Pas bien clair

(Vive la grève // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 
 

Le samedi matin, tandis que notre papa était parti faire sa lutte contre le patron, notre maman sa lutte contre la poussière, nous nous baladions. Le Heurlin redescendait de la Suisse, nous l’accompagnâmes un bout de chemin.
- Tu t’rases pas ? (s’étonna ma sœur) Mon papâ, y s’rase tous les jours (Un haussement d’épaules lui répondit) T’as un nouveau pantalon.
- Il a pas d’trous çui-la (remarquai-je).
- C’est le Goupil qui me l’a donné.
- Pourquoi il t’a donné un pantalon Monsieur Goupil ?
Le Heurlin, le père Galate et Monsieur Goupil étaient du même âge. Ils avaient été à l’école ensemble. Autant dire, des copains d’enfance. Suite à ses démêlés avec la soudière Solvay, seul le père Galate était resté fidèle et l’avait aidé. C’était grâce à lui qu’il avait retrouvé un logis et le travail de fossoyeur. Monsieur Goupil l’avait longuement boudé. Le temps passant, les anciennes rancœurs s’estompaient… et Monsieur Goupil l’aidait comme il pouvait.
- Alors si Monsieur Goupil devient mon copain, il me donnera aussi un pantalon ?
- Sans doute…
- Pass’que j’en ai marre d’avoir froid. En culottes courtes, c’est pas bien en hiver !
Le Heurlin répondit par un gros rire.

 

Le père Galate devait être partie chez un client, car son atelier était fermé. Vis-à-vis la vieille femme à la chevelure blanche ramenée en chignon était assise devant la porte cochère de la Cour des Miracles. Le Chanoire était assoupi sur ses genoux. Le Heurlin lui adressa un signe de la main.
- T’connais la Bianche-tète ?
Le Heurlin me regarda avec un air tellement ahuri que je lui désignais la vieille femme.
- Ta bianche-tète, c’est ma mère.
- Ta mère, c’est la Bianche-tète ! (affirmai-je).
Nous lui contâmes notre rencontre avec la Bianche-tète du Beaurepaire.
.- Arrivé à un certain âge, tout le monde devient bianche-tète. Quant à votre Chanoire, c’est son châle qu’elle a sur ses genoux.
Le Heurlin ne voulait pas en dire plus. En fait, il était comme les autres grandes personnes : il niait l’évidence.

 

Nous lui racontâmes ce que nous avait appris la Bianche-tète : l’histoire de notre monde, celle de la Sotrée  qui vivait dans les temps anciens. Pour nous, il n’y avait pas de doute, c’était le Sotré qui se déguisait en Bianche-tète.
- Le Sotré (ironisa le Heurlin) vous croyiez…
- Si !
Même que le Sotré prenait l’apparence du Grilou, d’une boule de feu, etc. Pour preuve l’attaque du Sotré déguisé en Grilou contre notre pauvre Fofo, le feu dans la cheminée, le vol de la bicyclette du Fanfan… Ma sœur montra la superbe cicatrice qui ornait sa lèvre :
- Tu vois là ? C’est le Sotré qui m’a lancé une bûche…
- Le Sotré ?
- Oui ! Hé ben, j’saignais plein. Du sang partout. J’âs été à l’hôpital et le docteur m’a recousue. J’avais mal. J’ai jamais eu mal comme ça. Si j’avais été morte, j’aurais pas eu mal, nème Heurlin (il acquiesça d’un hochement de tête) Et ben, j’âs pas mouru passque j’suis trop piate.
Le Heurlin réfléchit un long moment avant de répondre. Connaissait-il des choses secrètes ?
- Le Sotré, c’est une légende… Comment vous expliquez ça…
Nous eûmes bien du mal à accepter ses dires. Pourtant, le Heurlin cherchait des mots simples pour que l’on comprenne, des mots justes pour que l’on soit convaincu. D’après le Heurlin, le Sotré était une invention des Humains pour expliquer des choses ou des faits qu’ils ne comprenaient pas ou ne s’expliquaient pas. Au fil du temps, les Humains avaient attribué toutes sortes de qualités et de défauts au Sotré.
- Par exemple. T’as laissé traîner ta poupée dans le passage. Et toi, une piate voiture. Moi, j’arrive en pensant à quelque chose, sans faire exprès j’écrase la poupée et la voiture…
- T’as fait ça ! (nous insurgeâmes dans un parfait ensemble).
- Mais non, mais non… C’est une image.

 

Le Heurlin se gratta la poyate et trouva : l’autre jour, il réparait un clapier à lapins. Arrive le père Galate. Le Heurlin pose son marteau dans un coin. Il discute avec le père Galate, ils boivent un coup.
- Quand, j’suis r’venu pour terminer mon clapier, j’m’rappelais p’us où j’avais posé mon marteau. J’ai dit : vinrats d’Sotré ousque t’as caché mon marteau !
- C’est comme le papa quand y faisait son beau meuble. T’rappelles le Dabo (fit ma sœur en me collant un coup de coude).
- Il cherchait partout son vinrats de tournevis. Nous, on croyait que c’était le Sotré qui l’avait caché. Mais non, c’était le Fofo qui jouait avec !
- Vous avez tout compris ! (approuva le Heurlin).
- Alors le Sotré, c’est comme le Bon Dieu et son P’tit Jésus : on en parle, mais ça n’existe pas ? (douta ma sœur).
- Vous ne croyiez pas au Bon Dieu ?
- Notre mémère, elle dit que le Bon Dieu a créé la Terre, la Lune, les étoiles, les hommes et après les femmes. Mais, c’est pas vrai ! La Bianche-tète nous a raconté comment l’Univers s’est formé. Bon, j’me rappelle pas de tout, mais c’est pas le Bon Dieu qui a fait ça ! Ma mémère, je l’aime bien, mais elle dit aussi des bêtises (et ma sœur rajouta) Le P’tit Jésus et son Bon Dieu, ça n’existe pas. Mais, le Sotré, lui, il existe.
- J’ai encore du boulot (marmonna le Heurlin en voyant que malgré ses explications, nous continuions à vénérer le Sotré et la Bianche-tète).
- Et maintenant, t’vâs où ?
- Chez le Goupil, il a deux peaux d’lépins à ce qu’il m’a dit ce matin.

 

Le Heurlin s’habillait comme un pouilleux disait notre maman. Cela faisait drôle de le voir à côté de Monsieur Goupil. C’est que Monsieur Goupil était un haut-la-queue. Il faisait un peu des manières en parlant et il se sapait comme un milord, toujours tiré à quatre épingles. Il n’y avait que lorsqu’il faisait très chaud qu’il « tombait la veste ». Toujours une cravate de couleur assorti à sa chemise. Le dimanche, il portait un beau chapeau de couleur bordeaux.
- Alors, vous n’avez plus peur du Peût’ôme ? (ricana Monsieur Goupil en me tapotant la tête comme s’il le faisait au Fofo).
- Le Heurlin, c’est pas le Peût’ôme ! (rétorqua ma sœur en haussant les épaules).
- C’est not’ copain (précisai-je).
Les deux hommes rigolèrent un bon coup.
- Le Peût’ôme, vous l’avez trouvé ? (nous demanda le Heurlin en souriant).
- Il existe pas (répondit ma sœur en soulevant les épaules)
- Bâ alôre ! Bien sûr qu’il existe le Peût’ôme. Vous l’avez sous le nez, cherchez mieux…
Une nouvelle fois, ma sœur souleva les épaules.

 

De lugubres grincements attirèrent notre attention. La porte de Monsieur Goupil s’ouvrait. Une bien belle porte en chêne, avec une superbe grille en fer forgé qui protégeait la vitre en verre cathédrale.
- J’ai fini mon ouvrage (fit la Catinète en refermant la porte derrière elle. Elle nous fit la bise et tapota la tête du Fofo qui lui faisait la fête) Vous saurez, j’ai rangé le débarras, passque je m’y retrouvais plus (Monsieur Goupil approuva d’un hochement de tête) Je repasse vot’ linge après-demain, Monsieur Goupil.
- Comme cela vous arrange, Catinète. C’est bien, vous avez pris ce que je vous ai préparé (fit-il en voyant le cabas) Passez une bonne journée et saluez Tonio de ma part.
La Catinète venait deux ou trois fois par semaine. Elle lui faisait son ménage, sa lessive, son repassage. Souvent, Monsieur Goupil la débauchait : « Un petit café Catinète ? Une boisson fraîche ? » ; « J’ai à faire Monsieur Goupil » ; « Prenez donc le temps de vivre, Catinète. Allez, c’est la pause ». Elle s’en alla sans adresser une parole, ni même un regard au Heurlin. Nous décidâmes de l’accompagner jusque notre maison.

 

Notre maman était à la fenêtre grande ouverte de la tante Agathe. La Catinète les salua, puis :
- Alors, ça va être la guerre !
- La guerre ? (firent notre maman et la tante Agathe sans comprendre où elle voulait en venir).
- Oui (rigola la Catinète) la guerre contre le Mièsse. Le Tonio ne parle que de ça.
- Le Milou aussi…
- Vous savez madame Oda, je ne suis pas pour les grèves et tout ça. Mais depuis le temps que je dis au Tonio de réclamer ses heures supplémentaires. C’est bien que monsieur Milou travaille avec lui. Maintenant, Tonio ne veut plus se laisser faire. Et il en est tout fier.
- C’est la lutte finale ! Vinrats d’vinrats (s’écria la Mélie qui redescendait de la Suisse des Morts) Nos bonhommes vont faire la peau au Mièsse.
- Oui (approuva timidement notre maman et elle rajouta) Si le Mièsse ne les fout pas à la porte.
- Penses-tu Oda. Vinrats d’vinrats te crois que c’est lui et son gendre qui vont le travail s’il fout ses ouvriers à la porte ? Non, non, c’est les ouvriers qui font tout, s’ils arrêtent de travailler, le Mièsse n’aura plus de sous. Au moins, ton Milou, il a secoué les puces à Igor et au Mimil’.
- Et au Tonio (approuva la Catinète).
La Mélie sonna la dispersion : « Bon, j’rentre faire mon manger. C’est qu’i faut prendre des forces avant la bagarre ».

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Epaule démise

(Vive la grève // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

J’ai pas fait exprès

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
* Immense trou
Vive la Grève
Une Fiawe
~ Pas bien clair
~ Epaule démise
~ Sur les nerfs
~ Jour de Marché
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

En savoir plus sur les lieux, sur les mots les événements :
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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 30/05/2024

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