Les grandes personnes étaient parties dans leur couarail. C’était sans compter avec ma sœur. Quand elle avait quelque chose en tête, elle ne l’avait pas ailleurs. Une illumination :
- Et les peaux d’lépins, t’les mets dans l’trou en Suisse ?
- En Suisse ! En Suisse ? J’vâs pas en Suisse…
Le père Galate expliqua ce que représentait la Suisse pour nous. Le gros rire du Heurlin secoua presque la table. Le Heurlin stockait les peaux de lapins dans la maisonnette vis-à-vis. Une fois par mois, un grossiste de Metz passait avec son camion pour les acheter.
- Au cimetière… Enfin, en Suisse, je creuse un grand trou pour mettre les morts dedans.
- On croyait que c’étaient les piats enfants que t’mettais dans l’trou.
- Les morts, c’est quand les personnes sont trop vieilles ou malades (affirmai-je, répétant là ce que nous avait apprit la tante Agathe).
- C’est ça. On les met dans un cercueil…
- C’est quoi un cercueil ?
- Quand on r’viendra du jardin, j’vous montrerai (intervint le père Galate) J’suis juste en train d’en faire un.
- C’est qui qu’est mort ? (demanda notre papa).
- Madame Spritz (répondit le Mimil’) J’ai vu ça dans le journal, hier. L’enterrement, c’est vendredi, j’crois.
- Nom de Dieu ! C’était une belle femme, bien roulée…
- Ah ! Galate te changeras jamais. La Rosa Luxemburg, elle t’aurait entendu, elle t’aurait foutu son pied au frountze.
- Penses-tu, elle aurait succombé à mon charme.
- Ceci dit, madame Spritz était gentille et elle m’a toujours bien considérée. Son mari aussi (affirma le Heurlin).
- C’était not’ secrétaire de Mairie. Ils habitaient la rue de la Gare vers le Bureau de la Sécurité Sociale.
- Avant la guerre, Mimil’… Après ils étaient en retraite et ils restaient pas loin de la Gendarmerie. Lui, il est mort il y a deux ou trois ans. Nom de Dieu, Milou ! Toi qui aimes danser, tu les aurais vus faire la valse. C’est bien simple, on arrêtait de danser rien que pour les regarder.