Langue de vipère

L’apéro (C’est la fête)

 
 
 

« Et le Mimil’, ça va ? », « Et la Mélie, son mal de dos… », etc. etc., les grandes personnes avaient de ces conversations, si peu intéressantes. Les femmes racontèrent leurs courses. La tante Agathe demanda des nouvelles de ses connaissances. Les hommes racontaient leur matinée de travail. Depuis leur arrivée, notre maman et la Mimie avaient posé leurs sacs sur le trottoir. Si bien qu’en gesticulant un peu trop vivement, Igor buta dans un sac.
- Nom de Dieu, Igor ! Te tiens plus debout (rigola le père Galate tout en le retenant).
- Vous auriez rentrés vos sacs ! (grogna notre papa tout en se retenant de rire).
Notre maman et la Mimie pouffèrent comme des folles. Oh ! Ne crois pas que je me moque de notre maman, je ne fais que répéter ce qu’elle disait « Quand on est ensemble avec la Mimie, on pouffe comme des folles ».
- Oda (réclama la tante) donnez voir mon cornet. Comme ils ont été sages, faut les récompenser ces piats-là (Les piats, c’étaient nous bien sûr, le Fofo et moi).
- Vos knacks, tante Agathe ?
- Bâ, non ! Les knacks, c’est pour moi midi. Les piats, c’est des bonbons qu’is veulent.
- C’était pour vous taquiner tante Agathe (la tante fit la moue en voyant le sachet plastique qui emballait les bonbons, notre maman s’excusa) J’les ai achetés aux Coop…
- Nom de Dieu ! Demoiselle Agathe, faut vivre avec son temps (rigola le père Galate).
Comme la tante n’arrivait pas à ouvrir ce vinrats de sachet, la Mimie s’en chargea. Dès l’ouverture, la tante récupéra son bien et distribua les bonbons. Ah, la tante nous gâtait. Et le Fofo n’était pas le dernier à se régaler même si, parfois lorsque le bonbon était trop mou, il avait bien du mal à mâcher. Le genre caramel ou carambar, si tu vois.

 

Tandis que moi et le Fofo savourions les friandises, les grandes personnes poursuivaient leur couârail. Elles en étaient à évoquer le temps ancien. Enfin, pas si ancien que ça puisque ça ne remontait qu’un peu avant la naissance de la Mikète.
- T’rappelle Mimie : Mon service n’est pas une pouponnière (fit notre maman en imitant l’accent hachpaille) Et ce salopard m’a foutu à la porte de l’Enregistrement.
- Il a pas changé. Toujours égal à lui-même. A te donner des ordres sèchement. A faire des réprimandes pour un oui, pour un non. Mais, j’suis titularisée. Il pourra pas me foute à la porte (fit-elle en se passant la main sur le ventre).
- T’es enceinte ? (s’écria notre papa).
Pour toute réponse, la Mimie pouffa tandis que notre maman pavoisait :
- Moi, j’savais.
- Pourquoi t’savais et pas moi ? Et le Mimil’ qu’m’a rien dit l’aut’ jour quand j’l’ai vu !
- On t’fais marcher, Milou (s’esclaffa la Mimie) On en est sûre que depuis avant-hier. Vous êtes les premiers à qui j’l’annonce, à part mes parents et mes beaux-parents, évidemment. Oh Oda ! J’imagine sa tête. Ça, j’vâs en entendre des litanies.
- Quand j’le vois en ville (fit notre maman) Je marche droit comme une pique et je fais semblant de pas le connaître. Il dit « bonjour » à chaque fois, je réponds jamais.
- Nom de Dieu, c’est bien un Alsacien ! (railla le père Galate).
- Simplement, un patron. Enfin, un chef (souffla notre papa).
- T’sais, à par de travail, on se cause jamais. On est notre petit groupe : la Domi et le Claude… T’sais Oda, le jeune de Pettoncourt.
- Ah, c’était le bon temps (fit notre maman).
Et elles pouffèrent comme des folles. La tante Agathe prit un air rêveur :
- Moi, j’aimais bien quand l’Enregistrement était au Tribunal. Au moins j’vous voyais passer, on discutait un peu… Ça faisait une distraction. Vous aviez tel’ment l’air d’être heureuses toutes les trois. Maintenant qu’vous êtes aux Cités allemandes…
- J’me souviens d’une fois (dit le père Galate) Il flottait comme vache qui pisse. Vous étiez serrées sous un tout petit parapluie. Vous étiez trempées et n’arrêtiez pas de rire (Les petits yeux bruns s’animèrent d’une lueur maligne) Nom de Dieu l’Oda ! T’as des yeux à faire sauter les boutons d’brayate.
Le père Galate pouffa, notre papa fit semblant d’être outré :
- Bâ, alôre, père Galate, tu reluques les jeunes femmes !
- Nème Igor, c’est pas pasqu’on est vieux qu’on regarde pas la jeunesse.
- Dis pas ça Galate, la Mélie me collerait un coup de bâton si elle t’entendait.
Et tout le monde s’esclaffa.

 

- Le Galate, c’est un vaurien ! (tonna la tante Agathe en secouant la tête pour donner plus de solennité à son propos).
Le père Galate trifouillait la fermeture éclair de sa cotte :
- Comment ça, Demoiselle Agathe ?
- Et le Sous-préfet, l’avez oublié ?
Le père Galate souleva sa casquette, poussa un « Oooh… ». Cette histoire remontait bien avant la guerre, notre maman et la Mimie étaient bien gamines, c’est pas peu dire. Le Sous-préfet de l’époque lui avait commandé un lit, « un bien beau lit » accentua le père Galate. De Metz, il avait fait venir sommier et matelas. « Est-il douillet et confortable ? » que lui demanda la femme du Sous-préfet :
- J’lui réponds comme ça : Si on l’essaie pas, on saura jamais (notre papa riait tant qu’il pouvait) T’aurais pas fait ça, Milou ? (Notre papa répondit par un « oui » noyé par le fou-rire. A cette époque, le père Galate avait dans la trentaine et la femme du Sous-préfet dans la cinquantaine) C’était une belle femme pour son âge. V’là qu’elle se déshabille, j’en fais autant…
- Et crac ! Tu t’es fait la Sous-préfète (rigola notre papa).
- Tous les deux à poils, prêts à se vautrer dans le lit… Nom de Dieu ! La porte s’ouvre d’un coup. Le Sous-préfet…
- Qu’est-ce a dit ?
- Il gueulait comme un putois… Moi, j’me suis rhabillé en vitesse et j’me suis carapater. T’vois la cour entre l’hôtel du Sous-préfet et la Sous-préfecture, nème Oda ? (notre maman approuva d’un hochement de tête) J’étais à peu près au milieu… Pan ! (cria-t-il en mimant comme s’il tirait au fusil).
- I t’a tiré d’ssus ?
- Non, non, Milou. Il a tiré en l’air. Heureusement pour moi ! Mais, c’t’histoire a fait scandale. Le Sous-préfet a dit que j’avais volé l’argenterie. J’ai même eu les gendarmes chez moi. Comme is z’ont rien trouvé et qu’is connaissaient ma réputation, is z’ont comprit de quoi il en retournait. Même pas trois mois plus tard, le Sous-préfet était muté et j’crois qu’il a divorcé dans la foulée.
- Ça calme ! (rigola notre papa).
- Pensez-vous, Milou (railla la tante Agathe) Ça l’a pas empêché de continuer à raouer et à chnâiller partout.
- Et vot’ femme ? (s’inquiéta notre maman) Moi, j’vous aurais chassé à coups d’balai et j’aurai demandé le divorce.
- Moi, aussi ! (fit la Mimie en bougonnant).
- Pas elle ! Elle est tellement cul-béni.
- Vous exagérez tout le temps.
- Non, Demoiselle Agathe. Vous la voyiez là, avec sa canne qui arrive pas à marcher. Elle s’plaint qu’elle a mal à la jambe, qu’elle a mal au dos… Mais, le dimanche, elle a pas mal pour courir faire ses bondieuseries à l’église. Les culs-bénis, ça divorce pas.
- Vinrats ! Encore en train de déblatérer sur ta femme, Galate !
- Oh ! Mélie, t’m’as fais peur. J’t’avais point vu arriver.
Comme chaque jour ou presque la Mélie redescendait de la Suisse. De son cabas dépassaient le manche d’un petit hake et celui d’une aussi petite pelle.
- C’est une sainte, ta femme. Supporter un galvaudeux comme toi. Vinrats d’vinrats ! Y’a longtemps que j’t’aurai foutu à la porte. Pas vrai tante Agathe ? (D’un revers de main, la Mélie essuya la sueur qui perlait son front).
- T’as tes chaurrées ? (ricana le père Galate).
- T’sauras qu’y a bien longtemps que je suis pu sur le retour.

 

Tous les regards se dirigèrent vers le trottoir vis-à-vis. Tous répondirent par un signe au bonjour du jeune homme qui remontait la rue en soulevant son chapeau.
- Nom de Dieu ! Le Bernard est pressé d’aller se réchauffer entre les cuisses d’la Marie !
La Mélie protesta « Galate ! ». La tante Agathe se limita à un « Ho ! » tandis que notre maman et notre papa pouffaient. Sur un ton innocent, la Mimie avança :
- C’est le neveu d’la Marie.
- Si le Bernard est le n’veu d’la Marie, moi j’suis l’Pape ! (s’esclaffa le père Galate).
- Vinrats, ça doit bien faire son sixième neveu (renchérit la Mélie en pouffant).
- Pourtant (insista la Mimie) j’ai vu la Marie à la sortie de la messe dimanche dernier. Elle m’a même dit que son neveu avait une belle place au Génie Rural et qu’il venait de Nomeny.
La Mimie n’obtint pour toute en réponse qu’un rire général et moqueur.
- Et sa fille, on la voit p’us.
- Quelle fille ?
- La fille d’la Marie, pardi (précisa la Mimie).
- Tu parles (rigola le père Galate) Ça risque pas. La mère se tapait son mari. J’ne sais même pas s’ils sont toujours ensembles… Personne n’en savait rien puisque la fille n’avait pas réapparut depuis cinq ou six ans.

 

- Encore une que t’as pas accrochée à ton tableau de chasse, nème Galate !
- Pourtant, la Marie est bien plus jeune que vous…
- De quinze ans, Oda (approuva-t-il) Elle a eu quarante-neuf cette année. Son ventre est pas en ardoises, les crapauds montent dessus.
- T’sais l’Oda, ça le dérange pas. Jeune ou vieille, tout était bon pour lui. J’es sûre qu’on aurait mis une robe à une vache, il aurait couru après. Dans le temps, on disait : cachez vos poules, la belette est là (comme tout le monde la regardait sans comprendre, la Mélie expliqua) Faites attention à vos filles, le Galate est dans les parages. Figures toi (reprit-elle en tapant sur le bras de notre maman) quand il est rentré d’la guerre et qu’il a su que j’étais veuve, il m’a enquiquinée : « T’es veuve, t’as besoin d’un homme de temps en temps ». Vinrats ! Ça faisait bien six ans qu’il était marié et qu’il avait trois gamins !
Dans un rire convulsif, le père Galate lâcha :
- Au début qu’il t’a fréquenté, Igor voulait me fracasser la tête. T’souviens Igor ?
- T’as d’la chance que je t’attrape pas ce jour-là.
- Bon (fit la Mélie) Faut j’aille. J’ai mon manger à faire. Et toi, te rentres pas à point d’heure. A midi, si t’es pas là…
- On va prendre l’apéro chez le Milou. J’ai toujours pas vu son meuble monté et sa belle radio.
- Bon, midi trente. A trente et un, t’iras manger avec les chevaux de bois ! Compris Igor ?
- Laisse donc’ vivre ton bonhomme !
- T’frais mieux t’occuper d’ta fôme, Galate. Au lieu d’mettre ton museau dans l’ménage des autres !
Et la Mélie s’en alla de son pas nonchalant. Son cabas au bout de ses bras balançait en cadence. Au passage, elle salua la mère Kélère en levant son cabas à la hauteur de la ceinture.

 
 
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L’apéro

(L’apéro // C’est la fête)

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La Gazette des Fiawesfin avril 1954

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Ma sœur 5 ans, j'ai 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, notre maman 28 ans, notre papa 27 ans 1/2,

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Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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