Méthode de reproduction

(Immense trou // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 
 

Le retour à la maison fut animé. Et la bière amplifia largement les divagations de notre papa et les moqueries du Mimil’ :
- Ah ! Tu l’aurais vu le Milou. Il arrêtait pas. Et ici, mes patates. Et ici mes choux. Et ici mes poireaux… Il arrêtait pas. Encore plus excité que le jour de son mariage.
- Ben merci, Mimil’ (fit semblant de se fâcher notre maman) Me comparer avec un jardin.
Et nos parents et le Mimil’ rigolèrent de plus belle.
- Allez, pètes une bière Milou. Au jardin et aux légumes !
- Avec votre boulot, j’sais pas s’il aura beaucoup de temps.
- Je m’arrangerai, t’inquiète Oda.
Bien sûr, tomba sur le tapis l’événement prochain :
- Et ça te fait quoi de devenir papa ?
- J’suis content et la Mimie encore pluss’.
- Les problèmes viendront après (rigola notre maman. Et elle conta nos escapades) Sont tout le temps en train de raoués ces deux-là…
- Rappelle-toi Oda quand on était jeune. Combien de fois ta mère te cherchait. On l’entendait jusque la place du Marché. « T’es un garçon manqué » qu’elle disait.
- Cherche pas plus loin, ta fille est comme toi (tonna notre papa).
- Telle mère, telle fille (rigola le Mimil’) Et quand nos mères venaient nous chercher jusqu’au cimetière…
- C’était le bon temps… Le traineau… La neige… On s’en est payé (rêva notre maman).
Que c’était bon de les voir si joyeux.

 

- Et le Robi, comment qu’c’est ? (demanda notre maman).
- Pas très bien. Il régresse de plus en plus. Il refuse les cartes. Il les jette par terre. La seule chose qui l’intéresse, c’est prendre les ciseaux et découper le journal. Mon père n’a même plus le temps de le lire.
- Y’a rien à faire ?
- Qu’est-ce t’veux faire ? L’envoyer à Lorquin ou à Maréville…
Les parents du Mimil’ refusaient une telle perspective. Le Robi n’était pas fou, il était simplement handicapé. Il aurait fallu, je ne sais, un institut spécialisé ou des gens formés pour cet handicap. Plus les parents du Mimil’ vieillissaient, plus le Robi leur échappait. Et ils refusaient que le Mimil’ ou son autre frère s’en occupent : « Vous avez votre ménage, votre vie à faire. Surtout que vous avez des enfants ».
- Vous allez déménager ? (demanda notre maman).
- Les parents nous poussent à le faire (répondit le Mimil’, les larmes aux yeux) On a fait une demande chez les bonnes sœurs, rue du Graoully. Bon, on change de sujet…

 

Le temps d’une nouvelle bière et la bonne humeur refit son apparition. Ils plaisantaient, racontaient des histoires de jeunesse…
- Tiens, on a une chouette dans le hangar. Ça fait plusieurs soirs que je l’entends.
- Une chouette ou un hibou ? (demanda le Mimil).
- Chouette ou hibou, c’est du pareil au même.
- Ououuh, ça c’est le hibou. Il y en a beaucoup par chez nous, mais c’est très rare d’en voir. Ouuuuu… ou... ou ou ou ou, ça c’est la chouette.
Le Fofo leva la tête. « Ououuh ; Ououuh ; Ououuh », le Fofo inclina la tête à droite. « Ouuuuu… ou... ou ou ou ou ; Ouuuuu… ou... ou ou ou ou ; Ouuuuu… ou... ou ou ou ou », le Fofo inclina la tête à gauche. De quoi alimenter une franche rigolade.

 

Et le soir, la fête continuait puisque nous descendîmes manger chez la tatâ Nénète et le nonôn Popaul. Nous y retrouvâmes nos cousines et cousins. Ah ! Il fallait voir le nonôn Popaul et notre papa ensembles. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y avait de l’animation. Et leurs femmes avaient beau essayer de les calmer rien n’y faisait : « On vous entend depuis la rue ». C’est que le nonôn Popaul avait une bien forte voix. Et notre papa n’était pas en reste. « Suffit l’apéro, mon manger est prêt » décrétait la tatâ Nénète. Ça n’empêchait pas « les hommes » d’en reprendre un sans tenir compte des mauvaises têtes que leur adressaient leurs femmes. Du coup, notre papa mettait de côté ses problèmes d’heures supplémentaires et de sa prime de panier… ça lui aérait le cerveau, pas plus mal.

 

La tatâ et le nonôn en étaient à leur cinquième. Notre maman disait « La pauvre Nénète avec ses cinq mômes, elle a bien du mal ». Elle, deux mioches lui suffisaient largement. Notre papa prenait l’affaire de haut et, sans vergogne, il mettait en boîte notre nonôn :
- Popaul, t’sais pas y faire. R’garde, moi, j’en ai qu’deux.
- Pourtant, j’ai demandé la recette au beau-père (riait le nonôn Popaul. Le beau-père n’avait eu que deux filles…)
Ah, oui ! J’ai oublié de te raconter comment notre tatâ avait eu son cinquième enfant. Bien sûr le Puits aux Bébés était tari depuis bien longtemps. Mais, un dimanche d’août, le nonôn Popaul nous avait emmené dans sa belle Traction passer la fête de la Saint-Christophe. Deux voyages avaient été nécessaires pour que toute la famille s’y retrouve. Rassure-toi, il n’y a que sept kilomètres entre chez nous et Vic.
On avait été sur les manèges. On avait mangé des gaufres. On avait sucé des glaces. On avait bu un coup à la terrasse d’un café. La mémère et la tante Luluce nous avaient gâtés. Oulala, je m’éloigne du sujet.
C’est qu’à Vic, il y a une grande statue du Saint-Christophe. Malgré les hauts-cris de ses parents, notre cousin Dédé avait tourné le bouton qui ferme le manteau du saint. Chose qu’il ne faut absolument pas faire. Il est vrai que notre papa l’avait chaudement encouragé.

 

Autrefois, un certain Christophus régnait sur la région. Il avait des pouvoirs magiques. Les bonnes gens qui voulaient avoir des bébés venaient le voir et tournaient la fibule qui fermait sa tunique. Et ça marchait à chaque fois. Cela se passait ainsi il y a très longtemps, nous avait conté le Sotré qui avait pris l’apparence de la Bianche-tète. Christophus était tellement apprécié qu’à sa mort, les bonnes gens avaient érigé une statue avec la fameuse fibule. Même mort, le Christophus faisait des miracles et les bébés naissaient par dizaines.
Et puis les Catholiques étaient arrivés. Leurs moines et curés avaient remplacé la statue du Christophus par celle du Saint-Christophe. Mais, le Christophus était bien plus malin que les curés, il s’était introduit dans la statue. Si bien que lorsqu’on tourne le bouton du manteau du Saint-Christophe, on tourne en fait la fibule du Christophus. Et ça marche à chaque fois puisque les bébés naissent toujours par dizaines. Donc, notre Dédé avait tourné le fameux bouton du saint.

 

Nous n’avions pas compris grand-chose lorsque quelques semaines plus tard, au cours d’un repas de famille, notre tatâ avait annoncé : « Oda, ça y est, je suis prise ». Ce à quoi notre maman avait rétorqué : « Oh ! Ma pauvre ». Notre papa avait raillé : « Popaul, t’es un chaud lapin ». « Ouâré ! s’était écrié le nonôn Popaul. C’est d’ta faute, c’est toi qui a encouragé le Dédé à tourner le bouton du Saint-Christophe ». Et tout le monde s’était esclaffé… Sauf nous.
Et puis, au fil des mois, voilà-t-il pas que le ventre de notre tatâ Nénète se mit à gonfler. A gonfler. Et à gonfler. A un tel point que cela faisait peur. Ma sœur lui demanda : « Pourquoi t’as un gros ventre, tatâ ? ». Notre pépère, qui était présent ce jour-là, répondit : « Votre tatâ a une maladie de neuf mois ». « Henri ! » avait vigoureusement protesté la mémère.
Notre tatâ nous fournit, bien sûr, la réponse. Et nous en eûmes la confirmation quelques temps plus tard : elle revint de la maternité avec un bébé et le ventre… dégonflé. Nous n’avions pas bien compris cette histoire de gros ventre avant d’aller à la maternité.

 

Peut-être une semaine ou deux après la naissance de notre jeune cousin, nous revint en mémoire ce que nous avait fait vivre la Bianche-tète à propos de l’Origine de la Vie. Plus précisément, au moment où les molécules dans la soupe primitive devenaient cellules. Et surtout, du moment de la reproduction. Nous nous étions alors emparés de cellules reproductrices mâles pour les semer dans la soupe primitive. Ainsi, elles rencontrèrent des cellules femelles et les fécondèrent. C’est ainsi qu’étaient nées les Algues bleues.
- C’est pour ça qu’la tatâ Nénète avait le gros ventre ! (conclut ma sœur).
- Pasqu’elle avait la soupe primitive dans l’ventre ? (ma sœur acquiesça d’un hochement de tête) Qui c’est qu’a semé les cellules mâles ?
Ma sœur réfléchit un long moment. Son front se plissa exagérément. Elle posa les coudes sur la table et se prit la tête entre les mains pour mieux se concentrer. Soudain, son visage s’éclaira :
- C’est le nonôn Popaul qu’a semé les cellules mâles. Tu peux en être sûr ! Mais, j’sais pas comment (fit-elle en levant les bras au Ciel).
Franchement ! C’était quand même plus simple de puiser le bébé dans le Puits. Retrouvons l’époque où le Peût’ôme alimente nos angoisses. Mais, pas seulement…

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Remous

(Immense trou // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

Pas évident, tout le monde n'est pas exactement sur la même longueur d'ondes

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
* Immense trou
~ Dans le trou
~ Méthode de reproduction
~ Remous
~ Peaux d’lépins
~ Le Puits aux Bébés
* Vive la grève
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 28/05/2024

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