La maison de sa mère, celle du nônon Auguste, etc., étaient occupées par des étrangers venus d’Allemagne. Beaucoup avaient quitté leur lointaine Silésie. Par contre, le logement de sa sœur, autrement dit notre mémère (à la Sous-préfecture), était occupé par un vieux couple, les Fahrrad. Avant la guerre, ils vendaient des vélos. Ils vivaient dans les meubles de nos grands-parents, dormaient dans leur lit, mangeaient dans leurs assiettes. Bon, ces braves gens n’étaient pas mauvais pour un sou. Ils voulaient seulement rester dans la ville où ils étaient nés, dans la ville où ils avaient toujours vécu quitte à reprendre la nationalité allemande.
Pour la petite histoire, les Fahrrad avaient un gros, mais très gros chat. Gentil comme tout, il se laissait câliner et appréciait les caresses. Il s’agit de ce fameux chat que des Américains baptiseraient Big Cat. Lors du passage de notre grande tante, le gros chat n’avait pas encore été abandonné lorsque ses maîtres seraient déplacés à une vingtaine de kilomètres au Nord, lors de l’avancée des Alliés, ni subit la déferlante démoniaque des Nazis qui saccageraient tout ce qu’ils pourraient avant de fuir devant les Américains.
N’ayant pas d’enfant en bas-âge, ni de petits-enfants, les Fahrrad avaient, pourtant, pris soin du baigneur Jean. Ils le confièrent à notre grande tante. Ainsi, à son retour d’exil en 1945, notre maman retrouva son baigneur Jean. Elle versa une larme en souvenir des jours anciens. Mais, penses-voir, à vingt ans, on n’a plus l’âge, ni l’envie de jouer à la poupée. Et, pourtant, elle conserva précieusement le baigneur Jean. Quelques années plus tard, elle le transmit à ma sœur.
J’arrive pas ! La Mikète m’arracha presque des mains baigneur et gilet. « T’es nul ! » grogna-t-elle en enfilant aussi sec le gilet au baigneur.