La Voix de son Maître

(suite) - (C’est la fête)

 
 
 

Nos parents sortaient de la belle Traction. Direction le coffre. Le nônon et notre papa en extirpèrent une grande et grosse caisse en carton... Nous nous précipitâmes, le Fofo sur les talons.
- Pas sur la route ! (cria la tante Agathe qui depuis sa fenêtre admirait la nouvelleté).
Survint un petit camion du Mièsse. Il ralentit, klaxonna, s’arrêta à la hauteur de la Traction :
- Ça y est, vous vous êtes décidés (lança le conducteur).
- C’est fait Mimil’, on va avoir un peu de gaité dans la maison (répondit notre maman).
- Toujours sur Nânci ? (demanda notre papa).
- Ouais. Toi aussi ?
- Evidemment… Aujourd’hui, c’est congé.
Trois têtes émergèrent de la bâche à l’arrière :
- Et ton meuble est suffisamment solide ?
- T’inquiète Igor. Ce matin, on est monté dessus avec l’Oda et on a dansé.
- Faut toujours qu’il dise des bêtises (rigola notre maman).
- Vous avez intérêt à l’arroser (se bidonna le Mimil’).
Et le petit camion redémarra.

 

Ce n’était pas le tout, fallait le monter, ce gros carton. C’est qu’il paraissait bien lourd. En face, arriva le car des Rapides de Lorraine en provenance de Nancy. Il s’arrêta à notre hauteur. « Je comprends pourquoi t’es pas dans mon car », cria le chauffeur par sa fenêtre. Les samedis, comme il ne travaillait que le matin, notre papa avait coutume de revenir en car au lieu d’attendre 18h pour la Micheline. « Je t’ai attendu 2, 3 minutes à Essey ».
Sans se préoccuper, notre papa traversa la rue. Moitié dans le coffre, moitié dans le vide, le pauvre nônon Popaul s’évertuait à maintenir en équilibre le gros carton. Aussitôt, ma sœur et moi, nous précipitâmes, en criant :
- L’Sotré va casser la caisse ! L’Sotré va casser la caisse !
- Filez de là ! (rugit notre maman) Si ça tombe, vous allez être écrasés. Milou ! Milou !
- J’arrive (répondit-il).
- Milou ! (cria une nouvelle fois notre maman).
Heureusement, le chauffeur lui dit qu’il y avait péril en la demeure. Aussi sec, notre papa revint à grands pas. Le chauffeur redémarra en lançant :
- Va pas la casser avant d’en avoir profité.

 

Le gros carton était sorti du coffre lorsque arriva la Mélie.
- Les Chlodère ont encore fait des frais ! (s’écria-t-elle en se boyautant) Montre voir, Milou (Notre papa désigna le gros carton) Vinrats d’vinrats ! On voit rien (regretta la Mélie) Viendrai voir quand vous l’aurez installée. J’espère qu’il t’a fait un bon prix le voleur là (rigola-t-elle).
Sans même se préoccuper de la conversation des grandes personnes, ma sœur coupa :
- Te r’viens de la Suisse ?
- Bâ oui, j’âs été dire bonjour à mes morts (rigola la Mélie).
- T’nous emmèneras en Suisse ?
- Un de ces jours… Un de ces jours… Bon, le Milou, te crois que ton engin va monter tout seul là-haut ?
- On vous attendait m’dame Mélie.
- D’la queutze ! Moi, j’âs autre chose à mamayer. A moins que t’viens faire mon manger. Vinrats !
- Surtout que Igor 
est rentré depuis longtemps.
- Si l’est pas content le vinrats là, il a cas faire sa bouffe tout seul. Au fait, t’as des nouvelles du Tintin ?
Le Tintin était cet homme qui avait foncé dans les barbelés en dévalant en traîneau la pente de la Sapinète. Dès que les routes avaient été dégagées, on l’avait transféré à l’Hôpital Central de Nancy. Il venait de rentrer avec un beau pansement à l’œil. Mais, les médecins pensaient qu’il n’avait pas totalement perdu la vue.
- Pas totalement perdue la vue. Vinrats d’vinrats ! Ça veut dire quoi ?
- J’en sais rien (répondit le nonôn Popaul) Avec les toubibs…
- Evidemment ! Et la Marthe ?
- Elle est sortie de l’hôpital le soir même. Elle avait juste des égratignures dans les jambes. Ils seraient passés à même pas dix mètres plus loin...
- Vinrats d’vinrats !
Et sur ces bonnes paroles, la Mélie s’en alla de son pas nonchalant.

 

Ce n’était pas le tout, fallait le monter ce gros carton. Notre papa et le nônon grommelèrent plus d’une fois dans l’escalier. Enfin, le carton se retrouva au sol.
- J’arrive p’us à arquer (rigola notre papa en restant courbé).
- Tu m’étonnes. Avec l’escalier là. Raide, étroit comme tout… Et toi Popaul ?
- Ça va. A l’arrière, on a meilleure prise. Bon, on l’ouvre ?
Le contenu du gros carton fut posé sur... le nouveau meuble. C’était une sorte de caisse toute pimpante.
- C’est beau (s’extasia ma sœur tout en ne sachant pas à quoi cela pouvait bien servir).
Notre papa brancha un fil électrique à une prise. Il tourna un gros bouton... La caisse émit des grésillements saugrenus. Nous allongeâmes nos oreilles. Notre papa grimpa sur une chaise. Presque au plafond, il baladait un fil tout fin... Notre maman s’impatientait...
- C’est quoi ? (demanda ma sœur).
- Vous allez voir ce que vous allez voir...
Et voilà, notre maman s’y mettait aussi. Juché sur sa chaise, notre papa trimballait toujours son fil. Qu’espérait-il ?
- C’est pour attraper l’Sotré (se moqua ma sœur).
- Plus vers la fenêtre Milou (conseilla le nônon).
Les grésillements saugrenus s’amplifièrent au point d’érafler nos oreilles. La grosse voix du nônon tonna :
- Là ! Revient un peu en arrière.

 

La caisse mugit ! Nous fîmes un bond en arrière. Le Sotré venait-il de se faire piéger ? Bien sûr que non. D’ailleurs nous connaissions cet appareil. C’était une radio ! Une radio comme chez le pépère, comme chez le nônon Popaul. Mais, la nôtre était bien plus grosse. Et bien plus belle. Une radio ? Pas seulement... Un aller et retour, et le nônon Popaul remonta une pile de disques. Des disques grands comme ça ! Dur comme tout et cassable pour un rien. Notre papa souleva le couvercle de la radio, leva le bras, posa un disque, reposa le bras. En sortit une voix lente, inaudible...
- Ouâré d’Milou ! (s’écria le nônon) Mets en 78 tours.
En changeant la vitesse, notre papa bouscula le bras.
- Attention, Milou ! (cria notre maman) T’vâs rayer mon disque.
Enfin, la voix de Tino Rossi sonna clairement. Même notre Fofo parut ravi. Le museau pointé vers la radio, il dodelinait de la tête au rythme de la musique. Seule, ma sœur trouva à redire :
- « Petit papa Noël », c’est pas la Noël.
- Comme ça t’auras un disque pour la Noël et t’pourras chanter (badina le nônon).
Noël ! Noël ! Le mot bourdonna dans la tête de ma sœur et :
- T’as pris la prise du sapin !
- Oh, d’ici là, j’aurai trouvé une solution (répondit notre papa en prenant des verres sur l’étagère).
Cette nouvelleté valait bien un pastis. Ce que burent les hommes, tandis que notre maman sirotait son traditionnel Martini. Et nous ? Bâ, une limonade ! C’était jour de fête, nème ?

 

Nous avions vu cette nouvelleté. Précisément, cette nouvelleté enchantait nos oreilles. A peine étions-nous debout que notre maman se dirigeait vers le beau meuble. Elle tournait le gros bouton. Aussitôt, jaillissaient de mystérieuses voix venues de je ne sais où… J’essayai plus ou moins bien de répéter ce qui sortait de la radio. Cela donna une idée à ma sœur. Elle me serina une phrase :
- Le Pâpa travaille à Naânci.
- Lo pôpâ…
- Le Pâpa travaille à Naânci !
- Lo pôpâ… travaye…
- Le Pâpa travaille à Naânci !
- Lo pôpâ travaye… Naâci (imitai-je).
- Naânci ! hurla ma sœur. Naânci ! Allez répète !
Elle me pinça la joue pour me faire entrer le mot dans le cerveau. Mes cris attirèrent notre maman. Pense-voir, elle était copieusement absorbée par sa revue de mode, pas vraiment le moment de la déranger :
- Qu’est-ce arrive encore ?
- Il dit Naâci au lieu de Naânci !
- D’abord, c’est pas Naânci, mais Nânci. Fiche-lui donc’ la paix.
- J’lui apprends à parler.
- Apprends-lui en silence.
Ma sœur haussa les épaules :
- On parle pas en silence !
- Baisse d’un ton. Sinon, t’vâs en prendre une !
Les séances répétées arrivèrent à leurs fins : je commençais à tenir une conversation. Enfin, j’exagère un peu.

 

A suivre

Le Vélo

(La tante Agathe // Le Vélo)

L'évènement du jour
n'est pas le marché...

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A suivre

Les Noires

(L’apéro // C’est la fête)

Deux Noires font escale chez nous...

 

Le Sotré
Purification
La Noël
La Prothèse
Sports d’hiver
La Voix de son Maître :
Vous allez voir…
La Voix de son Maître
L’apéro
C’est l’été

La Gazette des Fiawesavril 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
Ma sœur 5 ans, j'ai 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, notre maman 28 ans, notre papa 27 ans 1/2,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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