Ô rage

(Direction la maison // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 
 

Nous étions à la fenêtre depuis un bon moment, il était encore plus tard que d’habitude :
- Pourra jamais faire son jardin en rentrant à point d’heure (grognait notre maman).
- Il est au bistrot ! (répondit ma sœur).
- Pourquoi t’dis ça ?
- Oh, c’est la mémère. Elle dit que le papâ va au bistrot.
- Elle f’rait mieux de s’occuper de son frountze.
- On dit pas ça d’sa môman !
Justement le petit camion du Mièsse apparaissait. De la cabine, le Mimil’ cria : « Salut Oda, ça va ? ». Le Mimil’ était pour ainsi dire un ami de toujours. Ha ! Ils en avaient fait lorsqu’ils étaient jeunes.
- Vous êtes arrêtés au bistrot, ma parole.
- Le travail, Oda. Le travail va nous tuer (badina-t-il).
Notre papa et Tonio sautèrent du camion. Igor passa la tête hors de la bâche et lança un joyeux « Bonsoir ». Il rajouta :
- C’est la faute au Tonio, il arrivait pas à couler son béton. Il pensait trop à sa dulcinée.
- Parce que vous aviez mal fait le coffrage (rigola Tonio).
- Taratata (plaisanta notre papa) Notre coffrage n’a jamais été aussi beau.

 

Notre papa fit à peine une remarque sur notre excursion en bas de la rue. Lui ne pensait qu’à ses cultures. Il aurait bien aimé prendre une ferme. Cela, je l’ai déjà narré... Mais, voilà, sa femme avait peur des vaches, des cochons et même des… Non, pas des lapins. Eux, étaient confinés dans leurs clapiers sous le hangar. Et la volaille ? Allez vâ, nos poules n’étaient guère agressives. Et lorsqu’elles voyaient notre maman arriver avec son sac de graines, elles caquetaient de contentement. Même lorsque notre maman traversait la cour pour aller vider son seau, les poules lui faisaient la fête et l’accompagnaient jusqu’à la baraque-chiottes. Et quand elle ramassait les œufs, pas une ne lui faisait de remontrance. Non, le danger ne venait point de là...
C’est qu’une maudite bestiole veillait sur la basse-cour. Elle avait un de ces regards qui vous faisait graouillouter l’estomac : « Il a les yeux du nonôn Auguste ! » s’offusquait notre maman. Le nonôn Auguste était mort depuis quelques années. C’était son parrain. Lui qui avait été si gentil… Tu vas me dire : cette maudite bestiole avait un mauvais regard, soit ! Est-ce pour autant qu’elle représentât un danger ? A la moindre occasion, cette maudite bestiole plantait son bec dans les mollets de notre maman.
- Moi, il m’a jamais becquer (protestait notre papa).
- Si ça continue, j’irai plus vider le seau.
Notre maman aurait bien déversé le contenu de son seau hygiénique sur cette maudite bestiole. Ne va pas croire qu’elle s’en laissait compter pour autant. Dès qu’il s’approchait, elle lui foutait des coups de pied. A la fin, on ne savait plus qui était le plus agressif. Le coq avec son coup de bec récursif ou notre maman avec son coup de pied préventif...
Notre maman avait la frousse du coq. Nous, nous avions la frousse du Peût’ôme…

 

Sous l’apparence de la Bianche-tète, le Sotré nous avait conté la fiawe du Peût’ôme. Malheureusement, elle mettait en scène l’individu au début de l’Humanité, enfin presque.
- On va r’tourner chez la Bianche-tète (proposa ma sœur. Pas plus que l’autre jour avec notre maman, nous ne trouvâmes la maison de la Bianche-tète au Beaurepaire. Le Fofo couina douloureusement) Elle nous a vraiment abandonnés. Mon pauv’ Fofo, nous v’là bien…
- Quesqu’on fait ? (m’angoissai-je. Dans le chemin qui longeait le tribunal, traînait le Chanoire. Il miaula dès qu’il nous aperçut) Veut nous jouer un tour en vache.
- C’est not’ copain (fit ma sœur en secouant la tête pour donner plus d’assurance à ses dires).
Nous allions traverser la chaussée… Le Chanoire glapit comme si on venait de lui marcher sur une patte. Il s’élança, déguerpit comme le vent. A quarante mètres de là, le Peût’ôme traversait la rue…
- On le piste.
- Va s’faire encore engueuler pass’qu’on part trop loin.
- La môman saura rien. Allez, ramènes-toi !
Comme à l’accoutumée, le Peût’ôme poussait son vélo. Sur le porte-bagages, son sac en toile semblait bien joufflu… C’était bien le même sac que ceux du Claudi. Sur le cadre du vélo étaient arrimées une pelle et une pioche… Le Peût’ôme atteignait la pointe, là où s’élevait la statue de la Vierge. A gauche, la route filait sur Nancy. Il prit à droite, la petite route qui montait.

 

Moôn ! Une bourrasque propulsa le Chanoire dans les airs. Nous en vacillâmes. Le ciel s’obscurcit comme si la nuit cavalait vers nous. Une boule de feu gicla de la gueule du Graoully. L’effrayant hurlement qui l’accompagnait nous donna des ailes. Des petites boules piquantes nous bombardèrent.
Le Graoully cracha une nouvelle boule de feu. Le jour ressuscita… un bref instant. Les hurlements se firent plus insistants, de plus en plus puissants. Les petites boules cognaient nos têtes, mitraillaient les pavés, rebondissaient.
Tous phares allumés, une automobile s’immobilisa devant chez nous. De sa fenêtre, la tante Agathe criait :
- Vite ! Vite ! (Ma sœur et le Fofo arrivèrent les premiers) Vite le Dabo ! (m’encouragea la tante Agathe. Elle referma aussi sec sa fenêtre).

 

Comme chaque soir, bien trop tard au goût de notre maman, le camion du Mimil’ déposa notre papa. Cette fois, le Mimil’ ne nous adressa qu’un bref salut et tous les passagers descendirent. L’homme assis à la place passager de la cabine se pencha par la porte conducteur :
- Vous en faites pas, je règle tout ça samedi…
- T’as intérêt pass’que moi je descends au bureau. J’te préviens !
- T’énerves pas Milou, c’est mon rôle de chef d’équipe.
- Dis-lui aussi qu’il nous doit la prime de panier (renchérit Igor).
- S’il file rien, on descend tous samedi prochain au bureau ! (menaça le Mimil’ sur un ton agressif) Hein, Tonio ? Hein, Nano ? Hein, Dani ?
Tous approuvèrent. Le Nano, un peu moins enthousiaste que les autres. Et ça discutait, ça discutait…
- Une vraie pipelette. Pire que toi, hein môman ? (railla ma sœur).
Notre papa arriva bien remonté.
- Ça discutait dur (persifla notre maman) Même ta fille l’a remarqué.
Il venait de toucher sa première paye. Selon ses calculs, lui comme ses camarades travaillaient 50 heures par semaine. Or, le Mièsse ne leur en avait payé que 46. De plus, ils n’avaient pas de prime de panier.
- Soi-disant que c’est son camion qui nous transporte, ça ne nous coûte rien. Donc, ça compense nos frais de repas (C’est ce qu’avait rapporté le chef d’équipe. Il devait en reparler à la réunion en fin de semaine) On saura rien avant lundi matin vu qu’il habite un village.
Ce soir et pendant tout le repas, il ne fut pas question de culture. C’était comme si notre papa avait perdu ses légumes en route. Et vas-y qu’il rameûssait. Et le Mièsse allait voir de quel bois il se chauffait. Et le Mièsse avait intérêt à payer toutes les heures. « Faut pas m’prendre pour un con ! ». S’il le fallait, notre papa irait au syndicat. S’il le fallait…

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Saint-bernards

(Direction la maison // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

Vous êtes encore évadés ! Warés !

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
La Rencontre
La Filature
~ Ô rage
~ Saint-Bernards
* Immense trou
Vive la grève
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

En savoir plus sur les lieux, sur les mots les événements :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 28/05/2024

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire