Nature indomptable

Tourilli (Québec)

 

Par Bernard Antoine

 

A la fin de son parcours, la rivière Tourilli est bien différente de la Sainte-Anne. Alors que cette dernière est large et profonde, son affluent, profond au centre, voit ses eaux se frayer un chemin le long de rives rocheuses. Le sentier Awenda, qui serpente à sa droite, la surplombe d'environ cinquante centimètres et longe les pentes boisées, parfois abruptes des ballons des Laurentides. Peu de montées, peu de descentes, le terrain, légèrement vallonné, demande moins d'énergie aux chiens pour accomplir leur travail.
Les chiens trottaient gaiement, toujours avec le même entrain. Ils démontraient une endurance exceptionnelle. Le traîneau glissait à belle allure en ce lieu où le silence règne en maître, à peine dérangé par le frottement des patins. On entendait parfois le cri strident d'un écureuil dérangé dans sa sieste, ou le vol lourd d'un couple de perdrix, marchant au milieu de la piste, surprises par notre arrivée soudaine. Une bande de canards colvert, nageant clans un dégelis* s'enfuirent à tire d'aile. La Mikète constamment aux aguets riait et tapait dans ses mains à chaque apparitions. A un moment donné, elle se tourna vers Bernard, pointant le Dabo du doigt, lui fit signe qu'il s'était endormi.
- Le ouâré, i ronfle comme un bienheureux, souffla-t-elle.
Bernard tira l'enfant délicatement vers lui, le cala entre ses jambes et lui appuya la tête sur sa poitrine. Voilà la Mikète bien heureuse de se trouver au premier rang du spectacle. Quelques minutes encore et les chiens ralentirent l'allure d'eux-mêmes. André fit signe à Bernard en pointant de l'index une forme sombre a demie cachée par les arbres.

*Dégelis : désigne un endroit dans un cours d'eau qui ne gèle pas.

Le relai

- Le relai... Nous arrivons au relai!
Il fallut réveiller le Dabo, lui qui dormait si bien. La Mikète sauta hors du traîneau et caressa les chiens l’un après l'autre. Elle n'avait que des bons mots pour eux. Bien sûr, elle n'a pas oublié de porter une attention spéciale a Blue qui, la voyant arriver, trépignait sur ses pattes, émettant de petits jappements de joie. Une belle amitié s'était établie entre elles. Le Dabo restait là, debout à côté du traîneau, sans bouger.
- C'est le temps de prendre des forces, pour nous mais aussi pour nos amis à quatre pattes. Jean-Yves a livré ici une grosse boîte de sardines à l'huile pour chacun d'eux. Les enfants, vous allez m'aider à les nourrir.
- Réveille-toi, mounaye ! ! On va donner à manger aux chiens. Allez, ton Inouk chéri t’attend!
Le Dabo répondit par un grognement, mais bougea.
- J'ouvre les boîtes et vous les déposez devant eux. Par prudence, lorsque vous aurez déposé la boîte, je vous demande de ne pas toucher aux bêtes. Donnez, et laissez-les se débrouiller, ils savent quoi faire. Ensuite, il faudra ramasser toutes les boîtes, les mettre dans un sac et dans la poubelle à l’intérieur. Il est de notre devoir de respecter la nature.
Le repas terminé, sieste et repos ont été bienfaisants, tant pour les humains que pour les chiens. L’heure de reprendre la randonnée venait de sonner.
– Nous devrions arriver au camp Grégory vers trois heures trente, annonça André et donna l’ordre du départ.
La vallée s’élargissant, le lit de la rivière avait doublé. Si ses rives étaient toujours rocheuses. Le centre présentait une surface gelée presque unie. Le soleil, toujours présent, déclinait lentement, allongeant les ombres sur la piste d’une blancheur immaculée. À la grande joie de la Mikète et du Dabo, une chouette, apeurée par notre arrivée, nous survola, fuyant en direction de la longue crête escarpée parsemée de pins et nous la vîmes se fondre dans la masse noire de la forêt.
À la sortie d’une courbe, la meute ralentit par degré son allure et s’avança prudente et rusée. À trois cents mètres, une énorme masse noire, encore indéfinie, gisait en travers de la piste.
- Les Indiens ont fait un piège pour attaquer la diligence… Bâ, le traineau ! Sors ton fusil.
André, vite !
- Ça va être la bataille, rigola la Mikète.

 

L‘éboulis

À l’approche, il devenait évident qu’un éboulis s’était produit. Trois énormes sapins avaient glissés le long de la pente abrupte et gisaient pêle-mêle, dans un amas impressionnant de troncs, de branches et de racines si compactes que la piste en était entièrement couverte sur une longueur d’environ vingt mètres.
Tous mirent pieds à terre, examinant avec angoisse ce désolant spectacle. André, dont l’esprit travaillait fiévreusement se mit à le considérer avec fureur comme un ennemi à abattre. À la question de Bernard, il répondit :
- J’ai bien emmené une scie à main au cas où un arbre joncherait le chemin, mais dans ce cas-ci, nous en aurions pour des heures. Mieux vaut contourner l’obstacle en passant sur la glace de la rivière.
Il s’approcha du bord de la rive. Cherchant minutieusement des yeux la meilleure solution.
- Il faudra être prudent, ajouta-t-il. Le traîneau aura cette pente à descendre et atteindre la glace unie, exempte de roches, que j’espère solide. Je vais descendre vérifier.
Il détacha de l’arrière du traîneau une paire de raquettes d’aluminium à crampons et descendit lentement jusqu’à la glace légèrement déclive. Les Mioches lui emboîtèrent le pas. Le Dabo glissa et se retrouva le cul par terre. Sans même esquisser un geste pour l’aider à se relever, la Mikète riait aux éclats.
- Hep ! Hep ! Vous deux, vous allez rester sagement à côté de moi. C’est trop dangereux ! Il faut connaître l’état de la glace avant de s’y aventurer. Gronda Bernard retenant le bras de la Mikète qui tapait du pied, refusant de remonter.
Dans un geste pour se dégager, elle glissa à son tour sur le sol inégal et glacé, se retrouva étendue de tout son long, les fesses endolories. Ce fut au tour du Dabo de rire joyeusement, au grand dam de sa sœur meurtrie dans son amour propre.
Au premier pas d’André, il y eut un grésillement. Il en fit un deuxième puis un autre. L’affleurement des roches, de tailles différentes, rendait la marche en raquettes difficile. Avec prudence, il avait enfin réussi à atteindre la glace horizontale.
Les raquettes d’aluminium, légères, conçues avec crampons, tiennent assez bien sur la glace, et puis, plus le poids du corps est réparti sur une plus grande surface, moins le risque est grand. Son pas frôlait la glace, posant ses raquettes légèrement, en canard. Il savait doser sa force pour éviter de déraper. Un arrêt trop long, une chute, une simple secousse pouvait tout compromettre.

 

La glace

Il faut bien connaitre la glace, science indispensable, parce que dessous, le courant rend incertaine son épaisseur. Son regard balaya la surface, s’attardant aux nervures qui marbraient la glace de leurs traits de jade et d’émeraude. Il lui a semblé voir une bulle d’air se frayer un chemin. Ce n’est pas bon signe, pensa-t-il, mais pour l’heure, ça tient.
- Saloperie de glace! ragea André.
Il avait accompli plus de la moitié du parcours lorsque la glace lui répondit d’une plainte brève. Un frisson lui parcouru l’échine, mais déjà se dessinait l’approche de la piste. D’après son expérience, ses six chiens hardis n’auront pas trop de difficultés à y hisser l’attelage.
- On passera! Annonça-t-il à son retour au traîneau.
Il avait un visage énergique. Le visage d’un homme toujours prêt à affronter les problèmes sans se dérober.
- On va glisser sur la glace ? Questionna le Dabo que cette perspective inquiétait.
- Mettons au point notre stratégie. Nous allons nouer solidement une corde au nez du traîneau. Toi, Bernard, tu iras te poster sur la rive, au deux-tiers du parcours, en déroulant la corde. Il te faudra être solide, lorsque les chiens seront en marche, pas d’arrêt, l’attelage doit glisser tout le temps. Tu devras donc tirer tout en reculant en faisant attention de ne pas trébucher sur les roches glissantes. En principe, si tout se déroule bien, tu devrais monter sur la piste avant les chiens. Les enfants vont rester à bord, ils ne risquent rien.
Il parlait avec une assurance qui eut pour effet de rendre à Bernard un peu d’espoir. La corde fixée solidement, Bernard descend sur la rive, réussit, non sans peine à prendre position. Le genou droit lui fait mal, par deux fois il a glissé, tombant à genou sur le sol gelé, se retenant tant bien que mal sur les mains heureusement gantées. Il a tout de même l’impression que le plus difficile est passé, ce qu’il lui reste à couvrir lui semble moins accidenté. Il se fie à sa bonne étoile, il doit réussir, il fera tout pour cela. Il fait signe à André, lui criant qu’il est prêt.

Bernard Antoine :
Malgré l'assurance d'André, Bernard n'avait «qu'un peu» d'espoir... signe que la situation était sérieuse, voire tragique. Trop près du camp Grégory, il n'était plus possible vu l'heure déjà tardive de rebrousser chemin. C'était bien la seule alternative, contourner l'obstacle. Le "hic" c'est que, contrairement à un lac ou l'eau est immobile, la rivière a son courant d'où une épaisseur de glace moins certaine. Enfin, il faut ce qu'il faut... !

 

Tourilli (Québec) :
L’arrivée 1 (L’aéroport)
L’arrivée 2 (Kabir Kouba)
Tourilli 1 (Le chenil)
Tourilli 2 (Les moteurs)
Tourilli 3 (Nature indomptable)
Tourilli 4 (Le défi)
Tourilli 5 (Le secteur des caps)
Tourilli 6 (Terminus)
La pièce du Castor
Rennes et Reines

 

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.
Voir le Dictionnaire des Mioches
Voir le Lexique quebecois

Date de dernière mise à jour : 04/11/2023

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