Sur les nerfs

(Vive la grève // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

 
 

Le nonôn Popaul nous raccompagna à la maison. Fanny fermait ses volets : « Alors ? ». Nous lui criâmes que tout était pour le mieux. Elle parut soulagée et boucla ses volets du rez-de-chaussée. Quelques mots pour rassurer la tante Agathe sur ma bonne remise en forme. La Mikète ouvrit la porte dès qu’elle nous entendit monter l’escalier :
- T’as p’us d’épaule ?
- Si. R’garde, maint’nant ça marche bien.
- J’t’ai ramené des bonbons d’chez la Dédée.
Notre papa, le Mimil’ et notre pépère étaient attablés devant une bière. Une parole enchaînant une idée, notre maman se souvint brusquement :
- Merde ! De la secousse, j’ai oublié le pain.
- Nous, on l’a acheté ! (pavoisa ma sœur).
- J’ai bien pensé que t’aurais pas le temps avec tout ça. Enfin, tout est bien qui fini bien. L’piat est réparé. Hein, le Dabo, ça va mieux ?
- Oh oui, pépère. La sœur Harpi a remis l’épaule d’un coup ! Mais, ça fait rudement mal.

 

Notre maman lâcha : « Oh, la vache ! Mon manger est pas prêt ». Elle mit le troispieds sur la pierre à eau, versa le contenu de sa cocotte dedans afin d’égoutter les patates. Elle étala un torchon sur le plan de travail, secoua son troispieds, versa son contenu sur le torchon et essuya les patates. Tout à son ouvrage, elle regarda son père et sur un ton agressif :
- T’es monté pour faire la morale au Milou ?
- Tu m’connais mal ma fille. Les histoires entre le Milou et le Mièsse ne me regardent pas.
- Pourtant avec tout ce que raconte la môman !
Lorsque c’était Pétain au pouvoir, il était pour Pétain. Lorsque c’était de Gaulle, il était pour de Gaulle. Maintenant, c’était Mendès-France, il était pour Mendès-France. En résumé, le pépère était fonctionnaire, un fonctionnaire dévoué à son administration. Notre maman avait mis sa cocotte en fonte sur la gazinière et allumé le plus gros des brûleurs. Elle versa de l’huile dans la cocotte.
- Te fais des rôties ? (demanda le Mimil’) Je m’invite.
- Oh, la vache ! (s’écria notre maman) j’ai pas été chercher mon fromage blanc, ma crème, mon lait.
- T’énerve pas Oda, j’irai tout à l’heure (la calma notre papa).
- Et la tante Agathe qu’aura son manger avant pas d’heure… (Puis se souvenant de la réponse de son père, elle grogna sans perdre son ton agressif) Et alors ?
- Alors ? Le Sous-préfet me dit « Faites ceci », je le fais. « Faites cela », je le fais. Le reste ne me concerne pas et je n’ai pas à donner mon avis. T’inquiètes pas, je pense que le Sous-préfet est bien content de c’qui arrive au Mièsse. Depuis qu’il est en poste chez nous, le Mièsse n’arrête pas de lui mettre des bâtons dans les roues. Pourtant le Sous-préfet est loin d’être un Communiste (railla-t-il).

 

Notre maman jeta les patates dans la cocotte. Le joyeux pétillement indiqua que l’huile était suffisamment chaude. Un peu de sel et notre maman tourna les patates avec la spatule en fer. Communiste ? Le mot réveilla des souvenirs. Le Heurlin avait parlé d’une Rosa Luxembourg. Un frère du pépère avait marié une fille Luxembourg :
- Mon frère Eugène. Sa femme s’appelait Alice. Ils habitaient la place du Marché. Ils sont morts tous les deux avant la guerre. T’les as pas connus ou si peu.
- Qui c’est cette Rosa ?
Le pépère rigola un bon coup. C’est que la Rosa Luxemburg n’était pas de chez nous. Il pouffa de plus belle :
- La Lénine des Allemands.
- Comment t’la connais ?
- J’étais soldat allemand, n’oublie pas. En novembre 1918, les Allemands ont fait comme les Russes…
- C’étaient des Bolchéviques ! (fit notre papa pour montrer qu’il connaissait la musique).
- Si vous voulez… Spartakistes, qu’on les appelait. Les Allemands ont continué en 1919 et nous on est devenus Français.
- Le beau-père était révolutionnaire ! (badina le nonôn Popaul).
- Alors, toi t’as fait des choses comme ça ? (s’effara notre maman).
- J’ai suivi les autres… J’étais pas contre, mais… J’voulais surtout rentrer chez nous.

 

Une odeur de brûlé s’échappa de la cocotte.
- Oh, la vache ! J’en oubliais mes patates.
A nouveau la spatule en fer retourna les patates.
- Plus y’a de croûtes, et meilleur c’est ! (s’exclama le Mimil’).
- T’m’as l’air bien excité (fit remarquer notre papa).
- C’est à cause de lui (répliqua notre maman en me désignant de la spatule qu’elle tenait toujours à la main).
- C’est toi qui m’as cassé l’bras !
- T’aurais pas regardé les vaches ! T’les vois tous les jours.
- Calme-toi, Oda (fit le pépère) L’Dabo l’est pour rien. T’es comme ta mère.
Tout en plaçant sa cocotte sur le petit brûleur et en tournant et retournant ses patates, notre maman fit une grimace. C’est qu’elle n’aimait guère qu’on la compare à sa mère. Le pépère lui répondit par un rire et poursuivit sa narration sur la Révolution spartakiste.

 

Le Heurlin s’était entêté. Lui voulait faire la Révolution comme en Allemagne, comme la Rosa Luxemburg. Mais, sa tentative de grève à la soudière avait échoué. Congédié, il avait perdu sa maison à la saline.
- Galate l’aurait pas aidé, j’sais pas ce qu’il serait devenu (conclut le pépère).
- On savait pas ça ! (s’exclama notre maman).
Le Mimil’ et le nonôn Popaul acquiescèrent. Le pépère haussa les épaules et lâcha : « T’as pas nécessaire de savoir ça ».
- Le Heurlin ! Il nous faisait peur quand on était petit. Tu t’rappelles Mimil’ ?
- Oh, que oui ! On filait en vitesse dès qu’il approchait.
- Fossoyeur et peaux d’lépin, drôle de vie (compatit notre papa).
Le Heurlin braconnait, ramassait des champignons et des escargots, pêchait même les grenouilles. Avant la guerre, il les vendait surtout à l’hôtel de la Couronne, là passaient souvent des voyageurs de commerce ou des touristes.
« Un drôle de type. Pourtant, il était pas comme ça quand il était jeune ». Mais, déjà son père avait perdu la tête. Il se sauvait de chez lui, le Heurlin devait courir partout pour le récupérer. A la fin, il ne reconnaissait plus sa femme, ni son fils. Alors, « le Heurlin avait de qui tenir ».
- C’est pour ça qu’aucune femme n’a voulu de lui (ricana notre maman) Et les Mioches qui sont tout le temps fourrés avec lui. Je ne veux pas qu’ils parlent au Heurlin. Combien de fois je vous l’ai dit !
Nous répondîmes un « Oui môman » en pensant le contraire.
- On raconte beaucoup de choses sur lui. Mais, il n’est pas dangereux (adoucit notre pépère).

 

Le nonôn Popaul demanda à notre papa où ils en étaient dans leur grève :
- On continue demain. Encore mieux qu’aujourd’hui…
- Bien… Bien… Bonne chance… (Et il décréta le départ) J’vous dépose le beau-père ?
- Si tu veux… Ça économisera mes jambes (rigola le pépère).
- J’vâs aller chez la mère Létyi (proposa notre papa) Fromage blanc, crème, lait. Ousqu’est le bidon ?
- Là, dans le cagibi. Tu trouves ?
- J’viens avec (proposa le Mimil’. Il rigola) Comme ça, si le père Létyi la ramène sur la grève, on f’ra sa fête.

 

A leur retour, notre maman demanda les nouvelles du jour.
- Demain, on va à la carrière de Tincry. On mettra les gars en grève.
- Vous y allez tous ?
- Juste le Mimil’, Igor, le Nano et moi. Tiens, on a pas revu le Nano.
- Il m’a dit qu’il avait quelque chose à faire (répondit le Mimil’) Mais, il sera là demain.
- N’oublie pas qu’on a nos crédits à payer. La radio et la gazinière…
- Je sais !
- Oui, mais si t’as pas de paie… T’es tellement bête que t’vâs te démener pour les autres et toi, tu seras foutu à la porte.
- Mais, non…
- On s’ra deux (rigola le Mimil’).
La dernière canette de bière avalée, le Mimil’ rentra chez lui. En descendant, il apporterait le repas à la tante Agathe. Et nous nous installâmes à table pour nous régaler avec les patates un peu trop rôties, le fromage blanc et la crème.

 
 
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A suivre

Devenus transparents

(Le Peût’ôme, enfin // Le Peût’ôme // La Légende des Mioches)

T’es un torchon de plancher Guézète

 

Le Sotré
C’est la fête
Le Vélo
Le Peût’ôme
Prologue
Direction la maison:
* Immense trou
Vive la Grève
Une Fiawe
Pas bien clair
Epaule démise
~ Sur les nerfs
Le Peût’ôme, enfin
Epilogue

La Gazette des Fiawesseptembre 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète, ma soeur 5 ans 1/2, le Dabo, moi 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda notre maman 28 ans, le Milou notre papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 30/05/2024

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