Nous atteignions la sortie du marché : « Approchez… Venez découvrir l’appareil qui bouleversera votre vie ».
- Tu sais mémère, la môman, elle a acheté une moulinette et elle l’a pas payée passqu’elle avait pas d’argent.
- Mikète ! (la réprimanda notre maman).
- Quoi ? (s’exclama la mémère sur un ton agressif. Notre maman lui raconta l’histoire sans oublier le marchandage de la Mélie. La mémère tonna) On est pas des mendiants. T’sauras qu’chez nous, on fait pas de dette (Un coup de sang et elle fila droit sur le bonimenteur comme si elle allait l’étriper) J’viens payer la moulinette d’ma fille ! Combien ?
- J’l’aurais pas gardée longtemps, m’dame Chlodère (rigola le bonimenteur).
- Combien ?
- 780 francs. Voulez pas une moulinette pour vous ? R’gardez…
La mémère n’avait pas abandonné son peût frognon. Comme qui dirait, elle tirait une gueule comme quinze culs, une très mauvaise tête. Elle balança :
- J’en avais déjà avant-guerre. Et j’en ai racheté une à Nânci quand on est rentré. Alors…
- R’gardez, m’dame, celles-ci sont modernes. C’est une Moulinex.
- Rendez-moi ma monnaie. C’est tout ce que j’vous d’mande !
Sa monnaie engouffrée dans son porte-monnaie, la mémère nous entraîna vers la boulangerie vis-à-vis, celle de la Dédée bien sûr. Avant, il fallait traverser l’esplanade devant le monument aux morts, puis la rue. Une automobile blanche avec une belle publicité descendait la rue :
- Martini ! (s’écria ma sœur) Nème, môman, c’est marqué Martini ?
- Comment t’le sais ?
- Bâ, c’est marqué comme ta bouteille quand tu bois l’apéro.
- C’est vrai (rigola notre maman tandis que la mémère affichait toujours sa mauvaise tête).
- C’est le Félix. Ton copain, çui qui t’a donné le gros cendrier blanc, Martini !
Un petit mot sur notre monument aux morts. C’était un bien bel obélisque en granit. Il y a quelques semaines, notre maman nous avait lu les belles lettres dorées : « Mort pour la Patrie », « 1914-1918 », « 1939-1945 ». Ma sœur avait demandé :
- C’est quoi la Patrie ?
- C’est… C’est ton pays…
- C’est quoi ton pays ?
- Ben… Ben… Ton pays, la France…
- Les monsieurs sont morts pour la Patrie ton pays la France (exulta ma sœur).
- Oui… Enfin, non… Y’en a quelques-uns qui sont morts pour la France. Les autres sont morts pour l’Allemagne.
- Les monsieurs sont morts pour la Patrie ton pays la France, l’Allemagne.