Tonio était un grand maigre, aux cheveux noirs frisés, à la moustache bien fournie et aussi noir. « Un vrai Rital » plaisantait notre papa. Il était venu chez nous après la guerre pour reconstruire la ville. Il avait connu notre papa à cette époque. Maçon de profession, il travaillait pour le Mièsse. Comme plusieurs de ses camarades italiens, Tonio avait décidé de s’installer chez nous. Il salua la cantonade.
- T’as raté c’matin…
- Qu’est-ce vous avez encore fait comme conneries ? (demanda Igor).
- Tu sais l’autre connard de Brin. Hier, il a pleuré auprès du chef pour faire les raccords. Alors que d’habitude, c’est le Mimil’ qui les fait (Igor acquiesça d’un hochement de tête) Ce matin, il prépare son ciment. Tu sais comment il est… Si t’es à côté de lui, il te saoule. Et je fais comme ci, et je fais comme ça. Bref, il prépare son ciment et en attendant qu’ça prenne, il va prendre son casse-croûte. Il mange jamais avec nous… On en a profité pour pisser dans son auge. Tous, hein ! Même les plombiers, les électriciens… Imagine, dix mecs autour de l’auge, le machin dans la main, en train de pisser (Tonio minait l’action et communiqua son fou-rire à la cantonade).
- Vous devriez faire un chantier en face de chez moi, comme ça j’aurai du spectacle.
- Bâ, alôre, tante Agathe (fit notre maman) voilà qu’on se dévergonde.
- Y’a pas d’âge pour ça (rigola la tante).
Et le rire secoua l’assemblée.
- Sympa l’ambiance sur le chantier ! (tonna la Mimie lorsque tous eurent retrouvé leur sérieux) Nous, au bureau, on se sert les coudes entre collègues. Nème Oda ?
- Oh oui, on s’entendait bien. Surtout contre le chef (rigola notre maman).
- Il emmerde tout le monde (s’excusa presque Tonio) Il connaît tout. Il sait mieux que les autres. Il dit même aux chauffagistes comment ils doivent bosser. Toujours à te donner des ordres comme si c’était lui le chef. Avec sa bouche en cul de poule !
- Entre nous, on s’tire pas dans les pattes (compléta Igor). Mais LUI, il fait tche tout le monde. Et, en plus, il cafte au chef quant tu fumes ou que tu discutes trop longtemps.
L’autre connard de Brin se prénommait Jean-Charles, mais tout le monde l’appelait le « Connard de Brin ». Autant dire que les relations étaient très tendues. Complexé, jaloux des autres, il se croyait le meilleur. Il hinsait les compagnons entre eux pour mieux les dominer. Sous prétexte qu’il avait fait le collège et une école technique à Nancy, le Connard croyait tout savoir et tout diriger. Il était prêt à tout pour arrivée.