L’apéro

(suite) - (C’est la fête)

 
 
 

- Aïe ! T’me fais mal avec tes griffes (protesta la tante).
- Fofo ! Descends ! (ordonna notre maman sans succès).
Le Fofo grognait et montrait les dents. « L’Grilou ! », les grandes personnes tournèrent la tête dans la direction que j’indiquais.
- Nom de Dieu ! Le chien du Heûle (tonna le père Galate).
- Sâpré saloperie ! (renchérit Igor) L’a faillit me mordre trois fois.
- Aussi beau que con (conclut notre papa) Des poils gris comme ça, on dirait un loup.
- Il a même attaqué notre pauv’ Fofo (le Fofo grognait toujours) T’vois, il s’en rappelle (renchérit notre maman).
- Ah, j’l’ai cogné cette kègne de cabot.
- Nom de Dieu, le Milou, j’me souviens (le père Galate fut prit de fou rire et gigota comme si la scène se reproduisait à l’instant et qu’il en était l’acteur principal) Avec ta charpagne… Et vlan ! Et vlan ! Et le père Heûle… Il gueulait que t’avais tué sa kègne.
- Vous êtes déchaîné père Galate (fit la tante) Pire qu’un Sotré !
C’est à ce moment qu’arriva, de Nancy, un camion du Mièsse. Il stoppa vis-à-vis. Par la fenêtre, le Mimil’ lança :
- C’est ça ton grand ménage ?
- L’Oda m’a réquisitionnée (plaisanta la Mimie) Et maintenant, on va prendre l’apéro.
- J’descends ma cargaison (rigola-t-il en faisant allusion à ses passagers : Tonio, le Dani, le Nano et le chef) Commencez pas sans moi, nème !
- T’inquiète Mimil’ (rigola notre papa) on en prendra que trois d’avance.
- Moi, j’viens maintenant.
Tonio profita de l’arrêt improvisé pour dégringoler de la benne. Le car des Rapides de Lorraine passa en klaxonnant. Toutes et tous agitèrent la main. Le Mimil’ redémarra derrière lui.

 

Tonio était un grand maigre, aux cheveux noirs frisés, à la moustache bien fournie et aussi noir. « Un vrai Rital » plaisantait notre papa. Il était venu chez nous après la guerre pour reconstruire la ville. Il avait connu notre papa à cette époque. Maçon de profession, il travaillait pour le Mièsse. Comme plusieurs de ses camarades italiens, Tonio avait décidé de s’installer chez nous. Il salua la cantonade.
- T’as raté c’matin…
- Qu’est-ce vous avez encore fait comme conneries ? (demanda Igor).
- Tu sais l’autre connard de Brin. Hier, il a pleuré auprès du chef pour faire les raccords. Alors que d’habitude, c’est le Mimil’ qui les fait (Igor acquiesça d’un hochement de tête) Ce matin, il prépare son ciment. Tu sais comment il est… Si t’es à côté de lui, il te saoule. Et je fais comme ci, et je fais comme ça. Bref, il prépare son ciment et en attendant qu’ça prenne, il va prendre son casse-croûte. Il mange jamais avec nous… On en a profité pour pisser dans son auge. Tous, hein ! Même les plombiers, les électriciens… Imagine, dix mecs autour de l’auge, le machin dans la main, en train de pisser (Tonio minait l’action et communiqua son fou-rire à la cantonade).
- Vous devriez faire un chantier en face de chez moi, comme ça j’aurai du spectacle.
- Bâ, alôre, tante Agathe (fit notre maman) voilà qu’on se dévergonde.
- Y’a pas d’âge pour ça (rigola la tante).
Et le rire secoua l’assemblée.
- Sympa l’ambiance sur le chantier ! (tonna la Mimie lorsque tous eurent retrouvé leur sérieux) Nous, au bureau, on se sert les coudes entre collègues. Nème Oda ?
- Oh oui, on s’entendait bien. Surtout contre le chef (rigola notre maman).
- Il emmerde tout le monde (s’excusa presque Tonio) Il connaît tout. Il sait mieux que les autres. Il dit même aux chauffagistes comment ils doivent bosser. Toujours à te donner des ordres comme si c’était lui le chef. Avec sa bouche en cul de poule !
- Entre nous, on s’tire pas dans les pattes (compléta Igor). Mais LUI, il fait tche tout le monde. Et, en plus, il cafte au chef quant tu fumes ou que tu discutes trop longtemps.
L’autre connard de Brin se prénommait Jean-Charles, mais tout le monde l’appelait le « Connard de Brin ». Autant dire que les relations étaient très tendues. Complexé, jaloux des autres, il se croyait le meilleur. Il hinsait les compagnons entre eux pour mieux les dominer. Sous prétexte qu’il avait fait le collège et une école technique à Nancy, le Connard croyait tout savoir et tout diriger. Il était prêt à tout pour arrivée.

 

- J’vois pas qui c’est… (cherchait notre papa).
- Il était pas là au temps de la cantine. Il est chez Mièsse seulement depuis cette année. Il vise la place du contremaître qui doit partir en retraite dans quelques mois.
- C’est pas le Mimil’ qui doit reprendre ?
- Mais non Milou (rectifia la Mimie) Rappelle-toi, on en a discuté l’aut’ fois. Le Mimil’ veut pas s’emmerder avec ça.
- C’est dommage. Avec le Mimil’, on aurait été plus tranquille.
- De quoi tu plains Igor ? T’es en retraite dans un an ou deux (rétorqua Tonio) Moi, pfuitt…
- T’vâs pas voir ta dulcinée ? (demanda à brûle-pourpoint notre papa).
- Plus tard. Tu fais bien d’en parler (répondit Tonio) vous êtes tous invités au vin d’honneur. Même vous tante Agathe.
- Faudra que vous veniez m’chercher avec votre brouette. La Catinète m’a dit qu’elle me ferait porter du gâteau. Moi, j’ai droit au dessert (fit-elle en narguant les autres).
- J’vous apporterai un piat Porto.
- Vous pouvez l’garder vot’ Porto (rigola la tante) J’âs jamais bu d’ma vie. C’est pas aujourd’hui que j’vâs commencer.
- Un petit verre, c’est bon tante Agathe.
- Que nâni, Milou ! Mon frère aîné buvait comme un trou…
- Me rappelle (fit le père Galate en tripotant la fermeture éclair de sa cotte) Il habitait là (rajouta-t-il en désignant la maison d’en face, celle où ils venaient de faire les finitions).
- C’est ça. I perdait la tête et i frappait sa femme. Ça donne pas envie d’boire, croyiez-moi.

 

Tandis que les hommes montaient à l’étage, notre maman et la Mimie entrèrent dans la pièce et déposèrent leurs lourds cabas sur la table. Notre maman sortit les marchandises : des pâtes, du riz, une boîte de haricots, un steak, des saucisses à cuire… Bien que notre maman lui cuisine ses repas, la tante Agathe aimait garder son ravitaillement à porter de mains.
- Laissez Oda, j’vâs ranger. Laissez don’ Oda, c’est l’heure de votre apéro (rigola la tante).
- J’vous r’descends vot’ salade de patates.
- Depuis le temps que j’en ai envie. Avec les knacks, nème ! Ils sont rudement bons les knacks des Barthe.
- L’temps que j’les chauffe.
Et tout le monde se retrouva chez nous, sauf la tante évidemment, pour participer à cette cérémonie de l’apéro.

 
 
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A suivre

La Saint-Jean

(C’est l’été // C’est la fête)

Des manèges, des friandises, une loterie, un repas bien arrosé

 

La Gazette des Fiawesfin avril 1954

Parfois il suffit de passer la souris pour connaître la signification d'un mot.

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Ma sœur 5 ans, j'ai 2 ans 1/2, le Fofo 12 ans, notre maman 28 ans, notre papa 27 ans 1/2,

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Date de dernière mise à jour : 08/04/2024

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