Ce ne fut pas ce jour là que je rencontrais le Sotré… Ni les autres, d’ailleurs. Pourtant, encore aujourd’hui, bien que je me sois enfui de Lorraine, le Sotré passe chez moi sans avertir. Parfois, il jette de la poussière ou casse un verre. Plus grave, il brûle ma quiche ou mes rôties, met en panne le frigo ou la machine à laver, projette le marteau ou la scie sur mes doigts… parfois, un bruit bizarre résonne dans la maison. Je me retourne brusquement… Rien, c’était le Sotré.
Ah ! La chasse au Sotré, c’était il y a bien longtemps… Trop longtemps. J’entends encore ma mère gueuler : « Vous me faites chier avec votre Sotré » ou « Le Sotré, c’est des bêtises. Ça n’existe pas, c’est la Légende. Vous comprenez ? ». Et mon père : « Le Sotré, c’est vous ! » ou « J’vâs vous en coller un d’Sotré ! ».
Le miroir de la salle de bains renvoie un visage fripé, très maigre. Mon nez crochu ombrage ma lèvre supérieure. Mon menton avance. Mes cheveux sont poivre et sel. Je suis tout habillé de noir… Chaque fin d’après-midi, le Chanoire avec son médaillon de poils blancs au cou, me rend visite. En guise de bonjour, il me renifle, frotte son corps contre ma jambe, puis saute sur mes genoux, s’endort, disparait… Tiens, voilà mes petits voisins… Oh, je sais ! J’vâs leur conter une belle fiawe… celle du Peût’ôme.