Soudain sur notre droite, à une quinzaine de mètres de la piste, un immense rocher d’au moins trois mètres de hauteur, le dessus plat, attira notre attention. Il marquait le début d’un cran rocheux, presque vertical, gagnant en hauteur. À peu de distance, le même phénomène se présenta à gauche. De chaque côté du sentier, ces gigantesques parois formaient deux longs murs se découpant par leur sommet sur la voûte bleue du ciel. Ces crans prirent si rapidement de la hauteur, atteignant parfois quarante mètres, que nous nous sentions tous petits. On aurait dit les parois d’une gorge étroite au fond de laquelle nous avancions. L’attelage glissait sur une légère pente descendante accélérant ainsi notre vitesse au grand plaisir du Dabo qui tapait des mains et chantait : « Go ! Inouk. go ! ». De secondes en secondes, les impressionnants murs de pierre se rapprochaient. Si près que nous avions l’impression de circuler dans un corridor aux murs sombres avec, toujours au-dessus de nos têtes, formant un agréable contraste, la bande bleue du ciel, délimitée par la crête dentelée des caps. La Mikète donnait des signes d’inquiétude.
- Brrrr… On file droit au repaire du Sotré, dit-elle grimaçant.
- Crac ! On va lui tordre le cou, approuva le Dabo.
- Les Hurons entretiennent une légende au sujet de ce canyon. Écoute… Je te raconte ce que je sais. Il y a longtemps, très, très longtemps, le Grand Manitou avait donné une mission à cette montagne que nous traversons. Une mission dont j’ignore l’objet, mais que la montagne aurait volontairement ignorée. Cette désobéissance a entraîné le courroux du Grand Manitou sur elle. À propos, tu as certainement entendu parler du Grand-Manitou.
- Ben ouais! Not’papa disait que c’est celui qui manie tout!
- Ah ! Le Milou, toujours aux premières loges pour faire des calembours !
- Même qu’i disait que la môman était son Manitou à lui, renchérit le Dabo.
- Tien, tien, c’est un peu comme ça chez moi aussi; mais ici on dit que c’est une «Germaine»… elle gère et mène… C’est pareil, mais dit en d’autres mots. Bon, bref! Je reviens à ma légende. Le Grand Manitou dans sa colère demanda à l’Esprit-du-Mal de châtier la coupable…
- L’Esprit-du-Mal chez nous c’est le Sotré… Il est capable de tout! Coupa la Mikète.
- Des fois, il est gentil le Sotré, des fois, il est méchant. T’sais André, l’Sotré, l’a attaqué not’ Fofo. Et il a foutu une bûche dans la gueûle d’la Mikète.
- On dit pas la gueûle, on dit la figure. R’garde Bernard, j’â encore la marque là, dit la Mikète en montrant la cicatrice à ses lèvres.
- Tien ! Faudrait parler de ce Sotré aux Hurons, peut-être seraient-ils intéressés à donner un nom à ce faiseur de Mal… Mais laisse-moi terminer mon récit. Donc, l’Esprit-du-Mal, le Sotré si tu préfères, vint planer au-dessus de la montagne un grand tomahawk à la main… Un tomahawk c’est…
- J’sais c’que c’est… une grosse hache… gronda le Dabo fièrement.
- Bien, très bien… Si tu étais un Huron, tu aurais droit à ajouter une plume à ton bandeau serre-tête… Bon, le Sotré frappa si fort qu’une partie de la montagne s’est vue profondément entaillée. Cette blessure, comme une malédiction, ne se cicatrisera jamais. C’est justement cette faille que nous traversons actuellement.
- Dis voir, si ça s’trouve, on va tout droit à la grotte du Sotré… C’est sûr… Hein… ? Tu vas nous aider à l’attraper ! S’enquit la Mikète toute excitée à l’idée.
- Hélas ! non, ce sera pour une autre fois. Vois, déjà le canyon s’élargit et les caps sont beaucoup moins hauts.