Remous

(Immense trou // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 
 

Le lundi suivant, le camion du Mimil’ rentra plus tôt que d’habitude. Tous en descendirent en face de chez nous et ils débattirent sur les pavés.
- Demain, j’vâs au syndicat à Nânci. Comme ça, on saura à quoi on a droit.
- J’viens avec (lança le Mimil’).
- Moi aussi (approuva Tonio) Faut pas qu’on se laisse voler !
- J’suis d’accord Milou (dit Igor) Faut se renseigner, mais moi j’vâs pas chez les Cocos.
- Moi non plus ! (scanda le Nano).
- Non plus (fit mollement le Dani).
Notre papa toisa le Dani :
- Toi ! Tu nous lâches pas ! Sinon, j’te casse la gueule.
- Ça ne fera que la troisième fois (rigola le Dani).
- Tu le méritais ! (Le Dani prit un air dubitatif) Way ! Way ! (grogna de plus belle le Mimil’) T’as beau faire ta tronche. Raconter des conneries sur l’Oda…
Le Mimil’ avait les yeux méchants. Il serrait les dents, ses lèvres bougeaient à en faire vaciller son nez. Tonio connaissait cette réaction. Il savait que le
Mimil’ s’énervait et était sur le point d’exploser. Il tenta une diversion :
- Moi, il voulait me casser la gueule parce que je suis Rital. « Le Rital, tu me chauffes les oreilles ! » qu’il disait. C’est un sang chaud le Milou.
- Normal, t’as fait la guerre avec Mussolini !
- Je t’ai déjà expliqué Mimil’…
- Bon les gars (coupa notre papa) On est pas là pour régler des vieux comptes… (Il expliqua que le syndicat, c’était le syndicat. Et que le Parti Communiste, c’était le Parti Communiste) On est pas obligé d’y aller tous. On vous fera un compte rendu. Et toi ?
Le chef d’équipe se dit d’accord, mais vu sa place :
- Milou, t’peux me faire confiance, c’est comme si j’entendais rien.

 

Et le mardi soir, scénario identique. Notre maman le réprimanda dès qu’il ouvrit la porte :
- Déjà tu r’viens à point d’heure et vous discutez une demi-heure avant d’monter. J’ai fait manger les Mioches, c’est pas la peine de les détraquer !
- T’as bien fait… On a été au syndicat… On doit y retourner demain…
- Et vos discutions en pleine rue. Tout le monde vous entend. T’vâs avoir des ennuis… Déjà qu’à Nânci, personne veut plus t’embaucher.
- Le Mièsse va pas nous voler sans qu’on dise rien, quand même ! Toi, ta mère est passée.
- Oui, mais j’l’ai envoyée sur les roses. N’empêche qu’en ville, y’en a qui jasent.

 

Nous ne savions plus trop quoi penser à propos du Peût’ôme. On le voyait passer de temps en temps pour capturer les enfants. Mais, nous nous gardions bien de le reprendre en filature. On ne sait jamais… Ce mercredi, on traînait notre âme en peine devant la fenêtre de la tante Agathe lorsque le petit camion du Mimil’ remonta la rue en plein après-midi. Tiens, il ne venait pas de Nancy. Il s’arrêta le long du trottoir. Le Mimil’ cala son moteur et descendit.
- Alors Milou, toujours en guerre contre vot’ patron ?
- Eh oui, tante Agathe. Veut pas nous payer nos heures !
Ne t’imagine pas que la tante Agathe était une contestataire. Oh, que non ! Dans sa jeunesse, lorsqu’elle travaillait avec son frère à confectionner des couronnes mortuaires, elle ne comprenait pas toute cette agitation qui secouait régulièrement Nancy. Pour elle, les ouvriers et les ouvrières ou même les employés avaient besoin d’un patron pour travailler. Bien sûr, ils y avaient des patrons biens et des patrons mauvais. Aujourd’hui, la vie la satisfaisait… du moment qu’on n’empiète pas sur ses plates-bandes. Mais là, il s’agissait du mari de sa petite-nièce. Mais là, elle s’ennuyait tellement, cloîtrée chez elle, qu’elle s’intéressait à tout se qui passait sous son nez. Elle en venait, même, à encourager notre papa dans sa lutte contre son patron. Elle en était même à espérer que quelque chose se passe. Bref…
- Et vous Mimil’, ça va chez vous ? Y’a longtemps que j’ai pas vu votre famille. Et la Mimie, pas trop dur avec cette chaleur ?
- Elle supporte. Même plus six mois… On essayera de passer un de ces jours (promit le Mimil’).
- C’est que j’peux guère bouger. Ah ! Quand on d’vient vieux…

 

Nous accompagnâmes notre papa et le Mimil’ à la maison.
- Z’êtes jà là ! (s’écria notre maman comme si elle était contrariée).
Ils avaient été voir le Mièsse : « Si vous n’êtes pas content, allez vous chercher un patron ailleurs. Ici c’est moi qui fais la loi ! ».
- Et les autres, ousqu’y sont ?
- On s’est arrangé avec ceux du chantier de Gérard d’Alsace, ils passeront les prendre… Eux non plus sont pas contents.
- Et le syndicat ?
- Ils sont à Nânci et nous dans une entreprise de Moselle, alors…
- T’as pas encore compris… Ils te laissent tomber comme une vieille chaussette ! (tonna notre maman).
- Mais non…
- Pfuitt ! Rappelles-toi c’qu’y z’ont fait avec ta mère. Un grand enterrement pour ton père. Avec tout leur tralala. Et une semaine plus tard, ils foutaient ta mère à la porte de la Maison du Peuple. Alors, ton syndicat ! Et c’est pas ton syndicat qui viendra payer les crédits !
Un coup de sang… Je devrais plutôt dire une perte de sang, car son visage devint livide et les traits se durcirent. Notre papa claqua la porte et descendit l’escalier en tapant des pieds.
- C’est bon Oda, j’vâs l’calmer (rassura le Mimil’).
Nous les retrouvâmes sur le trottoir.
- T’inquiètes, j’fous le camion en travers et personne sortira. Bon, qu’est-ce qu’on fait ?
- J’sais plus rien…
- Allez Milou, ressaisis-toi. Tu sais, l’Oda voit pas les choses comme nous. Faut la comprendre. On va voir le jardin du père Galate, ça t’changera les idées…
- On peut aller avec vous ? (réclama ma sœur).
- Plus on est de fou, plus on rit (badina notre papa qui avait retrouvé le moral).

 

Nous venions de traverser la rue en tenant par la main notre papa. Un peu plus loin le Grilou faisait le guet. Il dressa ses oreilles dans notre direction. Presque arrivé sur le trottoir, le Fofo s’élança. Le Grilou se leva d’un bond.
- T’veux un coup de charpâgne sur la gueûle ! (hurla notre papa).
Sans doute que la scène de l’autre fois revint en mémoire, le chien du père Heûle baissa les oreilles. Il décanilla sans demander son reste. Ma sœur se réjouit :
- Le Grilou a peur ! Le Grilou a peur !
Comme s’il avait comprit où nous allions, le Fofo s’arrêta devant la lourde porte cochère, à proximité de la vieille femme assise sur sa chaise. Elle était tout habillée de noir. Ramenés en chignon, ses cheveux blancs lui donnaient un air inquiétant. Sur ses genoux, roulé en boule, le Chanoire dormait en ronronnant. Le Fofo flairait par la fente entre les deux battants. La vieille femme avança la main, longue et fripée, pour le caresser. Du coup, le Chanoire cracha, émit un grognement et…. Le Fofo recula prestement. Le Chanoire disparut. Nous approchâmes avec grande prudence et la saluâmes respectueusement.
Ce nez crochu qui ombrageait la lèvre supérieure. Ce menton qui avançait. Ce visage fripé, très maigre, blême. Ces cheveux blancs ramenés en chignon. C’était la première fois que nous approchions la vieille femme d’aussi près. Sûr :
- T’es la Bianche-tète ! (affirma ma sœur).
Elle répondit par un lugubre grognement. Sur ses genoux, son châle roulé en boule.
- Milou ! Mimil’ ! J’arrive (Le père Galate attendit que l’automobile passe pour traverser). J’savais pas que vous veniez aujourd’hui.

 

D’un geste, la Bianche-tète nous invita à entrer. Etait-ce vraiment la Bianche-tète ? Nous étions là, devant le porche qui fermait la ruelle des Sorcières et le fameux Puits aux Bébés. Nous hésitions sans parvenir à nous décider. Derrière nous, notre papa, le Mimil’ et le père Galate discouraient. Elucider le mystère du Puits aux Bébés, voilà ce qui nous tarabustait. Alors, ma sœur décréta « On y va ! ». Elle essaya de pousser le battant…
- Attendez, j’vâs ouvrir (proposa le père Galate).
Une petite porte évitait de pousser le lourd battant de la porte cochère. Je peux te dire que cette petite porte paraissait, elle aussi, bien lourde.
- Faîtes pas de conneries (lança notre papa au moment où nous enjambions le seuil).

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Peaux d’lépins

(Immense trou // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

Effrayant bruit, lugubre aspect de ce couloir bordée de maisonnettes 

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
* Immense trou
~ Dans le trou
Méthode de reproduction
~ Remous
~ Peaux d’lépins
~ Le Puits aux Bébés
Vive la grève
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 28/05/2024

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