Ouârés d’poissons

C’est l’été (C’est la fête)

 
 
 

Ça bouillonnait ce dimanche, notre papa avait sorti sa grosse caisse en bois. C’était lui-même qui l’avait fabriquée et peint en vert bouteille. Il avait fixé une sangle pour la porter en bandoulière. Une bonne couche de paille coincée par un sac en toile agrafé sur le bois. Le couvercle attendait les fesses. J’y posais les miennes. Avec beaucoup de mal, je dois le reconnaître, vu que la caisse m’arrivait au-dessus de la taille.
« Vire ton frountze ! » Notre papa leva le couvercle et vérifia chaque compartiment. Toutes les lignes enroulées sur leurs supports en matière plastique ou en bois étaient en place. La boîte à plomb de différents calibres aussi. Les bouchons, des gros aussi joufflus et bicolores que des gros radis, des longs et effilés. A chaque sorte de poissons correspondait, non seulement bouchon, plomb et ligne, mais également un hameçon.
Notre papa ouvrit l’une des boîtes en fer au couvercle percé de trous :
- Ça fiâre ! (s’exclama ma sœur).
- Tu veux du Munstère ?
- Beurk ! (grimaça-t-elle en voyant les asticots qui, eux, se régalaient).
Dans l’autre boîte, des vers se tortillaient au milieu du marc de café. Aussi répugnant !
- Ouâré de papâ !
- Hé ! Hé ! (fit-il pour me rappeler que je lui devais le respect).
Notre maman lui apporta son casse-croûte et un litre de vin. Le couvercle de la caisse fut refermé, la sangle saisit, et hop ! sur l’épaule. Les gaules attachées ensembles, la sangle saisit, et hop ! sur l’autre épaule. Notre papa s’élança.

 

Sans doute que la grand-messe dédiée au Dieu de la Pêche, pardon au Saint Pierre. Enfin je crois que c’est ce type-là le Patron des Pêcheurs… Bref, la grand-messe était terminée ou n’en était pas loin. Nous étions depuis longtemps par la fenêtre :
- Quand qu’ils viennent ? (râla ma sœur).
- Tu les entendras, vâ.
Notre papa avait dû retrouver le nonôn Popaul, notre pépère, ses copains. Sur le parvis de l’église, les discussions allaient bon train. Le costume était relax, mais l’œil sérieux. On se congratulait. On échangeait les nouvelles. On prédisait une pêche miraculeuse. Ça, notre papa ne devait pas être en reste. Le roulement des tambours arrêta les bavardages. Clairons et trompettes aiguisèrent l’intérêt.
La musique montait la rue. « Les v’là ! Les v’là ! » cria ma sœur. Notre maman nous rejoignit en vitesse. Le fils Heûle menait l’harmonie municipale à la baguette. Qu’ils étaient beaux nos musiciens dans leur uniforme bleu. Oh ! Certains n’étaient pas vraiment en cadence. Suivait, entre deux rangs de pompiers, un groupe disparate. La forêt de casquettes, de chapeaux de paille et autres couvre-chefs, ondulait. Les gaules dressées étaient les seules armes de cette troupe pleine d’espoir. « V’là mon papâ ! V’là mon papâ ! » criait ma sœur. Nous n’étions pas peu fiers de voir notre père défiler. Il nous adressa un signe de la main. Le nonôn Popaul, le Mimil’, notre pépère, Igor, Tonio l’imitèrent.

 

Nous avions fini de manger depuis un moment et notre maman restait là, à rêvasser. Ma sœur la secoua :
- Bon, on y va !
- J’vâs d’abord faire ma vaisselle. Tu veux m’aider ?
- J’veux voir mon papâ !
- Allez, viens m’aider.
- De la queutze !
- Mikète, t’vâs en prendre une.
Ce qui provoqua les cris de ma sœur. Elle se roula par terre. Ah ! La ouârée elle était en colère. J’en profitais pour joindre mes cris. « Vous allez voir le Peût’ôme, il va vous emmener ». Le Peût’ôme, pfuitt ! Le Peût’ôme ne nous avait jamais fait peur. En fin de compte, la vaisselle fut remise à plus tard. Le Fofo serait de la partie et, rares fois, il ne tiendrait pas compagnie à la tante Agathe.

 

Nous n’étions pas les seuls à remonter la rue, puis la route de Nancy. Sur le chemin qui descend vers notre Petite-Seille, nous marchâmes en compagnie de la famille Pieuton. En amont du Déversoir du Seraincourt, il y avait foule. Notre maman rencontra sa copine Mimie :
- Alors les Mioches, vous avez perdu vos gaules ?
- C’est mon papâ qui les a (rétorqua ma sœur).
Et notre maman et la Mimie discutèrent de choses et d’autres.
- Je fais un tour et je reviens. On se retrouve chez les hommes ?
- Ousqu’y sont ?
- Là-bas Oda, à l’ombre du grand peuplier.
Des grands peupliers, il y en avait tout le long de la berge. Les pêcheurs étaient forcément par-là. Enfin, apparemment, cela suffisait à notre maman puisqu’elle reprit sa marche sans en demander plus. Et nous avec, forcément. Le camion du Jean avait apporté de quoi se désaltérer :
- Un Sic môman (réclamai-je).
- Plus tard quand on aura retrouvé votre père.
Derrière sa table officielle, le jury veillait au respect du règlement. Chaque emplacement était rigoureusement numéroté. Aucun pêcheur n’empiétait sur celui de son voisin. Nos cousins et leurs copains traînaient par là.
- Votre môman est arrivée ?
- Elle passait chez la mémère avec nos frangines (répondit le Dédé) Elles viendront après les chaleurs.
Et ils repartirent en s’amusant.

 

Dès notre arrivée, notre papa tira sur la corde qui s’enfonçait dans l’eau. Je sursautais et me reculais prestement lorsque les deux goujons gigotèrent dans le filet métallique. Le Fofo jappa en espérant effrayer les bestioles. Pour ne pas être en reste, les voisins de notre papa montrèrent leurs prises. Notre pépère affirma :
- Le vent n’est pas bon.
Chaque emplacement avait été tiré au sort. Et pourtant notre papa, le pépère, le nonôn Popaul, le Mimil’, Tonio et Igor étaient dans le même secteur. Auraient-ils eu beaucoup de chance pour se retrouver ensembles ? Penses-tu, ils avaient échangé leur place. D’ailleurs tout le monde faisait ça. Au point que l’on disait : J’me demande à quoi ça sert de faire encore un tirage.
- Crève de chaud, vinrats d'vinrats, Igor t’reste pas d’la bière au frais ?
- Y’en a p’us.
- Vinrats ! T’as d’jà tout bu, manre ivrogne.
- Oh Mélie, ça fais trois heures qu’on est là. Va en chercher chez le Jean. Y’en a dans la glace.
La Mimie était de retour. Flanquée de la Domi et du Félix, leurs bras étaient chargés de canettes.
- T’en as pris pour moi ?
- Juste pour mes hommes (rigola la Mimie).
- Vinrats, t’aurais pu penser que j’avais soif, moi !
- Mais si madame Mélie. On en a pris pluss’. Et même des Sic pour les Mioches.
Sans attendre, la Mélie s’empara d’une bière, la décapsula et avala une longue gorgée. Un rot affirma son plaisir. Nous traînions sur la berge sans trop savoir quoi faire. Le Fofo, lui, préférait ronfler à l’ombre, malgré le brouhaha des bavardages. Ma sœur interpella le Félix :
- Tu pêches pas ?
- Vaut mieux pas…
Le Félix raconta lorsqu’il était jeune, juste avant la guerre, il avait emprunté l’attirail de son père.
- T’as attrapé les arbres ! bâ, alôre ! (s’exclama ma sœur à la suite de son récit).
- Le Félix a des problèmes de gaule (rigola notre papa en faisant allusion à une discussion sur un autre sujet).
- Dis-donc’ le Milou ! Moi, j’essaie pas d’attraper les poissons en plongeant dans le canal. Tu t’rappelles ?
Cette histoire s’était passée lorsque ma sœur était toute petite. Tandis que nos grands-parents la gardaient, notre maman et notre papa, la Mimie et le Mimil’, la Domi et le Félix avaient passé toute la nuit au bal de la St-Jean. Et voilà que sur le coup de cinq heures du matin, les hommes décidèrent de prolonger la fête en allant à la pêche. Même s’il ne s’adonnait pas à ce sport, le Félix ne rechignait pas à prendre quelques bières sur la berge. Ils s’étaient largement approvisionnés à la buvette du bal et en route pour le canal du moulin. Sans doute plus fatigué que ses copains, notre papa s’était endormi et avait piqué du nez dans la rivière.

 

Et arriva la mémère, la tante Luluce, la tatâ Nénète, la Sassa et la Lyne. Cela commençait à faire beaucoup de monde… En temps normal, les pêcheurs réclamaient le silence. Ils l’obtenaient même. Notre papa nous envoyait jouer à l’écart. Mais, aujourd’hui était jour spécial. Les allés et venus des badauds étaient continuels. De quoi contrarier notre pépère :
- C’est pas bon pour les poissons.
- Vous avez toujours une excuse, Monsieur Henri (ironisa Igor).
- Y’en v’là un ! Y’en v’là un ! (cria notre papa).
Tous les regards convergèrent sur lui. Nous nous approchâmes. Ma sœur et moi écarquillâmes tout grand les yeux. Le Fofo dressa les oreilles, il faillit presque se lever. Notre maman retenait son souffle. D’un bon coup de coude, notre papa leva sa gaule.
- Vite la trayate, Milou ! (se boyauta Tonio).
- Sâpré Ouâré (rigola le Mimil’).
- Ouâré de toré (renchérit le nonôn Popaul).
- Tu veux un coup de main (gloussa Igor).
- C’est l’Sotré qu’a fait ça ! (railla ma sœur).
- Vite Guézète ! (cria le nonôn Popaul).
A l’affût de la bonne photo, le Guézète traînait par là. Au bout de la ligne frétillait une toute petite épinoche. Notre papa et sa belle prise furent avalés par l’objectif. Si notre père n’eut pas le premier prix, il attrapa encore un gardon. Et le soir, tout le monde était content même si la pêche n’avait pas réalisé leurs espoirs. Ah ! Les Ouârés de poissons.

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Maudit sac

(Le Peût’ôme)

Un bien étrange bonhomme...

 

Le Sotré
C’est la fête :
Purification
La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été
La Saint-Jean
Ouâré d’ poissons

La Gazette des Fiawesjuillet 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 5 ans, j'ai 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, notre maman 28 ans, notre papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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