- Le Galate, c’est un vaurien ! (tonna la tante Agathe en secouant la tête pour donner plus de solennité à son propos).
Le père Galate trifouillait la fermeture éclair de sa cotte :
- Comment ça, Demoiselle Agathe ?
- Et le Sous-préfet, l’avez oublié ?
Le père Galate souleva sa casquette, poussa un « Oooh… ». Cette histoire remontait bien avant la guerre, notre maman et la Mimie étaient bien gamines, c’est pas peu dire. Le Sous-préfet de l’époque lui avait commandé un lit, « un bien beau lit » accentua le père Galate. De Metz, il avait fait venir sommier et matelas. « Est-il douillet et confortable ? » que lui demanda la femme du Sous-préfet :
- J’lui réponds comme ça : Si on l’essaie pas, on saura jamais (notre papa riait tant qu’il pouvait) T’aurais pas fait ça, Milou ? (Notre papa répondit par un « oui » noyé par le fou-rire. A cette époque, le père Galate avait dans la trentaine et la femme du Sous-préfet dans la cinquantaine) C’était une belle femme pour son âge. V’là qu’elle se déshabille, j’en fais autant…
- Et crac ! Tu t’es fait la Sous-préfète (rigola notre papa).
- Tous les deux à poils, prêts à se vautrer dans le lit… Nom de Dieu ! La porte s’ouvre d’un coup. Le Sous-préfet…
- Qu’est-ce a dit ?
- Il gueulait comme un putois… Moi, j’me suis rhabillé en vitesse et j’me suis carapater. T’vois la cour entre l’hôtel du Sous-préfet et la Sous-préfecture, nème Oda ? (notre maman approuva d’un hochement de tête) J’étais à peu près au milieu… Pan ! (cria-t-il en mimant comme s’il tirait au fusil).
- I t’a tiré d’ssus ?
- Non, non, Milou. Il a tiré en l’air. Heureusement pour moi ! Mais, c’t’histoire a fait scandale. Le Sous-préfet a dit que j’avais volé l’argenterie. J’ai même eu les gendarmes chez moi. Comme is z’ont rien trouvé et qu’is connaissaient ma réputation, is z’ont comprit de quoi il en retournait. Même pas trois mois plus tard, le Sous-préfet était muté et j’crois qu’il a divorcé dans la foulée.
- Ça calme ! (rigola notre papa).
- Pensez-vous, Milou (railla la tante Agathe) Ça l’a pas empêché de continuer à raouer et à chnâiller partout.
- Et vot’ femme ? (s’inquiéta notre maman) Moi, j’vous aurais chassé à coups d’balai et j’aurai demandé le divorce.
- Moi, aussi ! (fit la Mimie en bougonnant).
- Pas elle ! Elle est tellement cul-béni.
- Vous exagérez tout le temps.
- Non, Demoiselle Agathe. Vous la voyiez là, avec sa canne qui arrive pas à marcher. Elle s’plaint qu’elle a mal à la jambe, qu’elle a mal au dos… Mais, le dimanche, elle a pas mal pour courir faire ses bondieuseries à l’église. Les culs-bénis, ça divorce pas.
- Vinrats ! Encore en train de déblatérer sur ta femme, Galate !
- Oh ! Mélie, t’m’as fais peur. J’t’avais point vu arriver.
Comme chaque jour ou presque la Mélie redescendait de la Suisse. De son cabas dépassaient le manche d’un petit hake et celui d’une aussi petite pelle.
- C’est une sainte, ta femme. Supporter un galvaudeux comme toi. Vinrats d’vinrats ! Y’a longtemps que j’t’aurai foutu à la porte. Pas vrai tante Agathe ? (D’un revers de main, la Mélie essuya la sueur qui perlait son front).
- T’as tes chaurrées ? (ricana le père Galate).
- T’sauras qu’y a bien longtemps que je suis pu sur le retour.