Au feu

Sorti du feu (suite) - (Le Sotré)

 
 
 

Du côté de la rue, la chambre de nos parents et sa jolie cheminée ; à côté, notre chambre. Le logement était plutôt étroit, surtout notre chambre. Lorsqu’on ouvrait la porte, à gauche, proche de la fenêtre, on trouvait le lit de ma sœur ; à droite, la porte cognait mon lit. Notre maman avait récupéré ces lits chez les « réfugiés ». Entre les deux, une fissure ouvrait le sol. Elle tombait sur le couloir de l’entrée. Une fissure suffisamment large pour que le froid s’y engouffre et traverse le parquet. La tante Agathe projetait de faire les réparations, mais elle attendait les dommages de guerre.
Et la cuisinière s’éreintait sans parvenir à de véritables succès… Nos dents en toquaient tellement nous avions froid. Notre papa dit que cela ne pouvait plus durer. Il allait employer les grands moyens :
- On va mettre les Mioches dans notre chambre. Ils auront plus chaud.
Notre maman approuva. Puis, notre papa descendit au hallier chercher du bois et chargea à mort la petite cheminée de leur chambre. C’était la première fois qu’il l’allumait. Pour nous, ce fut une nouvelle féérie. Bientôt, un feu d’enfer s’enthousiasma. Ah ! Que c’était doux de voir ces flammes danser. Quelle chaleur agréable. Le Fofo s’allongea presque sur nos pieds afin d’être au premier rang. Jusqu’au moment où un voisin vint beugler sous nos fenêtres. Les flammes étaient si grandes qu’elles couronnaient la cheminée. Branle-bas de combat. L’agitation réveilla le Fofo. Notre papa trempa des torchons dans l’eau, grimpa sur le toit. Pour nous, la sirène hurla. On imaginait les pompiers se précipitant de tous les coins de la ville vers la grande salle où étaient rangés les camions rouges. Ils enfilaient leur tenue. Nous, nous trouvions le temps long. Nous étions prêt à évacuer la maison au cas où… Et la tante Agathe, elle était prévenue ? Oui, un voisin la rassurait. D’ailleurs, la plupart des voisins étaient réunis devant chez nous. Même ceux d’en face avaient traversé la rue. Maintenant, le spectacle était pour eux.
Un lugubre miaou attira mes oreilles. Des éclairs verts captivèrent mon regard. Parmi l’attroupement, le Chanoire était assis sur son arrière-train. Je me gardais bien d’en parler à notre maman. Elle aurait encore nié sa présence comme l’autre jour. Ma sœur et le Fofo acquiescèrent. Les spectateurs commentaient, conseillaient. Fanny et son mari Fanfan n’étaient pas les derniers. Des voisins venus de loin accouraient. Ainsi, on aperçut le Mimil’, le copain d’enfance de notre maman. La Mélie et son homme Igor avaient fait le déplacement. Même le nônon Popaul s’était radiné dès qu’il avait su que notre maison était en danger. Tiens, voilà notre pépère.
Au bout de dix minutes, notre papa cria que tout allait bien. La torchère était étouffée. Ouf !

 

Les deux camions rouges arrivèrent à ce moment. L’un était une grosse citerne, l’autre tirait la grande échelle. Une grande échelle en bois avec deux roues cerclées de fer bien plus hautes qu’un adulte. Les pompiers achevèrent le travail de notre papa. En fait, ils ne firent que vérifier que tout était éteint. Nul besoin de dérouler leurs gros tuyaux.
- Vous êtes sûrs qu’on risque rien ? Pass’que avec les enfants…
Le capitaine des pompiers, la rassura :
- Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Mais, à l’avenir évitez de faire un si grand feu et faites ramoner la cheminée.
- C’est le Sotré qu’a mis le feu ! (clama ma sœur) Voulait faire du mal à not’ Fofo.
Le Fofo jappa sinistrement en signe d’approbation. Le capitaine secoua négativement la tête.
- Oh, celle-là avec ses histoires de Sotré (grogna notre maman).
- Le Sotré a mis le feu ! J’savais qu’allait avoir un malheur (Le capitaine avait un avis différent : c’était le Graouly qui était venu souffler le feu) N’importe quoi ! (rétorqua ma sœur) Le Graouly, il est à Mès’, pas chez nous !
- Moôn ! Parfois, il vient jusque chez nous. Moi, j’le sais, j’suis pompier. Je peux t’dire que le Graouly nous donne bien du mal.
Franchement, les grandes personnes ne racontaient que des sornettes ! Surtout que nous étions sûrs de notre fait, le Sotré déguisé en Bianche-tète nous l’avait dit : « Le Graouly préfère rester à Mès’ ».
- Et le père Choumake, c’est l’Sotré qu’a mis le feu chez lui !
- Le père Choumake… Le père Choumake… Y’a pas eu l’feu chez lui.
- Si ! (tonna ma sœur) L’Sotré a mis le feu pass’que le père Choumake réparait les chaussures.
Le capitaine des pompiers la regardait comme si elle venait de tomber du ciel. Notre maman se lança dans de grandes explications comme quoi monsieur Choumake nous avait raconté que l’incendie de son atelier de cordonnier avait été provoqué par le Sotré pour le punir. Le capitaine des pompiers hocha la tête, l’événement lui revenant en mémoire :
- Ah oui, t’as raison. C’est le Sotré, y’a pas doute. Qu’est-ce t’as fait pour mettre l’Sotré en colère ?
- Bâ, rien (Pour mieux l’affirmer, ma sœur leva les bras et les rabaissa brusquement en faisant claquer ses cuisses) C’est la môman, qu’a cassé les toiles des araignées.

 

Notre papa avait sorti la bouteille de vin, mais le capitaine et ses pompiers déclinèrent l’invitation. Dehors, les spectateurs s’étaient dispersés. Notre pépère monta pour se rassurer complètement. Il s’en retourna presque immédiatement : « Je préfère redescendre, parce qu’avec ta mère… ». Par contre le nônon Popaul, le Mimil’, Igor et la Mélie ne se firent pas prier pour noyer la cheminée en levant le coude. Et les adultes partirent dans de longues explications et une discussion d’autant plus animée que les verres de vin tombaient. Inutile de leur parler du Sotré dans l’état d’euphorie où ils avançaient. De toute façon, les grandes personnes niaient le Sotré et ses méfaits et la plupart se moquaient ouvertement de nous. Que chacun pense ce qu’il veut, après tout.
Avec les fenêtres au large ouverte pour évacuer la fumée, les adultes étaient loin de ressentir ce froid de canard qui s’était emparé de notre logement.

 

Deux jours plus tard, le Claudi venait nous ravitailler. Après les embrassades rituelles :
- Alors, plus d’feu de ch’minée ? J’ai appris ça hier matin.
- Tu parles ! Qu’est-ce j’ai eu peur, surtout avec les Mioches. Le Milou a grimpé vite fait sur le toit, crois-moi.
- C’est le Sotré qu’a mis l’feu (dit ma sœur sur un ton solennel) La môman a cassé toutes les toiles d’araignées.
- Oda ! (s’exclama le Claudi) Pourquoi t’as fait ça ? (Et notre maman et le Claudi s’esclaffèrent) Et maintenant, il s’est caché dans ta cave (rigola de plus belle le Claudi).
Il ne fallait surtout pas dire cela à ma sœur. Aussitôt, elle décida d’accompagner le Claudi lorsqu’il déchargerait le charbon.
Ma sœur remonta bredouille. Comme si le Sotré allait l’attendre dans la cave, elle rêvait. D’après ses dires, notre cave faisait encore plus peur que celle de la mère Kélère. J’avais rudement bien fait de rester sur le trottoir malgré ce froid de canard.
Lorsqu’il remonta chez nous, le Claudi dit :
- T’sauras Oda, j’ai rechargé le fourneau d’la tante Agathe.
- Oh, la vache ! J’avais encore oublié (cria presque notre maman) T’vois comme je suis, j’ai pas de tête. Les soirs, c’est le Milou qui s’en charge. Il remonte le charbon de la cave.
- Merci. Heureusement que ta tête est solidement accroché, sinon y’a longtemps que tu l’aurais perdu (rigola le Claudi en sirotant le café que notre maman venait de lui servir). J’t’ai mis cinq sacs de houille et deux de briquettes. Comme j’avais dit au Milou, j’ai rajouté deux de boulets.
- Ton patron va rien dire ?
- Penses-tu, i verra qu’du feu (rigola-t-il).
- Hé Claudi ! (coupa ma sœur) T’sais le capitaine des pompiers, i croyait qu’c’était le Graouly. I s’est gouré, nème Claudi ?
Le Claudi pinça ses lèvres et afficha une bouille que je ne saurai décrire. Ça lui donnait une figure mi-sérieuse, mi-moqueuse. Il finit par approuver :
- Alors là, Mikète, j’te donne raison. C’est l’Sotré qu’a mis le feu l’autr’ jour.
Ma sœur en fut fort aise, elle poursuivit :
- Môman ! T’sais qui c’est le Peût’ôme ?
- Et qui c’est donc’ ? Dis voir…
- C’est l’Claudi (s’esclaffa-t-elle) L’aut’ fois i voulait nous mettre dans un sac.
Le Claudi raconta la fin de la visite de la cave de la mère Kélère en précisant bien que cette idée de nous mettre dans un sac ne venait pas de lui, mais du Fanfan et de la Mélie.
- Faut j’aille. M’reste Amelécourt, Puttigny, Hampont… C’est qu’la journée est point finie. T’inquiètes la Mikète, si j’vois l’Sotré là-haut, j’le remets dans l’feu !

 

La période de grands froids dura une dizaine de jour. Elle se termina par une inoubliable tempête de neige. Poussés par un vent du Diable, des flocons gros comme ça s’agglutinaient à en recouvrir tout. Voilà qu’en début mars, le Sotré s’ingéniait à recouvrir notre région d’un superbe manteau blanc. Le lendemain matin, il y en avait une bonne couche. Au moins vingt centimètres ! Notre maman nous avait dit il y a quelque temps : « La Noël sans neige, c’est pas la Noël ! ». Eh bien ! Maintenant, elle était comblée. Bon, c’est vrai, la Noël était loin derrière nous. Les enfants s’en donnèrent à cœur joie. Notre ville se transforma en champ de bataille… de boules de neige et en piste de glisse pour les traîneaux. Par contre, les vieux… Ah ! Les vieux, tu les connais, faut toujours qu’ils ronchonnent. Sans parler des automobilistes et des camionneurs qui patinaient, glissaient, beûgnaient leur belle carrosserie.
Les routes étaient coupées. Le marché fut annulé faute de marchands. Même la Micheline refusa de partir… Oh ! Ça ne dura guère longtemps. Dès le lendemain, les routes furent dégagées et la Micheline reprit son trajet quotidien. Mais la neige se maintint dans notre paysage une bonne semaine. Et le vent du Sud mangea la neige. Et la neige fondit. Tout revint à la normale ou presque…

 

Le 28 août 2018

 

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(C’est la fête)

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La suite

La Voix de son Maître

(C’est la fête)

 

La Gazette des Fiaweslundi 1er février 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur presque 5 ans, j'ai plus de 2 ans, le Fofo 11 ans, la tante Agathe 86 ans, notre maman 27 ans 1/2, notre papa 27 ans 1/2, le Fanfan 43 ans et Fanny 41 ans, le Claudi 23 ans, la Mélie 71 ans et Igor 64 ans
le Sotré, le Mimil' 28 ans, le nonôn Popaul 38 ans

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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