Pour moi à cette heure-là, le spectacle se déroulait dans la rue. Vu de la fenêtre de la chambre de nos parents. Comme chaque soir, le troupeau de la mère Létyi rentrait des pâturages. Sans se préoccuper des automobiles ou camions, la dizaine de vaches se pavanaient sur la chaussée en poussant des « meuh » de satisfaction. L’étable était presque en face de chez nous. Le troupeau s’engouffrait par la porte cochère et rejoignait l’étable juste derrière la maison. Notre maman disait que le terrain appartenait autrefois à la tante Agathe.
Une demi-heure plus tard, les vaches étaient traites, notre maman nous emmenait. La mère Létyi vendait son lait dans ce qui aurait pu servir de garage pour, au moins, trois automobiles. Un grand comptoir courait le long du mur. Souvent, le père Létyi était présent. Et ce jour là, Fanny venait chercher son lait.
- C’est pas bon ce que fait monsieur Milou (désapprouva le père Létyi).
- Pourquoi ? (grogna notre maman).
- Mièsse est la seule grosse entreprise de la ville. Y’a plus de saline, plus de soudière, plus d’usine à gaz, plus rien à part Mièsse…
C’est que le frère du père Létyi, lui aussi agriculteur, était notre Maire. La discussion en resta là, bien que Fanny se range plus ou moins du côté du père Létyi. Lorsque notre papa rentra, nous avions fini de manger. S’ensuivit une discussion entre nos parents :
- Alors, ça a donné quoi ?
- La moitié des gars sont pas allés travailler. Demain, ça sera mieux. Le Mièsse, i va cracher au bassinet, crois-moi ! On est bien décidé à aller jusqu’au bout.
Notre maman raconta son altercation avec sa mère, les réflexions du père Létyi, les désapprobations de Fanny…
- Ils sont pas à not’ place ! Nous on continue.