Là, dans l’angle, nous tombâmes en arrêt devant. En bois sculpté comme les autres meubles, bien haut puisqu’elle câlinait le plafond, bien large puisqu’elle réduisait notablement la salle. De jolies vitres décorées de motifs en relief. Ma bibliothèque rigola la Bianche-tète en nous voyant nous pâmer devant les étagères garnies. Elle l’appelait « La Bibliothèque do Dan » sans qu’on en connaisse la raison. Elle ouvrit l’une des portes vitrées, et désigna le rayonnage du haut : « La Légende des Mioches ». La Bianche-tète fit une bonne tête et s’esclaffa : une fiawe. Nous n’étions guère avancés. Alors la Bianche-tète développa. Les fiawes étaient des légendes, des contes ou des fables tirés de la réalité, des histoires vraies très romancées.
Du rayonnage, elle sortit une des choses bizarres et nous fit l’effleurer. Bien sûr, nous connaissions cette chose. Notre maman lisait des romans à l’eau de rose comme elle disait et notre papa des romans policiers ou d’espionnage. Mais les livres de nos parents étaient, somme toute, bien modestes. Jamais nous avions vu et senti une couverture aussi belle, si douce. C’était du cuir avec des dorures. Et des pages à la tranche aussi dorée, aussi fine que du papier à cigarette.
Il y en avait des livres. Et des livres. « La Légende des Mioches » racontait les aventures d’une fillette et d’un garçonnet dans les années 1950. A notre grand regret, la Bianche-tète ne pouvait nous lire ces livres. Oh ! Pas parce que nous étions trop petits, non. Ces livres évoluaient sans cesse, remettaient en cause un chapitre, en rajoutaient un. La Bianche-tète nous rassura en disant que nous pourrions les lire lorsque nous serions vieux.
Elle marqua une pause en se raclant la gorge et désigna le rayonnage du dessous : « Les Oiseaux d’Fofa ». Encore un rayonnage plus bas, des fiawes sur le Brésil, l’Afrique, l’Europe… De l’aventure, du rire, du fantastique, de la politique… Encore plus bas : « Le Bourreboyau ». La cuisine de chez nous, s’exclama-t-elle. Etait-ce une de ces histoires que la Bianche-tète allait nous lire ? Au lieu de nous répondre, elle nous invita à prendre place sur le canapé.