Saint-bernards

(Direction la maison // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 
 

Le lendemain, ma sœur n’allait pas de la journée chez la mémère. C’est que les mardis, notre mémère participait à des goûters avec des dames de la Haute. Disons plutôt avec des épouses de gens bien comme il faut.
Il y avait l’épouse du notaire. Disons plutôt de l’ancien notaire puisqu’il était à la retraite. Il possédait le moulin sur le canal et était le Président de l’Association de pêche. Il y avait l’épouse du propriétaire de la scierie qui possédait plusieurs maisons et je ne sais combien de terrains. Il était Président des Commerçants, Artisans et Industriels. Il y avait l’épouse d’un des fabricants de remorques et possesseur d’un immense magasin où on vendait des tracteurs, des moissonneuses, des charrues. Notre papa avait travaillé quelques mois chez lui. Il disait que l’homme était plutôt sympa, pas arrogant ni prétentieux comme « sa bourgeoise ». Mais « un patron, reste un patron ». Il y avait aussi l’épouse d’un ancien colonel qui avait fait les colonies. C’était notre Maire d’avant-guerre. Son frère était Chanoine à la Cathédrale de Metz.
Il y avait aussi l’épouse du marchand de grains. Elle, notre maman l’aimait bien « elle est simple comme tout. Et gentille, tu ne peux pas savoir ». Son fils était un copain de notre maman. C’est sur son silo que c’étaient reposées, l’autre jour, les cigognes noires.
Que faisait notre mémère avec cette brochette huppée et hautaine ? Après tout, son mari était un petit fonctionnaire. Ben oui, un huissier à la Sous-préfecture est certes indispensable, mais il est loin de faire partie du gratin de l’administration. Notre papa la raillait : « la belle-mère veut péter plus haut que son cul ». Alors, la mémère rétorquait sèchement : « Vous saurez, Milou, que je n’ai pas de derrière et que je ne vente pas ». Si le nonôn Popaul était présent, il en rajoutait une couche et il avait droit, lui aussi, à une volée de bois vert. Et comme ses filles riaient, surtout notre maman, notre mémère rajoutait : « Vous saurez que je dois tenir mon rang. Mon père était Directeur de la saline ». Tout le monde faisait semblant d’y croire. Ses sœurs, surtout la tante Luluce, haussaient les épaules en précisant : « Oui, oui, il était contremaître ».

 

Donc, ce jour-là, ma sœur n’allait pas chez la mémère. Alors, après manger nous sortîmes. Coup de chance, le Peût’ôme sortait de la Cour des Miracles. Il discuta un moment avec la vieille dame assise devant la porte. Aussitôt, ma sœur tira la conclusion qui s’imposait. Le Peût’ôme s’était emparé de la Cour des Miracles et de son Puits aux Bébés. Le Peût’ôme puisait les enfants et les emportait on ne sait où. Voilà pourquoi le Puits aux Bébés était tari. Voilà pourquoi la vieille dame empêchait les bonnes gens d’entrer.
- Vous êtes encore sur une enquête ?
- Oui, tante Agathe.
- Partez pas loin, nème ?
- Non, tante Agathe.
Le Peût’ôme s’ébranla. En poussant son vélo, il remontait la rue. Il traversa pour rejoindre notre trottoir.
- On s’planque ! (ordonna ma sœur).
Nous rentrâmes en vitesse dans le couloir, claquâmes la porte. Les braillées inintelligibles s’amplifièrent. Elles devinrent toutes proches. Le Fofo dressa les oreilles, grogna. Les braillées s’éloignèrent, faiblirent. « On y va ! ».
Le Fofo se précipita en jappant. Nous eûmes bien du mal pour le retenir et le faire taire. Le Peût’ôme nous devançait d’une trentaine de mètres. Une distance qui nous permettrait de nous enfuir si l’idée lui prenait de nous capturer. Sur sa trace, le Chanoire. Dès qu’il nous entendit, il miaula comme s’il voulait nous dire qu’il n’y avait pas de péril. Du moins, c’est ce que prétendit ma sœur.
- L’aut’ jour, nous a envoyé le Graoully pour nous bouffer ! (maugréai-je).
- C’est pas d’sa faute ! L’avait pas vu le Graoully.
De la maison vis-à-vis parvint :
- Vous n’allez pas sur la route !
- Non, Fanny…
- Et vous ne dépassez pas la rue du Beaurepaire, c’est compris ?
Oh, elle n’allait pas arrêter de crier ! A force, elle allait nous faire repérer…
- Oui, Fanny (grogna ma sœur).

 

Et toujours le sac en toile bien joufflu arrimé au porte-bagages par des tendeurs. Et toujours la pelle et la pioche accrochées au cadre du vélo. A sa suite, si je puis dire, nous traversâmes la rue du Beaurepaire, longeâmes la ferme. A la pointe, la statue de la Vierge. Il prit la route qui montait.
- I vâ en Suisse.
- Là ousqu’y’a la mémère Maria et les autres ?
- Oui !
- T’as déjà été ?
- J’suis passée d’vant quand on a été à La Marchande avec le papâ. J’ai vu. C’est beau... Mais le papâ l’a pas voulu entrer. C’est là qu’le Peût’ôme vâ. Tu peux en être sûr.
- Bâ, alôre. Faudra demander à la Mélie c’que le Peût’ôme fait en Suisse. Elle dira...
- Elle dira rien ! On lui d’mand’ra rien. Le Peût’ôme i met les piats enfants dans un trou. Alôre, elle va pas dire.
- Bâ, alôre… Oh, r’garde les beaux chiens.
Qu’est-ce qu’ils étaient gros. A côté, notre Fofo paraissait tout riquiqui. De beaux et longs poils blancs. D’autres poils formaient des tâches brun-rouille. Une tête énorme avec des poils noirs. L’un d’eux passa son museau entre deux barreaux. Trop grosse, sa tête resta à l’intérieur. Notre Fofo essaya de faire connaissance. Une langue démesurée lui enveloppa la tête. Le Fofo recula en couinant. L’autre lui répondit par un wouaf étouffé.

 

Le Chanoire nous appelait. En vain. Nous restions hypnotisés par les gros chiens. Ma sœur caressa la tête de l’un d’eux. Il sembla apprécier. Voyant qu’il n’y avait nul danger, je caressais l’autre chien.
- C’est la chienne.
- Comment t’sais que c’est la chienne ? (m’étonnai-je).
- Passqu’elle est plus petite.
- N’importe quoi ! T’es plus grande que moi et j’suis un garçon.
- J’ai pluss’ d’années !
Elle ne me convainquit guère, mais comme elle voulait toujours avoir raison… Quant à notre Fofo, il gardait ses distances, histoire de ne pas subir un nouveau coup de langue.
Le Chanoire nous avertit. En vain. Nous n’entendîmes même pas le camion arriver. Nous ne vîmes même pas le camion couper la route et se diriger sur nous…

 

- Vous êtes encore évadés ! Ouârés ! Hopla gaïsse, direction la maison.
Le Claudi abandonna son camion qui bourdonnait toujours. Il nous prit par la main et nous raccompagna. Il monta l’escalier, ouvrit notre porte :
- Allez ! (fit-il sur un ton sec).
Notre maman échappa presque sa revue de modes tant elle fut surprise :
- Où t’les as trouvés ?
- Bonjour Oda…
- Oui, excuses-moi… Ils me feront tourner en bourrique ces deux-là.
Embrassades habituelles. Le Claudi posa sa casquette sur la table, se recoiffa :
- Ils étaient tranquillement en train d’admirer les saint-bernards de l’Hubert…
- Pour qu’ils se fassent mordre. Parait qu’y sont méchants.
- Y’en qu’un. Et il est toujours enfermé. Ça vaut mieux.
- Te veux du café ? Ou aut’ chose ?
- Non, non, j’ai laissé tourner mon camion. Si l’patron passe, il va encore dire que j’use de l’essence pour rien.

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Dans le trou

(Immense trou // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

C’est là qu’le Peût’ôme met les enfants qu’il attrape

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
La Rencontre
La Filature
~ Ô rage
~ Saint-Bernards
* Immense trou
Vive la grève
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 28/05/2024

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