Le Couârail

L’apéro (C’est la fête)

 
 
 

Nous étions à la fenêtre, ouverte parce qu’il ne faisait pas froid avait décidé la tante. J’étais grimpé sur une chaise et avais posé mes fesses sur l’appui de la fenêtre.
- Tombe pas, pasque je sais pas si j’arriverai à t’ramasser.
Dès que la tante avait repris possession de sa chaise, le Fofo s’était hissé sur ses genoux. Heureusement que les vieilles robes étaient épaisses. Sinon, le Fofo lui arrachait la peau.
- Ah ! Mon pauv’ Fofo, tu d’viens aussi mal en point qu’moi (rigola la tante).
Le Fofo ne tint aucun compte de la réflexion. Il se cala sur les cuisses et s’endormit. Presque en face, la maison avait été refaite à neuf dans le style que notre papa appelait « Bureau ». J’avais beau fixer la maison…
- T’inquiètes, t’le verras bientôt. Le père Galate m’a dit qu’ils devaient poser des clenches sur les fenêtres et les raboter.
- C’est quoi les raboter ?
- Pour que les fenêtres ouvrent et ferment sans coincer. Tu sais, j’suis pas menuisier, moi. Tiens, les v’là ! (fit la tante).
Un bref salut et ils s’affairèrent à l’une des fenêtres. Et bientôt, ils s’en prirent à la seconde.

 

- R’garde voir tante Agathe. Sur ma jambe.
- Quand même ! T’as plus peur des araignées. C’est bien.
- La môman, elle crie quand elle voit une araignée. Elle prend quelque chose et paf ! Elle les tue. Faut pas tuer les araignées, nème tante Agathe ? Elles nous protègent du Sotré. Pasque le Sotré, il est méchant. Il a fait du mal à notre Fofo et il a mis le feu chez nous.
Je ne sus jamais si la tante m’approuvait ou pas, car notre papa, le père Galate et Igor traversaient la rue. Les pattes arrière sur les genoux de la tante, celles de devant sur l’appui de la fenêtre, le museau en avant, le Fofo couinait de joie.
Le père Galate était menuisier comme notre papa. Lui était artisan et c’est dans son atelier que notre papa avait fabriqué son meuble-bar pour la radio. A cette occasion, lui aussi menuisier, Igor l’avait aidé. Notre papa était un aventurier de la menuiserie. Par là, je veux dire qu’il changeait très souvent de patron. Un mois chez l’un, une semaine chez l’autre, six mois ailleurs, notre maman disait qu’il avait écrémé les menuiseries de Nancy. Igor, lui, était stable. Bien avant la guerre, il travaillait déjà pour le Mièsse. Lui aussi allait chaque jour à Nancy, mais il faisait le voyage avec le camion de l’entreprise. Le fameux camion conduit par le Mimil’. Igor comme notre papa aidaient couramment le père Galate pour finir ses chantiers.

 

Ce qui frappait chez Igor, c’était sa figure allongée et d’une pâleur qui faisait penser à de la porcelaine. C’était un Russe qui avait été fait prisonnier en 1916. Les Allemands l’avaient ramené chez nous, lui et plein d’autres soldats russes. Lorsque la guerre termina et que les Russes furent rapatriés chez eux, Igor qui ne voulait pas devenir Communiste était resté. Notre papa aimait bien discuter avec lui et pas seulement de menuiserie.
Igor était le plus grand des trois. Il les dominait bien d’une tête. La caisse à outils martyrisait son flanc.
- C’est le plus âgé qui porte le plus lourd ! (plaisanta la tante).
- T’sais papa, j’âs vu les Noires. Elles sont belles. Grosses.
- T’as vu les Noires ? Bâ, alôres…
- Ouais ! Pis, elles sont parties dans les Vosges.
- Elles ont pas amené de bébé ?
- Si père Galate. Elles ont amené un bébé au Chan.
- J’me disais. Chaque fois qu’elles viennent, elles amènent un bébé.
- Ah oui, Monsieur Goupil, il a dit que les Noires venaient d’Afrique. Que c’est là qu’on est né. Il a dit comme ça : c’est le berceau de l’Huma… j’sais p’us quoi.
- Alors (demanda la tante) la maison Létyi est fin prête ?

 

Chacun y alla de son couplet sur les belles choses qu’il venait de réaliser. Des portes qui raclaient sur le sol, rabotées. Des fenêtres qui coinçaient, ajustées. Des crémones qui résistaient, graissées. Des paumelles réglées… Je ne saurais dire si la tante comprit grand-chose à toutes leurs explications, en ce qui me concerne, j’avais débrayé depuis longtemps.
Tous trois avaient revêtu la tenue du bleu de travail. Notre papa et Igor portaient la veste mi-longue et le pantalon. La veste de notre papa n’était pas boutonnée, si bien que l’on voyait le beau pull que notre maman lui avait acheté au marché jeudi dernier. Quand au père Galate, il portait une cotte fermée par une fermeture éclair qu’il tripotait à intervalles réguliers. Une casquette bleu foncé à courte visière coiffait sa tête. Elle était bien semblable à celle des mariniers.
Igor se gratta le crâne comme s’il voulait en faire jaillir une idée :
- Ils vont quand même pas mettre leurs vaches dans le garage !
- Il y a le vieux hangar derrière.
Le père Galate souleva sa casquette en découvrant son front dégarni. Il passa la main sur sa chevelure grise puis replaça sa casquette :
- Nom de Dieu ! (s’écria-t-il. Une courte pause) C’est vrai, c’était chez vous avant, Demoiselle Agathe.
- A un de mes frères. Il est mort juste avant la guerre. Comme sa femme.
La vente de la maison et des terrains à l’arrière avait rapporté un bon pactole. C’est ce qu’elle avait dit un jour à notre maman.
- Dans le garage, on a posé un long comptoir, contre le mur. A quoi ça va servir ? J’en sais rien…
- Pour vendre son lait, Milou.

 

Un joyeux « bonjour » parvint du trottoir vis-à-vis. Tout le monde répondit à la Catinète. Le père Galate pinça la bouche et dessina avec ses mains des formes invisibles :
- La Catinète, elle en a plus pour longtemps à être en friches.
- Taisez-vous donc’, bougre de barbouillâd ! (protesta la tante Agathe).
- Quoi ? Le Tonio, c’est un chaud lapin. Elle est mettable. Hein, Milou ?
- Galate. Espèce de dévergondé, z’avez pas honte !
- Oh… Demoiselle Agathe faut bien plaisanter (la tante accentua sa moue de désapprobation) Et puis, vous savez Demoiselle Agathe, c’est pas ceux qui parlent le pluss’ qui en font le pluss’.
- Avec vous, sais pas !
- La saison est passée pour moi (rigola le père Galate. Notre papa sortit son paquet de Gitanes et en offrit à la cantonade) Nom de Dieu ! Ça m’changera des maïs.
- Et moi d’la pipe (approuva Igor).
- Oh ! Milou, savez bien que j’fume pas.
- C’était pour vous taquiner tante Agathe. Hé ! (fit-il en me tapant sur la main).
- Nom de Dieu ! Le ouâré veut jouer aux grands.
- C’est le mois prochain, le mariage (dit Igor en désignant la Catinète qui entrait chez elle).
- Y’a longtemps qu’j’ai pas vu Tonio (répondit notre papa).
- Vont faire un vin d’honneur qu’m’a dit. Tonio doit passer avec la Catinète un de ces quatre pour t’inviter.
- V’là la môman ! (criai-je) V’là la môman !
Le Fofo se dressa d’un coup.

 

Notre maman remontait la rue accompagnée par sa copine d’enfance, la Mimie. Leurs bras étaient étirés par les lourds cabas.
- L’travail a pas dû beaucoup avancer si vous avez couârayé toute la matinée (railla notre maman).
- Et après ça, ils vont critiquer les femmes qui jacassent tout le temps (en rajouta la Mimie).
Embrassade avec notre papa, serrage de main avec le père Galate, Igor et la tante, la Mimie me tapota la tête en rigolant :
- Alors, le ouâré, t’embêtes p’us la mère Kélère ?
- Il a pas pus, j’l’avais ligoté sur sa chaise (ria la tante).
Le Fofo couinait en remuant la queue, la Mimie ne put résister : elle le caressa.
- J’les vois sauter sur la cave. Ça m’fait bien rire. Surtout vot’ chien. Et l’histoire avec le Fanfan. J’en pouvais p’us tellement j’riais (Le père Galate mima le Fanfan aux prises avec notre Fofo) Et la mère Kélère qui voulait lui coller un coup d’balai.
- Oh ! Monsieur Galate (s’offusqua la Mimie) faut pas laisser les Mioches faire ça.
- Faut les disputer ! (renchérit notre maman).
- Je chmèke pas la mère Kélère. J’les applaudis, oui ! Nom de Dieu ! C’est pas au Sotré qu’i faut tordre le cou, c’est à la mère Kélère.
- Vous dîtes ça pass’que c’est la copine de vot’ dame (grogna la tante Agathe).
- Copine ! Copine ! Elles ont vint’ ans de différence, alors ! La mère Kélère passe son temps à me dénigrer. Enfin… Dans le temps…
- Y’avait de quoi (rétorqua simplement la tante Agathe).
Dès l’arrivée de notre maman et de sa copine, je m’étais mis debout sur la chaise.
- Assieds-toi ! T’vâs passer par l’aut’côté (me réprimanda notre maman).
- Je m’avais même assis là (répondis-je en montrant l’appui de la fenêtre) Et j’es pas tombé. Nème, tante Agathe ! (La tante confirma) T’sais Mimie, j’âs vu les Noires. Nème, c’est vrai môman (notre maman approuva) Même qu’ils ont apporté un bébé au Chan.
- T’en ont pas apporté un ? (rigola le père Galate).
- Bâ non, j’es trop piat.

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Langue de vipère

(L’apéro // C’est la fête)

Tenir couârail n'est pas seulement parler de choses et d'autres...

 

Le Sotré
Purification
La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître
L’apéro :
Les Noires
Le Couârail
Langue de vipère
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiawesdate gazette

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 4 ans, j'ai plus d'1 an, le Fofo 10 ans, notre maman 26 ans 1/2, notre papa 26 ans 1/2

En savoir plus sur les lieux, sur les mots, sur les événements :
Voir le Notre Petit Dictionnaire

Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 18/01/2024

Questions / Réponses

Aucune question. Soyez le premier à poser une question.
  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire