Dès notre arrivée, notre papa tira sur la corde qui s’enfonçait dans l’eau. Je sursautais et me reculais prestement lorsque les deux goujons gigotèrent dans le filet métallique. Le Fofo jappa en espérant effrayer les bestioles. Pour ne pas être en reste, les voisins de notre papa montrèrent leurs prises. Notre pépère affirma : « Le vent n’est pas bon ». Chaque emplacement avait été tiré au sort. Et pourtant notre papa, le pépère, le nonôn Popaul, le Mimil’, Tonio et Igor étaient dans le même secteur. Auraient-ils eu beaucoup de chance pour se retrouver ensembles ? Penses-tu, ils avaient échangé leur place. D’ailleurs tout le monde faisait ça. Au point que l’on disait : J’me demande à quoi ça sert de faire encore un tirage.
- Crève de chaud, vinrats d'vinrats, Igor t’reste pas d’la bière au frais ?
- Y’en a p’us.
- Vinrats ! T’as d’jà tout bu, manre ivrogne.
- Oh Mélie, ça fais trois heures qu’on est là. Va en chercher chez le Jean. Y’en a dans la glace.
La Mimie était de retour. Flanquée de la Domi et du Félix, leurs bras étaient chargés de canettes.
- T’en as pris pour moi ?
- Juste pour mes hommes (rigola la Mimie).
- Vinrats, t’aurais pu penser que j’avais soif, moi !
- Mais si madame Mélie. On en a pris pluss’. Et même des Sic pour les Mioches.
Sans attendre, la Mélie s’empara d’une bière, la décapsula et avala une longue gorgée. Un rot affirma son plaisir. Nous traînions sur la berge sans trop savoir quoi faire. Le Fofo, lui, préférait ronfler à l’ombre, malgré le brouhaha des bavardages. Ma sœur interpella le Félix :
- Tu pêches pas ?
- Vaut mieux pas…
Le Félix raconta lorsqu’il était jeune, juste avant la guerre, il avait emprunté l’attirail de son père.
- T’as attrapé les arbres ! bâ, alôre ! (s’exclama ma sœur à la suite de son récit).
- Le Félix a des problèmes de gaule (rigola notre papa en faisant allusion à une discussion sur un autre sujet).
- Dis-donc’ le Milou ! Moi, j’essaie pas d’attraper les poissons en plongeant dans le canal. Tu t’rappelles ?
Cette histoire s’était passée lorsque ma sœur était toute petite. Tandis que nos grands-parents la gardaient, notre maman et notre papa, la Mimie et le Mimil’, la Domi et le Félix avaient passé toute la nuit au bal de la St-Jean. Et voilà que sur le coup de cinq heures du matin, les hommes décidèrent de prolonger la fête en allant à la pêche. Même s’il ne s’adonnait pas à ce sport, le Félix ne rechignait pas à prendre quelques bières sur la berge. Ils s’étaient largement approvisionnés à la buvette du bal et en route pour le canal du moulin. Sans doute plus fatigué que ses copains, notre papa s’était endormi et avait piqué du nez dans la rivière.