrit, elle mit les mains sur ses hanches, le fixa dans les yeux :
- Te f’rais mieux de mettre l’Sotré en prison !
Le Fanfan était un homme d’une quarantaine d’années plutôt ventripotent. Ce qui lui donnait une allure débonnaire. Il réajusta son képi de sergent de ville, se força à prendre une grosse voix :
- T’vâs voir, si t’es pas gentille ! (...) Laisse-moi tranquille, toi !
Le Fofo s’était agrippé au bas de son pantalon et grognait. Il avait beau se débattre, le Fofo ne lâchait pas. A force de gesticuler, le képi roula sur le sol. Le Fanfan voulut le ramasser, le Fofo lui sauta sur le bras et s’accrocha à la manche : « La kègne ! ». Enfin, le Fanfan réussit à se libérer. Il effraya le Fofo en tapant violemment des pieds sur les portes. La fenêtre s’ouvrit. La mère Kélère devait être aux toilettes, car elle n’arrivait qu’à ce moment :
- Vous z’y mettez aussi, vous. Z’avez pas honte ! Fichez le camp ! (Le Fanfan tenta d’expliquer la situation. La mère Kélère ne s’en laissa pas conter) Fichez-le le camp ou j’vous colle un coup de balai. Sergent de ville que d’vant, vous allez voir !
- Rentre chez toi ! (s’énervait le Fanfan à l’adresse de ma sœur).
C’était ainsi, elle voulait toujours avoir le dernier mot. Elle lui tira la langue : « Lèche le cul du Sotré ! ». Le Fanfan ne savait plus où donner de la tête. Face à lui, une gamine le narguait. A deux mètres, un cabot haut comme trois pommes le menaçait. Derrière lui, la mère Kélère… Tiens, elle n’était plus à sa fenêtre… Le Fanfan ramassa son képi. Il fit un bond lorsque le balai s’agita : « Fichez le camp. Voyou ! ».