L’exploration

La Grotte (suite) - (Le Sotré)

 
 

Le lendemain fut un jour de chance. Un camion stationnait devant la maison Kélère. Les portes en fer de la grotte étaient larges ouvertes. Tiens, le Chanoire n’était pas à son poste. Tiens, la mère Kélère n’était pas à sa fenêtre. La voie était libre. Nous approchâmes à pas de loup. De l’abime s’échappait un saisissant vacarme. Quelque chose roulait sur le sol… Ma sœur écarquilla ses yeux bruns, elle chuchota : « Le Sotré est là-dedans, j’vâs lui foutre une volée de coups ! ». Depuis le temps que nous le traquions. Ma sœur s’embrasait. Le Fanfan était chargé de faire respecter l’ordre. Comment lui faire confiance ? Il y a longtemps qu’il aurait dû appréhender le Sotré et le flanquer en prison. Ma sœur soupçonnait même que notre sergent de ville soit son complice. Ne restait plus que nous. Qui d’autres aurait pu attraper le Sotré, dis-moi ?
Un long grognement voltigea vers notre position. Pour une fois, nous n’avions pas entraîné le Fofo avec nous : J’vâs le chercher ? proposai-je, plus pour me rassurer. « Pas l’temps ! Le Sotré va s’barrer. Suis-moi ».
Elle fit un geste comme si l’affaire était faite. Elle s'accroupit. Crac ! On allait lui tordre le cou. Ma sœur se tenait à joke comme si elle allait bondir pour attraper le Sotré. Je l’imitai. Un nouveau grognement se fit entendre, plus proche. Je retenais ma respiration. On aurait dû amener le Fofo… « Chut ! Le Sotré va t’entendre ». Sa main en visière au-dessus de ses yeux, elle scrutait le trou noir. Le Sotré allait jaillir de là, d’un coup !

 

La Bianche-tète nous avait fait visiter la grotte de la Sotrée. C’était un endroit lugubre, effrayant. Heureusement, cette fois-là, la Sotrée n’était pas dans sa grotte. Heureusement, cette fois-là, la Bianche-tète nous accompagnait, la Bianche-tète nous protégeait. Mais, aujourd’hui, pas de Bianche-tète. Même pas de Fofo. Nous étions seuls face au danger. Et le Sotré qui se déguisait en Grilou ces temps-ci. On avait vu avec quelle rapidité, il avait sauté sur notre pauvre Fofo. Sans l’intervention de notre papa, le Sotré l’aurait dévoré. Mais, aujourd’hui, notre papa armé de sa charpagne n’était pas là. Nous étions bien seuls face au danger.
Le Chanoire guetteur de la Bianche-tète. Le Chanoire sentinelle sur la cave de la mère Kélère. Le Sotré déguisé en Grilou qui attaquait notre Fofo et disparaissait dans la cave de la mère Kélère. Ces événements se télescopaient dans nos cerveaux. Comment n’y avions pas pensé plus tôt ? La Bianche-tète n’avait jamais existé. Tout simplement, c’était le Sotré qui avait pris son apparence pour mieux nous tromper.

 

Le père Choumake avait combattu le Sotré. Méthodiquement, il réparait les chaussures que le Sotré usait, il recollait les semelles que le Sotré arrachait des pieds des braves gens. Tel un guerrier, le père Choumake avait affronté le Sotré. Nous allions suivre son exemple. Un nouveau grognement résonna, encore plus proche. Ma sœur bandait ses muscles, sur le point de bondir sur le Sotré. De lourds pas remontaient l’escalier… Je restais comme pétrifié… Un…
Je crayai des yeux comme un crapaud sous une motte de terre… Un… C’est vrai, malgré son courage, le père Choumake avait perdu la bataille. Le Sotré avait eu raison de lui, il avait détruit par le feu l’atelier du cordonnier. Détruit l’atelier par le feu, le Sotré se matérialiserait-il aussi en Graouly ? Un tremblement s’empara de mon corps. Ma sœur marqua un temps d’arrêt. Elle vacilla… J’eus l’impression qu’elle allait piquer du nez dans le trou noir. Se rétablissant brusquement, elle afficha une bouille déconfite.
- V’là les Mioches ! (s’exclama l’homme en guise de bonjour).
Remise de sa surprise, sans même le saluer, ma sœur l’interrogea :
- Quesqu’i’a là-dedans ?

 

Il n’était autre que le Claudi, un cousin de notre maman. Il tenait à la main un sac en toile, vide, noirci par la poussière. Semblables aux grognements, une nouvelle quinte de toux le secoua. Ayant retrouvé toutes ses facultés, il expliqua que c’était une cave.
- Je sais ! Qu’est-ce t’vâs faire ?
Le Claudi réajusta sa casquette, s’éclaircit la voix. De son camion, il prenait un sac remplit de charbon, le mettait sur son dos, le descendait à la cave et vidait le charbon. Ainsi, la mère Kélère pourrait se chauffer l’hiver. Le Claudi livrait le charbon, ça on le savait depuis longtemps puisqu’il le faisait régulièrement chez nous.
Ma sœur voulut descendre pour vérifier ses dires. Penses voir, l’escalier était trop raide. Elle risquait de se fracasser les côtes si elle tombait. Cela ne la découragea pas pour autant. Le Claudi eut bien du mal pour l’en dissuader.
- J’veux voir le Sotré !

 

Le Claudi fit semblant de ne pas comprendre. Nous racontâmes ce que nous savions. Il ponctuait notre discours de « hum » de mauvais augure. Etait-il de mèche avec le Sotré ? Il prit un air sérieux :
- Hou ! Le Sotré est bien trop méchant. Faut pas le déranger.
- Mais, toi, i t’fait pas de mal ?
Le Claudi souleva sa casquette, se gratta la poyate en grimaçant, il bafouilla :
- Non… non… Il me connaît…
- Bâ, alôre, si l’Sotré t’connais, i nous f’ra pas d’mal, nème !
Ma sœur insista tellement que le Claudi nous prit par la main. L’escalier était raide. L’endroit était froid, humide, ténébreux. Et ça puait la pourriture. Une nouvelle quinte de toux du Claudi résonna lugubrement.
La lumière de la petite ampoule traçait une étrange figure sur le sol rocailleux sans parvenir à éclairer tous les recoins. Mais, ma sœur exigea de visiter chacun d’eux. Moi, je restais planté juste en-dessous de l’ampoule. Incarné en Grilou, le Sotré était tapi dans l’un de ces sinistres recoins. Il allait jaillir. Il allait nous dévorer. Le Claudi arriverait-il à nous protéger ? J’en doutais. Tous mes muscles étaient tendus. Je tressaillis. Ce n’était qu’une goutte d’eau tombée du plafond qui avait percuté mon front. Je n’avais qu’une envie : me barrer de cet endroit maléfique. J’en étais incapable, comme soudé au sol noirci. Défilait dans ma mémoire l’histoire de la Sotrée devenue le Sotré… Ma sœur et le Claudi s’approchaient du dernier recoin à explorer. Le Claudi fit un bond en arrière, effrayant du même coup ma sœur et moi encore plus.

 

- J’t’ai bien eu (rigola-t-il).
- Con !
- Hé ! Hé ! Pas de gros mots, nème !
- T’m’as fait peur !
- T’as crû que c’était le Sotré.
- L’Sotré moi, j’lui tords le cou, crac !
- T’dis ça pass’que l’Sotré l’est pas là.
Le Sotré avait bel et bien disparu. Mis à part le gros tas de charbon, trois tonneaux en bois…
- Porte-moi que j’regarde dedans ! (Le Claudi s’exécuta sans discuter) Rien… Rien... Rien… (Les tonneaux étaient vides, désespérément vides) Pourquoi il est plus là l’Sotré ?
Et ma sœur qui pleurnichait : « Pourquoi il est plus là ? ». Le Claudi cogita un moment. Ses petits yeux s’animèrent d’une lueur maligne :
- Le Sotré aime pas qu’on le voit. Il est parti s’cacher ailleurs.
Il fallait nous rendre à l’évidence et accepter sa conclusion. Que faire d’autres. Ma sœur eut beau trépigner, le Claudi nous empoigna les mains et nous remonta sur le trottoir.
- Bon, maintenant, à la maison !
- Non !
Le Fanfan peinait en montant la côte, entre deux souffles :
- Mets ces deux garnements dans un sac !
- B’jour Fanfan. Je passe en fin de semaine chez vous.
Le Fanfan vacilla en agitant la main, en criant un « D’accord » et il poursuivit son épuisant chemin. Pourtant, le plus dur était fait. A partir de là, la chaussée était presque plate.

 

- Vinrats ! Qu’est-ce qu’is z’ont les Mioches-là ?
C’était la Mélie qui redescendait de la Suisse. Presque chaque jour, elle s’y rendait. Notre maman nous avait dit que son premier enfant et ses parents étaient enterrés là-haut. Nous n’avions pas bien compris ses explications. Passons. Le Claudi lui conta notre visite de la cave.
- La grotte du Sotré ! (s’esclaffa-t-elle en tapant sur le bras du Claudi et en pouffant de plus belle) Foutus bêtes qu'vous êtes ! Vous m’en faites un beau de Sotré.
- Tu sais Mélie (se plaignit ma sœur) I veut nous mettre dans un sac, le Claudi !
- Vinrats d’vinrats, il a raison. Il va vous foutre dans un sac et vous jeter dans un trou.
- Il est trop p’tit son sac !
- T’vâs voir, le Claudi va faire comme le Peût'ôme.
Les deux grandes personnes rigolèrent. Pour sûr, ils se moquaient de nous. Quoique :
- I fait ça le Peût’ôme ?
- Bien sûr ! (affirma la Mélie) Feriez-mieux de r’monter chez vous avant que l'Peût'ôme vous attrape. Vot’ môman vous appelle.
En effet, notre maman gesticulait à la fenêtre. Elle cria « Bonjour Claudi » et rajouta à notre intention « C’est l’heure de manger ».

 

Marre de cette fiawe, nous partons en vacances

Bizarre !

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La suite

Sorti du feu

Le Sotré jaillit du feu et
s'empare de not' pauv' Fofo

(Le Sotré)



 

La Bianche-tète
A la moulinette
~ La Suisse des Morts
L’attaque
La Gardienne
~ La Grotte
~ L’exploration
~ Sorti du feu

La Gazette des Fiawesjeudi 12 mars 1953

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 4 ans, j'ai plus d'1 an, le Fofo 10 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2, la Mélie 70 ans, le Fanfan 42 ans, la mère Kélère 85 ans, le père Choumake 63 ans, le Claudi 22 ans
le Sotré, le Chanoire, la Bianche-tète, le Grilou, les Chlodère

En savoir plus sur les lieux, sur les mots :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 19/10/2023

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