La Bûche

(La Bûche // Le Vélo)

 
 
 

La maman les rejoignit et embrassa son père. La halte fut courte, le grand-père avait du travail. En avant l’escalade : « Sans faire de boucan ! ». Ils étaient, le Dabo et sa maman, à la hauteur du bureau du Sous-préfet que la grande porte coulissait à l’étage supérieur. Ils entraient dans le logement que la Mikète jouait avec ses cousins… Le Dédé proposa de descendre dans la cour.
- Pas de bêtise, nème Dédé !

 

Le Dabo allait franchir la grande porte à leur suite. Sa mère la tira devant son nez :
- T’es trop petit !
- J’vâs dans la cour avec la Mikète ! (protesta-t-il).
- Viens, on va jouer.
La grand-mère alla chercher le Mensch, déplia le circuit, disposa les pions dans leur « écurie ». Elle lança les dés et rata le double six nécessaire à la sortie. Elle passa les dés… Oh ! bien sûr, à cet âge là, le Dabo ne savait pas jouer au Mensch. Mais, faire rouler les dés sans comprendre ce qu’il en ressortait, avancer les pions sans suivre le parcours ou respecter le nombre de cases, ça l’amusait en... temps normal. Pas aujourd’hui ! De colère, il jeta les dés en renversant le jeu :
- J’veux aller avec la Mikète !
- T’es trop petit. Maintenant, ça suffit ! (cria sa mère).
Il partit vers la grande chambre en tapant des pieds. Dans un magistral vol plané, il rata les deux marches et s’écrasa le nez sur le parquet.
- Peûte ! (cria-t-il à l’intention de sa mère).
- Continue, le Peût’ôme va t’emmener dans son sac !
La menace le calma. Il se blottit contre le radiateur.
- J’sais pas ce qu’ils ont aujourd’hui, mais ils n’arrêtent pas.
Et l’Oda raconta à sa mère l’histoire du vélo du Fanfan, surtout l’épisode des chaussures et la visite chez les Schuh.
- Oh Oda, ce sont des enfants.
- La Mikète est terrible. Elle entraîne le Dabo dans ses conneries…
- Madame Capè ! Madame Capè ! Oda ! (Les cris de la Bibie tirèrent le Dabo de sa bouderie) Vite, Oda ! La Mikète est en sang.
- Oh, la, la…

 

L’Oda et sa mère dégringolèrent l’escalier à la suite de la Bibie. Dans leur précipitation, elles avaient oublié de refermer la porte coulissante, le Dabo en profita pour s’évader. Il vint à bout de toutes ces marches, crois-moi, même s’il dut se relever par deux fois, suite à des chutes. Dans la cour, il y avait foule. Les employés avaient déserté leurs bureaux :
- Le nez est cassé !
- Mais non, c’est la mâchoire !
De sa fenêtre, le Sous-préfet ordonna au chauffeur d’amener la voiture.
Le Dédé et le Titi se tenaient tout penaud, le grand-père grognait, la grand-mère pleurait, la maman se lamentait. Au milieu de tout cela, la Mikète braillait comme un goret qu’on égorge. Du sang maculait sa bouille. C’est là que le cerveau du Dabo s’illumina. Aussitôt, le chien du Heûle, plutôt le Grilou lui apparut en flashs : il avait dérouillé le Fofo l’autre jour, ce matin le père Galate et Monsieur Goupil l’avaient vu entrer dans la cour de la Sous-préfecture. Sous l’apparence du Grilou, le Sotré n’avait pas loupé la Mikète. D’ailleurs, le long du haut mur se faufilait le Chanoire. En scrutant la scène, il lançait de lugubres miaous. Ses yeux dardaient des escarbilles vertes.

 

Passé le midi, la Mikète et sa maman étaient encore à l’hôpital. Grâce au Sotré, le Dabo accédait au privilège traditionnellement réservé à sa sœur et à leurs cousins. Il mangerait chez ses grands-parents. Le repas fut tendu. Le grand-père ne dérageait pas. Esquinter la Mikète de la sorte, ce n’était pas possible. La grand-mère répétait sans cesse :
- Vous avez le Sotré au corps. Vous m’ferez mourir.
- Si c’est comme ça, vous viendrez plus (rajouta le grand-père. Le Dédé et le Titi ne mouftaient pas) Quesque vous faisiez avec les bûches ? Je vous ai déjà dit d’pas y toucher.
- On s’amusait pépère… On les lançait comme on lance un ballon…
Sûr, le Sotré s’était caché sous le tas de bois. Je traduis : la Mikète, le Dédé et le Titi avaient entreprit de déloger le Sotré. Mauvais, ça. Le Dabo dit :
- Faut pas embêter le Sotré ! Il a déjà fait du mal à not’Fofo.
- Ferme-la, toi ! (s’énerva le Dédé).
- Pas la peine de t’en prendre au Dabo ! Qui a lancé la bûche ? Toi, Dédé ?
Les cousins ne répondirent pas. Le Dabo savait qu’ils étaient innocents. Nul besoin de réfléchir longtemps pour comprendre : le Sotré avait lancé la bûche ! Les grands-parents finirent leur discussion en Allemand. Ah ! Le Dédé et le Titi n’en menaient pas large, crois-moi. Ils se demandaient ce qu’ils racontaient et, surtout, à quelle sauce ils allaient être mangés. La sanction finit par tomber :
- Vous sortirez pas cet après-midi (décréta le grand-père) Et, ce soir, nous raconterons cela à vos parents.
- Vous f’rez mourir (conclut la grand-mère).
Comme tous les adultes, les grands-parents refusaient obstinément de voir la réalité. Tu parles, ils avaient peur de se faire griller vif sur le bûcher. C’est ce que les curés faisaient. Si ! La Bianche-tète l’avait dit. Alors, les grandes personnes préféraient accuser les enfants de tous les maux. Bien qu’ils ressassassent à longueur de temps : « Vous avez l’Sotré dans le corps » ou leur aussi traditionnel : « Si t’es pas sage, le Peût’ôme va met’ dans son sac ! »…

le 9 avril 2024

 

Epilogue

Ce ne fut pas ce jour là que je rencontrais le Sotré… Ni les autres, d’ailleurs. Pourtant, encore aujourd’hui, bien que je me sois enfui de Lorraine, le Sotré passe chez moi sans avertir. Parfois, il jette de la poussière ou casse un verre. Plus grave, il brûle ma quiche ou mes rôties, met en panne le frigo ou la machine à laver, projette le marteau ou la scie sur mes doigts… parfois, un bruit bizarre résonne dans la maison. Je me retourne brusquement… Rien, c’était le Sotré.
Ah ! La chasse au Sotré, c’était il y a bien longtemps… Trop longtemps. J’entends encore ma mère gueuler : « Vous me faites chier avec votre Sotré » ou « Le Sotré, c’est des bêtises. Ça n’existe pas, c’est la Légende. Vous comprenez ? ». Et mon père : « Le Sotré, c’est vous ! » ou « J’vâs vous en coller un d’Sotré ! ».
Le miroir de la salle de bains renvoie un visage fripé, très maigre. Mon nez crochu ombrage ma lèvre supérieure. Mon menton avance. Mes cheveux sont poivre et sel. Je suis tout habillé de noir… Chaque fin d’après-midi, le Chanoire avec son médaillon de poils blancs au cou, me rend visite. En guise de bonjour, il me renifle, frotte son corps contre ma jambe, puis saute sur mes genoux, s’endort, disparait… Tiens, voilà mes petits voisins… Oh, je sais ! J’vâs leur conter une belle fiawe… celle du Peût’ôme.

Le 28 août 2018

 
 
Flech cyrarr

A suivre

Le Peût’ôme

 

La créature beuglait je ne sais quoi tout en poussant un vélo d’un autre âge...

 

La Gazette des Fiawesmai 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

En savoir plus sur les personnages :
La Mikète 5 ans, le Dabo 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, l'Oda leur maman 28 ans, le Milou leur papa 28 ans,

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Musée du fantastique

Date de dernière mise à jour : 06/05/2024

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